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IIe ENTRETIEN

Table des matières

LA MATIÈRE ET LES CORPS.

«Tout ce qui apparaît à nos sens est un phénomène.» — «L’ensemble des circonstances dans lesquelles un phénomène se produit toujours est une loi.» J’ai, vous le voyez, monsieur, compris et retenu votre premier entretien. Or, quand je lis un livre attendrissant, je pleure; voilà bien un phénomène? et je pleure toujours; voilà bien une loi? Sont-ce les phénomènes de ce genre, et les lois de cette espèce, que vous comptez m’expliquer?»

Non, mon enfant, et vous me faites apercevoir que je n’ai pas commencé par le commencement.

Le phénomène et la loi dont vous me parlez n’ont rien à faire avec nos entretiens. L’un est un phénomène moral, l’autre une loi morale, et je ne compte vous entretenir que des phénomènes et des lois physiques, de celles qui ont la matière pour objet: j’aurais donc dû vous dire tout d’abord ce que c’est que la matière.

La matière? Eh bien, le caillou qui heurte votre pied, l’eau qui ruisselle du marbre des fontaines, la fumée qui s’envole derrière la locomotive, le nuage que le vent emporte, et le vent lui-même,

Et tout ce que l’on voit, l’on sent et l’on respire,

tout cela, c’est la matière.

Vous le saviez très bien avant que je ne vous le disse. Mais vous auriez été embarrassée de l’expliquer clairement en peu de mots. Si quelqu’un, désormais, vous demandait ce que c’est que la matière, dites-lui:

«La matière est tout ce qui frappe nos sens.»

Il n’en saura pas beaucoup plus qu’auparavant, car il n’est pas nécessaire de pouvoir définir la matière pour sentir nettement ce qu’elle est, mais vous lui aurez toujours montré que vous savez la définition qu’on en donne dans les livres.

L’essentiel est de bien s’entendre. Et, tenez, quand je vous disais tout à l’heure; Le caillou qui heurte votre pied, l’eau qui ruisselle du marbre de la fontaine, etc., tout cela c’est la matière, je me trompais. J’aurais dû vous dire: Tout cela, c’est de la matière. C’est une portion de matière limitée, une portion de matière limitée en tout sens. C’est ce que, d’un seul mot, nous appelons un corps.

— Un corps? oui, le caillou; oui, à la rigueur, l’eau qui coule de la vasque, puisque l’hiver dernier j’ai vu cette même eau gelée et enveloppant d’un manteau de cristal les naïades de bronze. Mais la fumée de la locomotive, un corps! Mais le nuage qui passe! Mais le vent qui l’emporte!...

— Oui, mon enfant, et un peu de réflexion fera cesser votre étonnement. Voici un morceau de soufre; voyez comme il est dur! il faudrait un marteau pour le briser; c’est bien un corps, n’est-ce pas? Mettez-le dans une terrine, et la terrine sur le feu.

Ce corps, si dur tout à l’heure, coule maintenant comme l’eau de la fontaine, et cependant c’est bien le même corps. Mais attendez et chauffez davantage: il n’y a plus rien dans la terrine. Où donc est passé le soufre que nous y avions mis? Sous nos yeux, à notre barbe (pardon, ma chère enfant, je voulais dire à ma barbe), il s’est envolé en fumée. Et c’est toujours le même soufre, et, par conséquent, le même corps. Et c’était de même un corps que la fumée de la locomotive, un corps que le nuage, un corps que le vent, ou plutôt que l’air agité qu’on appelle le vent.

— Mais ces corps, puisque corps il y a, sont du moins dans des états bien différents, et l’on aurait dû inventer des mots différents aussi pour les distinguer.

— C’est précisément ce qu’on a fait, mademoiselle, et si vous ne m’aviez pas interrompu, ce sont justement ces noms que j’allais vous apprendre.

Vous l’avez dit vous-même, les corps peuvent passer par trois états différents:

L’état dans lequel était le soufre en bâton qu’un marteau seul aurait pu casser, dont les... ah! mon Dieu, j’allais dire les molécules! Peste soit des définitions et des mots qui les exigent! Les molécules! C’est pourtant vrai que j’ai besoin de ce mot pour bien vous faire comprendre les trois états des corps!

Va donc pour les molécules, et remettons à plus tard les trois états.

Sachez donc que les corps (on le suppose du moins) sont tous composés de parties infiniment petites, si petites qu’on ne peut ni les couper, ni même concevoir qu’on les coupe elles-mêmes en plusieurs parties. C’est cette propriété de ne pouvoir être coupés qu’exprime (en grec toujours!) le mot atome, si bien que ces parties infiniment petites s’appellent des atomes.

Un certain nombre d’atomes forment ce que les physiciens appellent de ce terrible nom qui m’a forcé tout à l’heure à ouvrir une longue parenthèse, une molécule.

Voulez-vous, ma chère enfant, une comparaison (pas bien exacte! mais vous savez le proverbe: Comparaison n’est pas raison). Voulez-vous une comparaison qui vous donne, vaille que vaille, une idée des molécules et des atomes?

Voici une phrase ayant un sens qui forme un tout complet. Elle est l’image du corps. Les mots en sont les molécules, et, dans ces mots, vous pouvez encore séparer les lettres; mais arrivée à ce point de division, vous êtes au bout. Les lettres ne peuvent plus se diviser. Ce sont les atomes.

