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VIIe ENTRETIEN

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LA PESANTEUR ET LA VERTICALE

Depuis Icare, de mythologique et tragique mémoire, les hommes ont considéré comme un très enviable privilège celui de s’enlever dans les airs. Il n’est pas de poète qui n’ait adressé aux nuages quelques lyriques apostrophes pour leur demander où ils vont et d’où ils viennent, et surtout pour les prier de les emporter sur leurs ailes. Mais aucun nuage n’a exaucé la prière d’aucun poète, et les Parnassiens, tout comme les épiciers, sont restés et resteront attachés à la glèbe, sans espoir qu’aucun 89 vienne jamais abroger la loi qui les y rive.

Cette loi s’appelle la Pesanteur, et, quoique fort antérieure à 1789, il n’en est pas devant laquelle toutes les créatures de l’univers soient plus égales.

Oui, les êtres animés et les inanimés; le rhinocéros et l’hirondelle, le duvet que le vent emporte et l’argile visqueuse que fend avec effort le soc de la charrue; les lourds marteaux-pilons que soulèvent à peine les plus puissantes machines:

Et ces nuages purs qu’un jour mourant colore,

Et qu’un souffle léger, du couchant à l’aurore,

Roule en flocons de pourpre aux bords du firmament,

tous ces corps si divers obéissent également à la loi universelle, qui est ainsi rédigée dans le code éternel de la nature:

Tous les corps tendent à tomber vers la terre.

Pourquoi? Je vous l’ai déjà dit: Ne me demandez jamais pourquoi; je ne pourrais pas vous répondre.

Comment? j’essaierai de vous le dire. Et d’abord: également. — Oh! n’ouvrez pas ainsi les yeux; ne levez pas les sourcils avec cet air de doute. J’ai bien dit «également», et vous avez bien entendu.

— Quoi! ce palet de plomb qui m’a fait un bleu en me tombant sur le pied, et cette plume que le moindre souffle emporte, vous voudriez prétendre....

— Oui, mademoiselle, je voudrais prétendre que la pesanteur agit sur eux également, et que, lâchés ensemble à la même hauteur, il ne leur faudrait pas plus de temps à l’un qu’à l’autre pour arriver à terre si l’un des deux ne trouvait un support qui manque à l’autre pour, amortir et ralentir sa chute.

Au surplus, voici deux expériences que vous pouvez faire sans frais et sans appareil:

Vous admettez bien, n’est-il pas vrai, que deux pièces de cinq francs absolument pareilles tendent également à tomber vers la terre? Laissez-les cependant tomber à la fois et de la même hauteur, l’une dans un vase plein d’eau, l’autre hors du vase. Vous verrez celle qui tombe dans le vase arriver au fond longtemps après l’autre.

Pourquoi? Parce que l’eau l’a soutenue, a ralenti sa chute.

Et maintenant découpez avec des ciseaux un cercle de papier un peu plus petit qu’une pièce de cinq francs, et laissez-le tomber à côté de la pièce et de la même hauteur; vous aller voir le papier se dandiner en l’air, comme faisait tout à l’heure la pièce de cinq francs dans l’eau, et arriver à terre longtemps après la pièce. Ne trouvez-vous pas que les deux phénomènes sont identiques, et n’est-il pas évident que si le cercle de papier arrive après la pièce, c’est qu’il est soutenu par l’air, qui ralentit sa chute, absolument comme tout à l’heure la pièce était soutenue par l’eau?

Fig. 1.


Mais, si vous en doutiez encore, voici qui achèverait de vous convaincre: Placez le cercle de papier sur la pièce, de manière qu’il ne déborde d’aucun côté, et laissez tomber le tout. Cette fois, l’air ne peut plus soutenir le papier, puisqu’il est chassé devant lui par la pièce. Aussi voyez... la pièce et le papier viennent d’arriver à terre en même temps.

