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ACTE I Scène première

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Done Elvire, Élise.

Done Elvire

Non, ce n’est point un choix qui pour ces deux amants,

Sut régler de mon coeur les secrets sentiments;

Et le Prince n’a point dans tout ce qu’il peut être,

Ce qui fit préférer l’amour qu’il fait paraître.

Don Sylve comme lui fit briller à mes yeux

Toutes les qualités d’un héros glorieux;

Même éclat de vertus, joint à même naissance,

Me parlait en tous deux pour cette préférence;

Et je serais encore à nommer le vainqueur,

Si le mérite seul prenait droit sur un coeur.

Mais ces chaînes du ciel qui tombent sur nos âmes

Décidèrent en moi le destin de leurs flammes;

Et toute mon estime, égale entre les deux,

Laissa vers Don Garcie entraîner tous mes voeux.

Élise

Cet amour que pour lui votre astre vous inspire

N’a sur vos actions pris que bien peu d’empire;

Puisque nos yeux, Madame, ont pu longtemps douter

Qui de ces deux amants vous vouliez mieux traiter.

Done Elvire

De ces nobles rivaux l’amoureuse poursuite,

À de fâcheux combats, Élise, m’a réduite.

Quand je regardais l’un, rien ne me reprochait

Le tendre mouvement où mon âme penchait;

Mais je me l’imputais à beaucoup d’injustice,

Quand de l’autre à mes yeux s’offrait le sacrifice.

Et Don Sylve, après tout, dans ses soins amoureux

Me semblait mériter un destin plus heureux.

Je m’opposais encor ce qu’au sang de Castille

Du feu roi de Léon semble devoir la fille;

Et la longue amitié qui d’un étroit lien

Joignit les intérêts de son père et du mien.

Ainsi plus dans mon âme un autre prenait place,

Plus de tous ses respects je plaignais la disgrâce:

Ma pitié, complaisante à ses brûlants soupirs,

D’un dehors favorable amusait ses désirs

Et voulait réparer par ce faible avantage

Ce qu’au fond de mon coeur je lui faisais d’outrage.

Élise

Mais son premier amour que vous avez appris

Doit de cette contrainte affranchir vos esprits.

Et puisqu’avant ces soins, où pour vous il s’engage,

Done Ignès de son coeur avait reçu l’hommage;

Et que par des liens aussi fermes que doux

L’amitié vous unit cette comtesse et vous.

Son secret révélé vous est une matière

À donner à vos voeux liberté tout entière;

Et vous pouvez sans crainte à cet amant confus

D’un devoir d’amitié couvrir tous vos refus.

Done Elvire

Il est vrai que j’ai lieu de chérir la nouvelle

Qui m’apprit que Don Sylve était un infidèle;

Puisque par ses ardeurs mon coeur tyrannisé

Contre elles à présent se voit autorisé,

Qu’il en peut justement combattre les hommages,

Et sans scrupule ailleurs donner tous ses suffrages.

Mais enfin quelle joie en peut prendre ce coeur

Si d’une autre contrainte il souffre la rigueur?

Si d’un prince jaloux l’éternelle faiblesse

Reçoit indignement les soins de ma tendresse

Et semble préparer dans mon juste courroux

Un éclat à briser tout commerce entre nous?

Élise

Mais si de votre bouche il n’a point su sa gloire,

Est-ce un crime pour lui que de n’oser la croire?

Et ce qui d’un rival a pu flatter les feux

L’autorise-t-il pas à douter de vos voeux?

Done Elvire

Non, non, de cette sombre et lâche jalousie

Rien ne peut excuser l’étrange frénésie;

Et par mes actions je l’ai trop informé

Qu’il peut bien se flatter du bonheur d’être aimé.

Sans employer la langue, il est des interprètes

Qui parlent clairement des atteintes secrètes.

Un soupir, un regard, une simple rougeur,

Un silence est assez pour expliquer un coeur.

Tout parle dans l’amour, et sur cette matière

Le moindre jour doit être une grande lumière;

Puisque chez notre sexe, où l’honneur est puissant,

On ne montre jamais tout ce que l’on ressent.

J’ai voulu, je l’avoue, ajuster ma conduite,

Et voir d’un oeil égal l’un et l’autre mérite:

Mais que contre ses voeux on combat vainement,

Et que la différence est connue aisément,

De toutes ces faveurs qu’on fait avec étude

À celles où du coeur fait pencher l’habitude.

