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Scène 2
ОглавлениеDon Sylve, Done Elvire, Élise.
Don Sylve
Je sais que mon abord, Madame, est surprenant,
Et qu’être sans éclat entré dans cette ville,
Dont l’ordre d’un rival rend l’accès difficile,
Qu’avoir pu me soustraire aux yeux de ses soldats,
C’est un événement que vous n’attendiez pas.
Mais si j’ai dans ces lieux franchi quelques obstacles,
L’ardeur de vous revoir peut bien d’autres miracles,
Tout mon coeur a senti par de trop rudes coups
Le rigoureux destin d’être éloigné de vous;
Et je n’ai pu nier au tourment qui le tue
Quelques moments secrets d’une si chère vue.
Je viens vous dire donc que je rends grâce aux Cieux,
De vous voir hors des mains d’un tyran odieux.
Mais, parmi les douceurs d’une telle aventure,
Ce qui m’est un sujet d’éternelle torture,
C’est de voir qu’à mon bras les rigueurs de mon sort,
Ont envié l’honneur de cet illustre effort,
Et fait à mon rival, avec trop d’injustice,
Offrir les doux périls d’un si fameux service.
Oui, Madame, j’avais pour rompre vos liens
Des sentiments sans doute aussi beaux que les siens;
Et je pouvais pour vous gagner cette victoire,
Si le Ciel n’eût voulu m’en dérober la gloire.
Done Elvire
Je sais, Seigneur, je sais, que vous avez un coeur
Qui des plus grands périls vous peut rendre vainqueur;
Et je ne doute point que ce généreux zèle
Dont la chaleur vous pousse à venger ma querelle
N’eût contre les efforts d’un indigne projet
Pu faire en ma faveur tout ce qu’un autre a fait.
Mais sans cette action, dont vous étiez capable,
Mon sort à la Castille est assez redevable;
On sait ce qu’en ami plein d’ardeur et de foi
Le Comte votre père a fait pour le feu Roi,
Après l’avoir aidé, jusqu’à l’heure dernière,
Il donne en ses États un asile à mon frère.
Quatre lustres entiers, il y cache son sort
Aux barbares fureurs de quelque lâche effort;
Et pour rendre à son front l’éclat d’une couronne,
Contre nos ravisseurs vous marchez en personne.
N’êtes-vous pas content, et ces soins généreux
Ne m’attachent-ils point par d’assez puissants noeuds?
Quoi! Votre âme, Seigneur, serait-elle obstinée
À vouloir asservir toute ma destinée,
Et faut-il que jamais il ne tombe sur nous
L’ombre d’un seul bienfait qu’il ne vienne de vous?
Ah! souffrez dans les maux où mon destin m’expose,
Qu’aux soins d’un autre aussi, je doive quelque chose;
Et ne vous plaignez point de voir un autre bras
Acquérir de la gloire, où le vôtre n’est pas.
Don Sylve
Oui, Madame, mon coeur doit cesser de s’en plaindre:
Avec trop de raison vous voulez m’y contraindre,
Et c’est injustement qu’on se plaint d’un malheur,
Quand un autre plus grand s’offre à notre douleur.
Ce secours d’un rival m’est un cruel martyre;
Mais, hélas! de mes maux, ce n’est pas là le pire,
Le coup, le rude coup, dont je suis atterré,
C’est de me voir par vous ce rival préféré.
Oui, je ne vois que trop que ses feux pleins de gloire
Sur les miens dans votre âme emportent la victoire;
Et cette occasion de servir vos appas,
Cet avantage offert de signaler son bras,
Cet éclatant exploit qui vous fut salutaire,
N’est que le pur effet du bonheur de vous plaire,
Que le secret pouvoir d’un astre merveilleux,
Qui fait tomber la gloire où s’attachent vos voeux;
Ainsi tous mes efforts ne seront que fumée,
Contre vos fiers tyrans je conduis une armée.
Mais je marche en tremblant à cet illustre emploi,
Assuré que vos voeux ne seront pas pour moi,
Et que s’ils sont suivis, la fortune prépare
L’heur des plus beaux succès aux soins de la Navarre.