Par la fenêtre du cabinet de physique autour duquel nous nous promenons, et qu’on a oublié de fermer, voyez-vous ce grand tube de verre (fig. 1), d’environ deux mètres de long, où sont renfermés un petit morceau de papier, une plume, une balle de liège, une balle de plomb? C’est Galilée qui l’a inventé, le même qui affirma le premier que la terre tournait (je vous ai autrefois conté cette histoire). Et voici pourquoi il l’a inventé :

Quand, après avoir ramené tous les objets renfermés dans le tube à l’une de ses extrémités, on le retourne brusquement, on voit arriver au fond, d’abord la balle de plomb, puis bientôt, à intervalles inégaux, le liège, le papier, la plume, comme les Curiaces dans Corneille:

Chacun le suit d’un pas, ou plus ou moins pressé,

Selon qu’il se rencontre, ou plus ou moins..... léger.

On recommence alors la même expérience, mais après avoir au préalable ôté tout l’air qui remplissait le tube (je vous dirai plus tard comment on s’y prend), et alors plume et plomb, liège et papier, tout arrive au fond à la fois.

Ainsi donc, ma chère enfant, voilà qui est bien entendu; tous les corps tomberaient, s’ils étaient dans le vide, avec la même vitesse.

Mais, tomber, que veut dire ce mot? Il est bien vague. J’entends bien qu’un corps qui tombe se précipite vers la terre; mais suivant quelle direction? Un oiseau qui se pose après avoir longtemps rasé le sol, une pierre lancée par la main d’un écolier qui fait des ricochets, arrivent aussi à terre, et dans des directions bien différentes de celle d’une pierre que vous tenez entre vos doigts et que vous abandonnez à elle-même en les ouvrant.

C’est à cette dernière que s’applique le mot «tomber» ; c’est elle qui dessine en l’air la direction de la pesanteur. Si à cette pierre était fixé un pinceau imbibé d’encre, ce pinceau pourrait tracer le long d’un mur la vraie direction de la pesanteur.

Mais il n’est pas besoin de cet appareil compliqué : suspendez simplement la pierre au bout d’une ficelle, et laissez-la pendre librement; la ficelle conservera la trace de la chute. C’est elle qui marquera la direction de la pesanteur.

Et cette direction, savez-vous, ma chère enfant, comment on l’appelle? Oh! on l’appelle trop souvent d’un faux nom: Perpendiculaire. Les romanciers ne s’en font faute: «Comme il passait sous cette fenêtre, un billet, attaché à une pierre, tomba à ses pieds perpendiculairement. »

Ce mot est impropre. C’est verticalement qu’il faut dire, et la direction de ce fil au bout duquel nous avons suspendu une pierre (fig. 2), une balle de plomb, et que, pour cette raison, on appelle fil à plomb. C’est la verticale.

Il n’est pas d’instrument dont on se serve plus souvent dans l’industrie que ce fil à plomb. C’est lui qu’emploient les ouvriers chaque fois qu’ils veulent s’assurer si une direction est verticale.

Fig. 2.


Quand un maçon élève un mur, vous le voyez de temps en temps laisser le long de ce mur pendre son fil à plomb, et vérifier de l’oeil si la ficelle est partout également éloignée du mur. De même pour le charpentier, pour le menuisier, qui doivent placer verticalement, l’un ses pièces de charpente, l’autre ses portes et ses fenêtres. L’usage du fil à plomb est si fréquent chez les ouvriers, qu’au mot vertical la plupart ont substitué le mot aplomb. Ce mur est d’aplomb, ce poteau n’est pas d’aplomb, cette colonne a perdu son aplomb.

Dites donc, mon enfant, aplomb si vous voulez, en même temps que verticale, mais ne dites jamais dans ce sens perpendiculaire, qui a une tout autre acception.

Je vous l’ai déjà fait connaître quand nous avons fait ensemble un «voyage au pays des étoiles», et je vous ai dit alors que la verticale est perpendiculaire à la surface des eaux tranquilles, c’est-à-dire à l’horizontale, et par conséquent fait avec cette surface un angle droit. C’est sans doute pour cela que les gens du monde ont retenu de cette définition le mot seul de perpendiculaire et ont pris l’habitude de l’employer tout de travers.

C’est, j’espère, ce que vous, mon enfant, ne ferez jamais, et, pendant que je suis à faire la guerre aux locutions vicieuses des gens du monde.... Mais celle à laquelle je songe nous entraînerait trop loin, J’aime mieux la réserver pour un prochain entretien.

Promenade d'une fillette autour d'un laboratoire

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