Читать книгу Les Oeuvres Complètes de Molière (33 pièces en ordre chronologique) - Molière - Страница 159
Scène 3
ОглавлениеDon Garcie, Done Elvire, Don Alvare, Élise.
Don Garcie
Pour… Le Prince entre ici. Je viens m’intéresser,
Madame, au doux espoir, qu’il vous vient d’annoncer.
Ce frère qui menace un tyran plein de crimes,
Flatte de mon amour les transports légitimes.
Son sort offre à mon bras des périls glorieux,
Dont je puis faire hommage à l’éclat de vos yeux,
Et par eux m’acquérir, si le Ciel m’est propice,
La gloire d’un revers que vous doit sa justice;
Qui va faire à vos pieds choir l’infidélité,
Et rendre à votre sang toute sa dignité.
Mais ce qui plus me plaît, d’une attente si chère,
C’est que pour être roi, le Ciel vous rend ce frère;
Et qu’ainsi mon amour peut éclater au moins
Sans qu’à d’autres motifs on impute ses soins;
Et qu’il soit soupçonné, que dans votre personne
Il cherche à me gagner les droits d’une couronne.
Oui, tout mon coeur voudrait montrer aux yeux de tous,
Qu’il ne regarde en vous autre chose que vous;
Et cent fois, si je puis le dire sans offense,
Ses voeux se sont armés contre votre naissance,
Leur chaleur indiscrète a d’un destin plus bas
Souhaité le partage à vos divins appas,
Afin que de ce coeur le noble sacrifice
Pût du Ciel envers vous réparer l’injustice;
Et votre sort tenir des mains de mon amour,
Tout ce qu’il doit au sang dont vous tenez le jour.
Mais puisque enfin les Cieux, de tout ce juste hommage,
À mes feux prévenus dérobent l’avantage.
Trouvez bon que ces feux prennent un peu d’espoir
Sur la mort que mon bras s’apprête à faire voir;
Et qu’ils osent briguer par d’illustres services,
D’un frère et d’un État les suffrages propices.
Done Elvire
Je sais que vous pouvez, Prince, en vengeant nos droits
Faire par votre amour parler cent beaux exploits.
Mais ce n’est pas assez pour le prix qu’il espère
Que l’aveu d’un État, et la faveur d’un frère.
Done Elvire n’est pas au bout de cet effort,
Et je vous vois à vaincre un obstacle plus fort.
Don Garcie
Oui, Madame, j’entends ce que vous voulez dire,
Je sais bien que pour vous mon coeur en vain soupire;
Et l’obstacle puissant qui s’oppose à mes feux,
Sans que vous le nommiez, n’est pas secret pour eux.
Done Elvire
Souvent on entend mal ce qu’on croit bien entendre,
Et par trop de chaleur, Prince, on se peut méprendre.
Mais puisqu’il faut parler, désirez-vous savoir,
Quand vous pourrez me plaire, et prendre quelque espoir?
Don Garcie
Ce me sera, Madame, une faveur extrême.
Done Elvire
Quand vous saurez m’aimer, comme il faut que l’on aime.
Don Garcie
Et que peut-on, hélas! observer sous les cieux
Qui ne cède à l’ardeur que m’inspirent vos yeux?
Done Elvire
Quand votre passion ne fera rien paraître
Dont se puisse indigner celle qui l’a fait naître.
Don Garcie
C’est là son plus grand soin.
Done Elvire
C’est là son plus grand soin. Quand tous ses mouvements
Ne prendront point de moi de trop bas sentiments.
Don Garcie
Ils vous révèrent trop.
Done Elvire
Ils vous révèrent trop. Quand d’un injuste ombrage
Votre raison saura me réparer l’outrage;
Et que vous bannirez, enfin, ce monstre affreux,
Qui de son noir venin empoisonne vos feux.