Remarquez de plus qu’avec les mêmes lettres différemment groupées, vous pouvez former des milliers de mots divers, qui, à leur tour, assemblés de mille façons différentes, serviront à former toutes les phrases qu’il vous plaira d’imaginer.

Ainsi les mêmes atomes, diversement groupés en myriades de molécules différentes, servent, par les milliers d’arrangements que peuvent à leur tour prendre ces molécules, à former tous les corps de l’univers.

Ce sont ces corps qui peuvent prendre les trois états que j’allais vous décrire quand le mot de molécule est venu si malencontreusement se jeter à la traverse.

Et maintenant que les atomes et les molécules n’ont plus... j’allais dire n’ont plus rien qui vous embarrasse, mais je retire l’expression, car je serais bien fâché, si vous trouviez trop clair ce qui reste et restera longtemps (toujours peut-être!) obscur pour tout le monde; disons simplement: maintenant que vous avez quelque idée de ce qu’on entend par les atomes et les molécules, nous pouvons dire ce que sont les trois états des corps.

Dans certains, les molécules, fortement attachées les unes aux autres, demandent, pour être séparées, un effort sensible. Ainsi, il faut une scie du plus fin acier pour séparer les molécules du fer ou du marbre. Une scie plus ordinaire suffit pour le bois dur; un couteau pour le bois tendre; des ciseaux pour les tissus; un couteau à peine tranchant, à lame d’argent, sépare les molécules des fruits. Tous ces corps, dont les molécules demandent pour être séparées les unes des autres des efforts plus ou moins grands, mais toujours sensibles, sont à l’état solide. Ce sont les corps solides.

Prenez au contraire des vases pleins d’huile, de lait, d’eau, d’éther, il suffit d’y plonger la main pour en séparer sans effort, sans effort sensible du moins, les molécules. Ces corps sont à l’état liquide. Ce sont les corps liquides.

Enfin, regardez la fumée dont la locomotive laisse derrière elle le mobile panache, ou celle dont la bouche du fumeur lance les capricieuses spirales, et vous reconnaîtrez non seulement que les molécules de ces corps ne résistent pas à l’effort de celui qui cherche à les séparer, mais encore que cet effort est inutile. D’elles-mêmes elles se séparent, se fuient, et le corps ne tarde pas à remplir, s’il est prisonnier, l’espace où on l’a enfermé, ou à s’étendre indéfiniment, s’il est libre, jusqu’à ce que ses molécules deviennent si rares qu’elles disparaissent aux yeux.

Ces corps sont à l’état gazeux, ce sont les gaz.

Et quand j’ai dit, tout à l’heure, que leurs molécules deviennent si rares qu’elles disparaissent aux yeux, je me suis mal exprimé, car un grand nombre de gaz, le plus grand nombre même, sont invisibles. Faisant partie de la matière, ils frappent nos sens, et souvent même trop pour notre plaisir, comme le gaz ammoniac, qui sent si mauvais qu’on ne peut le respirer sans pleurer. Ceux qui ont dégraissé des habits avec de l’eau où l’on a fait dissoudre ce gaz en savent quelque chose. Mais le. sens qu’ils frappent le moins, c’est la vue.

C’est au point que les gaz que j’avais choisis d’abord pour exemple, afin de vous parler de choses que vous connaissiez déjà : la fumée de la locomotive ou celle de la cigarette, ne sont pas de vrais gaz, mais de petits corps solides réduits en poussière impalpable, de microscopiques morceaux de charbon, que l’air chauffé emporte comme le vent emporte la poussière.

Il importe peu, au surplus, et l’essentiel est que vous vous fassiez, des trois états des corps, une idée bien nette.

Mais elle le serait bien peu, ma chère enfant, si vous vous imaginiez que la nature a réparti tous les corps de l’univers en trois catégories distinctes, exclusives, disant à l’un: Toi, tu appartiendras au monde des solides, et il faudra un instrument tranchant pour te diviser; à l’autre: Tes molécules céderont au moindre effort, et tu auras l’instabilité de l’onde: liquide à jamais tu seras; à l’autre enfin: Toi, tu ne connaîtras pas de bornes à ton désir de liberté : tes molécules profiteront de la moindre fissure au vase où la main de l’homme les enfermera, pour prendre la clef des champs; tu seras gaz.

Non, ce n’est pas ainsi que les choses se passent, et la nature, de qui l’on a dit en latin de cuisine: Natura non facit saltus, «la nature ne fait pas de saut,» a voulu que presque tous les corps pussent être successivement solides, liquides et gazeux.

Vous ne seriez pas, ma chère enfant, embarrassée pour m’en fournir vous-même la preuve, vous qui me parliez tout à l’heure du manteau de glace dont l’hiver couvre la naïade de la fontaine, et qui avez si souvent écouté le chant de la bouilloire dont l’eau s’échappe en gaz quand votre maman prépare le thé.

Solide, liquide, gazeux, sont donc trois adjectifs des plus relatifs, et qui conviennent successivement aux mêmes corps, quand changent les circonstances dans lesquelles ces corps se trouvent.

Et quand changent-elles? C’est, ma chère enfant, ce que vous apprendrez plus tard, si vous avez la patience de prêter votre attention à ces entretiens.

Promenade d'une fillette autour d'un laboratoire

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