Dans les unes toujours on paraît se forcer;

Mais les autres, hélas! se font sans y penser,

Semblables à ces eaux, si pures et si belles,

Qui coulent sans effort des sources naturelles.

Ma pitié pour Don Sylve avait beau l’émouvoir,

J’en trahissais les soins sans m’en apercevoir.

Et mes regards au Prince, en un pareil martyre

En disaient toujours plus que je n’en voulais dire.

Élise

Enfin, si les soupçons de cet illustre amant,

Puisque vous le voulez, n’ont point de fondement;

Pour le moins font-ils foi d’une âme bien atteinte,

Et d’autres chériraient ce qui fait votre plainte.

De jaloux mouvements doivent être odieux,

S’ils partent d’un amour qui déplaise à nos yeux.

Mais tout ce qu’un amant nous peut montrer d’alarmes,

Doit lorsque nous l’aimons avoir pour nous des charmes;

C’est par là que son feu se peut mieux exprimer,

Et plus il est jaloux, plus nous devons l’aimer;

Ainsi puisqu’en votre âme un prince magnanime…

Done Elvire

Ah! ne m’avancez point cette étrange maxime!

Partout la jalousie est un monstre odieux;

Rien n’en peut adoucir les traits injurieux;

Et plus l’amour est cher, qui lui donne naissance,

Plus on doit ressentir les coups de cette offense.

Voir un prince emporté, qui perd à tous moments

Le respect que l’amour inspire aux vrais amants:

Qui dans les soins jaloux où son âme se noie

Querelle également mon chagrin et ma joie

Et dans tous mes regards ne peut rien remarquer

Qu’en faveur d’un rival il ne veuille expliquer.

Non, non, par ces soupçons je suis trop offensée,

Et sans déguisement je te dis ma pensée.

Le prince Don Garcie est cher à mes désirs,

Il peut d’un coeur illustre échauffer les soupirs:

Au milieu de Léon, on a vu son courage

Me donner de sa flamme un noble témoignage,

Braver en ma faveur les périls les plus grands,

M’enlever aux desseins de nos lâches tyrans.

Et dans ces murs forcés mettre ma destinée

À couvert des horreurs d’un indigne hyménée;

Et je ne cèle point que j’aurais de l’ennui

Que la gloire en fût due à quelque autre qu’à lui;

Car un coeur amoureux prend un plaisir extrême

À se voir redevable, Élise, à ce qu’il aime;

Et sa flamme timide ose mieux éclater

Lorsqu’en favorisant elle croit s’acquitter.

Oui, j’aime qu’un secours qui hasarde sa tête

Semble à sa passion donner droit de conquête.

J’aime que mon péril m’ait jetée en ses mains,

Et si les bruits communs ne sont pas des bruits vains;

Si la bonté du Ciel nous ramène mon frère,

Les voeux les plus ardents que mon coeur puisse faire,

C’est que son bras encor, sur un perfide sang

Puisse aider à ce frère à reprendre son rang.

Et par d’heureux succès d’une haute vaillance

Mériter tous les soins de sa reconnaissance:

Mais avec tout cela, s’il pousse mon courroux,

S’il ne purge ses feux de leurs transports jaloux,

Et ne les range aux lois que je lui veux prescrire,

C’est inutilement qu’il prétend Done Elvire.

L’hymen ne peut nous joindre, et j’abhorre des noeuds,

Qui deviendraient sans doute un enfer pour tous deux.

Élise

Bien que l’on pût avoir des sentiments tout autres,

C’est au Prince, Madame, à se régler aux vôtres,

Et dans votre billet ils sont si bien marqués

Que quand il les verra de la sorte expliqués…

Done Elvire

Je n’y veux point, Élise, employer cette lettre,

C’est un soin qu’à ma bouche il me vaut mieux commettre.

La faveur d’un écrit laisse aux mains d’un amant

Des témoins trop constants de notre attachement:

Ainsi donc empêchez qu’au Prince on ne la livre.

Élise

Toutes vos volontés sont des lois qu’on doit suivre.

J’admire cependant que le Ciel ait jeté

Dans le goût des esprits tant de diversité,

Et que ce que les uns regardent comme outrage

Soit vu par d’autres yeux sous un autre visage.

Pour moi je trouverais mon sort tout à fait doux

Si j’avais un amant qui pût être jaloux;

Je saurais m’applaudir de son inquiétude;

Et ce qui pour mon âme est souvent un peu rude,

C’est de voir Don Alvar ne prendre aucun souci.

Done Elvire

Nous ne le croyions pas si proche; le voici.

Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique)

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