Cette jalouse humeur dont l’importun caprice,
Aux voeux que vous m’offrez rend un mauvais office,
S’oppose à leur attente, et contre eux à tous coups
Arme les mouvements de mon juste courroux.
Don Garcie
Ah! Madame, il est vrai, quelque effort que je fasse,
Qu’un peu de jalousie en mon coeur trouve place,
Et qu’un rival absent de vos divins appas
Au repos de ce coeur vient livrer des combats.
Soit caprice, ou raison, j’ai toujours la croyance
Que votre âme en ces lieux souffre de son absence;
Et que malgré mes soins, vos soupirs amoureux
Vont trouver à tous coups ce rival trop heureux.
Mais si de tels soupçons ont de quoi vous déplaire,
Il vous est bien facile, hélas! de m’y soustraire;
Et leur bannissement, dont j’accepte la loi
Dépend bien plus de vous, qu’il ne dépend de moi.
Oui, c’est vous qui pouvez par deux mots pleins de flamme,
Contre la jalousie armer toute mon âme;
Et des pleines clartés d’un glorieux espoir
Dissiper les horreurs que ce monstre y fait choir.
Daignez donc étouffer le doute qui m’accable,
Et faites qu’un aveu d’une bouche adorable
Me donne l’assurance au fort de tant d’assauts,
Que je ne puis trouver dans le peu que je vaux.
Done Elvire
Prince, de vos soupçons la tyrannie est grande
Au moindre mot qu’il dit, un coeur veut qu’on l’entende,
Et n’aime pas ces feux dont l’importunité
Demande qu’on s’explique avec tant de clarté.
Le premier mouvement qui découvre notre âme,
Doit d’un amant discret satisfaire la flamme;
Et c’est à s’en dédire autoriser nos voeux
Que vouloir plus avant pousser de tels aveux.
Je ne dis point quel choix, s’il m’était volontaire,
Entre Don Sylve et vous, mon âme pourrait faire;
Mais vouloir vous contraindre à n’être point jaloux,
Aurait dit quelque chose à tout autre que vous;
Et je croyais cet ordre un assez doux langage
Pour n’avoir pas besoin d’en dire davantage.
Cependant votre amour n’est pas encor content;
Il demande un aveu qui soit plus éclatant.
Pour l’ôter de scrupule, il me faut à vous-même,
En des termes exprès, dire que je vous aime;
Et peut-être qu’encor pour vous en assurer
Vous vous obstineriez à m’en faire jurer.
Don Garcie
Hé bien, Madame, hé bien, je suis trop téméraire,
De tout ce qui vous plaît, je dois me satisfaire;
Je ne demande point de plus grande clarté,
Je crois que vous avez pour moi quelque bonté,
Que d’un peu de pitié mon feu vous sollicite,
Et je me vois heureux plus que je ne mérite.
C’en est fait, je renonce à mes soupçons jaloux,
L’arrêt qui les condamne est un arrêt bien doux;
Et je reçois la loi qu’il daigne me prescrire
Pour affranchir mon coeur de leur injuste empire.
Done Elvire
Vous promettez beaucoup, Prince, et je doute fort,
Si vous pourrez sur vous faire ce grand effort.
Don Garcie
Ah! Madame, il suffit, pour me rendre croyable,
Que ce qu’on vous promet doit être inviolable;
Et que l’heur d’obéir à sa divinité
Ouvre aux plus grands efforts trop de facilité;
Que le Ciel me déclare une éternelle guerre,
Que je tombe à vos pieds d’un éclat de tonnerre,
Ou pour périr encor par de plus rudes coups,
Puissé-je voir sur moi fondre votre courroux;
Si jamais mon amour descend à la faiblesse
De manquer aux devoirs d’une telle promesse;
Si jamais dans mon âme aucun jaloux transport
Fait…
Don Pèdre apporte un billet.
Done Elvire
Fait… J’en étais en peine, et tu m’obliges fort,
Que le courrier attende. À ces regards qu’il jette,
Vois-je pas que déjà cet écrit l’inquiète?