Ah! Madame, faut-il me voir précipité
De l’espoir glorieux dont je m’étais flatté;
Et ne puis-je savoir quels crimes on m’impute,
Pour avoir mérité cette effroyable chute?
Done Elvire
Ne me demandez rien avant que regarder
Ce qu’à mes sentiments vous devez demander;
Et sur cette froideur qui semble vous confondre,
Répondez-vous, Seigneur, ce que je puis répondre;
Car enfin tous vos soins ne sauraient ignorer
Quels secrets de votre âme on m’a su déclarer,
Et je la crois, cette âme, et trop noble, et trop haute,
Pour vouloir m’obliger à commettre une faute;
Vous-même, dites-vous, s’il est de l’équité,
De me voir couronner une infidélité.
Si vous pouviez m’offrir, sans beaucoup d’injustice
Un coeur à d’autres yeux offert en sacrifice,
Vous plaindre avec raison, et blâmer mes refus,
Lorsqu’ils veulent d’un crime affranchir vos vertus.
Oui, Seigneur, c’est un crime, et les premières flammes,
Ont des droits si sacrés sur les illustres âmes,
Qu’il faut perdre grandeurs, et renoncer au jour,
Plutôt que de pencher vers un second amour.
J’ai pour vous cette ardeur que peut prendre l’estime
Pour un courage haut, pour un coeur magnanime;
Mais n’exigez de moi que ce que je vous dois,
Et soutenez l’honneur de votre premier choix.
Malgré vos feux nouveaux, voyez quelle tendresse
Vous conserve le coeur de l’aimable comtesse;
Ce que pour un ingrat, (car vous l’êtes Seigneur,)
Elle a d’un choix constant refusé de bonheur.
Quel mépris généreux dans son ardeur extrême,
Elle a fait de l’éclat que donne un diadème;
Voyez combien d’efforts pour vous elle a bravés,
Et rendez à son coeur ce que vous lui devez.
Don Sylve
Ah! Madame, à mes yeux n’offrez point son mérite,
Il n’est que trop présent à l’ingrat qui la quitte;
Et si mon coeur vous dit ce que pour elle il sent,
J’ai peur qu’il ne soit pas envers vous innocent.
Oui, ce coeur l’ose plaindre, et ne suit pas sans peine
L’impérieux effort de l’amour qui l’entraîne,
Aucun espoir pour vous n’a flatté mes désirs,
Qui ne m’ait arraché pour elle des soupirs;
Qui n’ait dans ses douceurs fait jeter à mon âme,
Quelques tristes regards vers sa première flamme,
Se reprocher l’effet de vos divins attraits,
Et mêler des remords à mes plus chers souhaits.
J’ai fait plus que cela, puisqu’il vous faut tout dire:
Oui, j’ai voulu sur moi vous ôter votre empire,
Sortir de votre chaîne, et rejeter mon coeur
Sous le joug innocent de son premier vainqueur.
Mais après mes efforts ma constance abattue,
Voit un cours nécessaire à ce mal qui me tue;
Et dût être mon sort à jamais malheureux,
Je ne puis renoncer à l’espoir de mes voeux;
Je ne saurais souffrir l’épouvantable idée
De vous voir par un autre à mes yeux possédée;
Et le flambeau du jour qui m’offre vos appas
Doit avant cet hymen éclairer mon trépas.
Je sais que je trahis une princesse aimable,
Mais, Madame, après tout, mon coeur est-il coupable?
Et le fort ascendant que prend votre beauté
Laisse-t-il aux esprits aucune liberté?
Hélas! je suis ici bien plus à plaindre qu’elle,
Son coeur, en me perdant, ne perd qu’un infidèle.
D’un pareil déplaisir on se peut consoler;
Mais moi par un malheur qui ne peut s’égaler,
J’ai celui de quitter une aimable personne,
Et tous les maux encor que mon amour me donne.
Done Elvire
Vous n’avez que les maux que vous voulez avoir,
Et toujours notre coeur est en notre pouvoir;
Il peut bien quelquefois montrer quelque faiblesse,
Mais enfin, sur nos sens, la raison, la maîtresse…