Читать книгу Promenade d'une fillette autour d'un laboratoire - Paul Gouzy - Страница 5
ОглавлениеPHÉNOMÈNES ET LOIS
Quand le maître de philosophie propose à M. Jourdain de lui apprendre la physique: «Qu’est-ce qu’elle chante, cette physique?» demande M. Jourdain.
«La physique, dit le maître de philosophie, est celle qui explique les principes des choses naturelles, et les propriétés des corps; qui discourt de la nature des éléments, des métaux, des minéraux, des pierres, des plantes et des animaux, et nous explique les causes de tous les météores, l’arc-en-ciel, les feux volants, les comètes, les éclairs, le tonnerre, la foudre, la pluie, la neige, la grêle, les vents et les tourbillons. »
Et M. Jourdain de répondre: «Il y a trop de tintamarre là dedans, trop de brouillamini.»
Je suis, ma chère enfant, de l’avis de M. Jourdain, et ce n’est pas tout ce tintamarre et ce brouillamini que je veux vous apprendre.
Hélas! je le voudrais en vain, et le maître de philosophie était bien osé, de promettre à son élève «les causes de tous les météores!» Les causes, ma chère enfant, le maître de philosophie ne les savait pas, ni moi non plus, ni personne. Pourquoi les choses arrivent, c’est une question à laquelle l’humanité ne sait, et probablement ne saura jamais répondre. Comment elles arrivent, il faut déjà s’estimer bien heureux quand on peut le dire.
Que vais-je donc vous apprendre?... Voilà, ma chère enfant, que je parle encore comme le maître de philosophie:
«Que voulez-vous donc que je vous apprenne?»
Et ma réponse sera précisément celle de M. Jourdain:
«Apprenez-moi l’orthographe.»
Oh! rassurez-vous! Ce n’est pas de la règle des participes que je compte vous entretenir; mais on fait en ce monde bien d’autres fautes d’orthographe que celle qui consiste à faire mal à propos accorder un participe.
Quand une femme, et quelquefois un homme (disons-le tout bas), vous parle des degrés de froid du thermomètre, il ou elle fait une faute d’orthographe; faute d’orthographe aussi, quand vous vous enfermez dans un cabinet noir par peur de l’orage, et au malaise que cause à tout le monde le temps orageux, ajoutez, pour vous seule, celui de vous asphyxier à moitié dans un air irrespirable; faute d’orthographe quand, aux bains de mer ou de rivière, vous répétez, après tant d’autres, qu’on nage mieux dans dix mètres d’eau que dans une profondeur de deux mètres; faute d’orthographe... mais je n’en finirais pas si je voulais les énumérer toutes. Ma chère enfant, c’est de ces fautes d’orthographe-là que je veux essayer de vous préserver.
Non à grand renfort de science et de démonstrations arides,
Car je hais les robins, les pédants et les cuistres,
mais en causant avec vous comme causent deux bons amis. Je vous ai proposé de faire avec moi une promenade autour d’un laboratoire; ordinairement, autour voudra dire en dehors; si par hasard quelque fenêtre du laboratoire est restée ouverte, nous en profiterons pour jeter un coup d’œil sur les appareils qu’il renferme; mais, le plus souvent, nous nous contenterons du grand laboratoire que la nature offre partout à qui sait l’observer. Quand nous rencontrerons un phénomène, une loi qui vaudra qu’on s’y arrête, je vous l’expliquerai du mieux que je saurai. Quand je ne saurai pas (et cela m’arrivera souvent), je vous l’avouerai en toute franchise. Ainsi nous ferons, bras dessus, bras dessous, notre petite promenade, et, quand elle sera finie, je m’estimerai bien heureux si j’ai, si peu que ce soit, augmenté votre petit savoir, si je vous ai donné le désir d’apprendre davantage, et surtout... si je ne vous ai pas ennuyée.
Mais voilà qu’en causant j’ai prononcé les mots Lois et Phénomènes, et oublié une promesse que je me suis faite à moi-même: celle de n’employer aucun mot qui vous soit nouveau, sans vous en faire connaître le sens exact.
En fait de Phénomène, vous ne connaissez que ceux qu’on montre dans les foires. Pour vous, le mot Phénomène ne s’applique qu’à quelque chose d’extraordinaire, c’est comme un synonyme de prodige.
Il faudra le prendre désormais dans un sens plus large: une pierre qui tombe, le son que rend, quand vous la pincez, la corde d’un violon, la fente qu’en se congelant l’eau fait au vase où elle était renfermée, l’arc-en-ciel que le soleil, en se jouant dans le bouchon de la carafe, va peindre sur la nappe, voilà autant de phénomènes.
Vous savez que les savants ont la manie de parler grec en français. Eh bien, en grec, phénomène veut dire tout ce qui arrive, tout ce qui apparaît à nos sens, et c’est dans cette acception-là que nous emploierons ce mot désormais.
Quant au mot Loi, quelques exemples vont vous en rendre le sens très clair.
Si, ayant pincé successivement une corde de harpe, une corde de violon, une corde de basse, une corde de guitare, et ayant obtenu chaque fois un son, vous dites:
«Quand on pince une corde tendue, cette corde rend un son,» c’est une loi que vous avez énoncée.
Si, ayant recourbé un tuyau de caoutchouc en forme d’U majuscule — U — et y ayant versé de l’eau, vous remarquez que l’eau monte toujours dans les deux branches à la même hauteur, c’est encore une Loi que vous avez formulée.
Pourquoi? c’est que le phénomène du son rendu et celui de l’eau prenant son niveau, se sont produits toutes les fois que vous avez répété.les circonstances où ils s’étaient produits une fois, et jamais hors de ces circonstances; par exemple, si vous aviez regardé les cordes sans les pincer, ou l’U de caoutchouc sans en remplir la première branche, ni les cordes n’auraient rendu des sons, ni l’eau ne serait montée dans la seconde branche.
Et alors? — Et alors, la loi est l’ensemble des circonstances dans lesquelles un phénomène se produit toujours, et hors desquelles il ne se produit jamais.
Et puis? — Et puis, et puis, j’ai bien peur d’avoir manqué à ma promesse, et de vous avoir ennuyée avec mes lois et mes phénomènes. Mais soyez indulgente. Je commence, et ne savez-vous pas qu’en toutes choses c’est le commencement qui est le plus aride? Avant de jouer les sonatines qui vous amusent aujourd’hui, n’a-t-il pas fallu faire les plus ennuyeux exercices? avant de lire le Magasin d’éducation et de récréation, que je vois là sur votre table, épeler b — a — ba, et c — o — co?
Faites-moi donc, ma chère enfant, crédit de quelques entretiens, et je tâcherai que vous ne vous en repentiez pas trop.