Prodigieux effet de son tempérament,
Qui vous arrête, Prince, au milieu du serment?
Don Garcie
J’ai cru que vous aviez quelque secret ensemble,
Et je ne voulais pas l’interrompre.
Done Elvire
Et je ne voulais pas l’interrompre. Il me semble
Que vous me répondez d’un ton fort altéré,
Je vous vois tout à coup le visage égaré;
Ce changement soudain a lieu de me surprendre,
D’où peut-il provenir, le pourrait-on apprendre?
Don Garcie
D’un mal qui tout à coup vient d’attaquer mon coeur.
Done Elvire
Souvent plus qu’on ne croit ces maux ont de rigueur;
Et quelque prompt secours vous serait nécessaire,
Mais encor dites-moi vous prend-il d’ordinaire?
Don Garcie
Parfois.
Done Elvire
Parfois. Ah! prince faible, hé bien par cet écrit,
Guérissez-le ce mal, il n’est que dans l’esprit.
Don Garcie
Par cet écrit, Madame, ah! ma main le refuse,
Je vois votre pensée, et de quoi l’on m’accuse;
Si…
Done Elvire
Si… Lisez-le, vous dis-je, et satisfaites-vous.
Don Garcie
Pour me traiter après, de faible, de jaloux?
Non, non, je dois ici vous rendre un témoignage
Qu’à mon coeur cet écrit n’a point donné d’ombrage;
Et bien que vos bontés m’en laissent le pouvoir,
Pour me justifier je ne veux point le voir.
Done Elvire
Si vous vous obstinez à cette résistance,
J’aurais tort de vouloir vous faire violence;
Et c’est assez enfin, que vous avoir pressé
De voir de quelle main ce billet m’est tracé.
Don Garcie
Ma volonté toujours vous doit être soumise,
Si c’est votre plaisir, que pour vous je le lise;
Je consens volontiers à prendre cet emploi.
Done Elvire
Oui, oui, Prince, tenez vous le lirez pour moi.
Don Garcie
C’est pour vous obéir au moins, et je puis dire…
Done Elvire
C’est ce que vous voudrez, dépêchez-vous de lire.
Don Garcie
Il est de Done Ignès, à ce que je connoi.
Done Elvire
Oui, je m’en réjouis, et pour vous, et pour moi.
Don Garcie lit.
“Malgré l’effort d’un long mépris,
Le tyran toujours m’aime, et depuis votre absence,
Vers moi pour me porter au dessein qu’il a pris,
Il semble avoir tourné toute la violence,
Dont il poursuivait l’alliance
De vous et de son fils.
“Ceux qui sur moi peuvent avoir empire
Par de lâches motifs qu’un faux honneur inspire,
Approuvent tous cet indigne lien;
J’ignore encor par où finira mon martyre:
Mais je mourrai plutôt que de consentir rien.
Puissiez-vous jouir, belle Elvire,
D’un destin plus doux que le mien.
“Done Ignès. “
(Il continue. )
Dans la haute vertu son âme est affermie.
Done Elvire
Je vais faire réponse à cette illustre amie,
Cependant apprenez, Prince, à vous mieux armer
Contre ce qui prend droit de vous trop alarmer.
J’ai calmé votre trouble avec cette lumière,
Et la chose a passé d’une douce manière;
Mais à n’en point mentir il serait des moments,
Où je pourrais entrer dans d’autres sentiments.
Don Garcie
Hé, quoi vous croyez donc…
Done Elvire
Hé, quoi vous croyez donc… Je crois ce qu’il faut croire.
Adieu, de mes avis conservez la mémoire,
Et s’il est vrai pour moi que votre amour soit grand,
Donnez-en à mon coeur les preuves qu’il prétend.
Don Garcie
Croyez que désormais, c’est toute mon envie,
Et qu’avant qu’y manquer, je veux perdre la vie.