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Le temple de Kio-Midzou,–un des plus beaux et des plus vénérés.–Il est, suivant l’usage, un peu perché dans la montagne, entouré de la belle verdure des bois.–Les rues par lesquelles on y monte sont assez désertes.–Les abords en sont occupés surtout par les marchands de porcelaine dont les étalages innombrables miroitent de vernis et de dorures. Personne dans les boutiques, personne dehors à les regarder.–Ces rues ne se peuplent qu’à certains jours de pèlerinage et de fête; aujourd’hui on dirait d’une grande exposition ne trouvant plus de visiteurs.

A mesure que l’on approche en s’élevant toujours, les marchands de porcelaine font place aux marchands d’idoles, étalages plus étranges. Des milliers de figures de dieux, de monstres, sinistres, méchantes, moqueuses ou grotesques; il y en a d’énormes et de très vieilles, échappées des vieux temples démolis, et qui coûtent fort cher; surtout il y en a d’innombrables en terre et en plâtre, débordant jusque sur le pavé, à un sou et même à moins, tout à fait gaies et comiques, à l’usage des petits enfants. Où finit le dieu, où commence le joujou? Les Japonais eux-mêmes le savent-ils?

Les marches deviennent vraiment trop rapides, et je mets pied à terre, bien que mes djin affirment que ça ne fait rien, que cette rue peut parfaitement se monter en voiture. A la fin, voici un vrai escalier en granit, monumental, au haut duquel se dresse le premier portique monstrueux du temple.

D’abord on entre dans de grandes cours en terrasse d’où la vue plane de haut sur la ville sainte; des arbres séculaires y étendent leurs branches, au dessus d’un pêle-mêle de tombes, de monstres, de kiosques religieux, et de boutiques de thé enguirlandées. Des petits temples secondaires, remplis d’idoles, sont posés çà et là au hasard. Et les deux grands apparaissent au fond, écrasant tout de leurs toitures énormes.

Une eau miraculeuse, que l’on vient boire de très loin, arrive claire et fraîche de la montagne, vomie dans un bassin par une chimère de bronze, hérissée, griffue, furieuse, enroulée sur elle-même comme prête à bondir.

Dans ces grands temples du fond, on est saisi dès l’entrée par un sentiment inattendu qui touche à l’horreur religieuse: les dieux apparaissent, dans un recul dont l’obscurité augmente la profondeur. Une série de barrières empêchent de profaner la région qu’ils habitent et dans laquelle brûlent des lampes à lumière voilée. On les aperçoit assis sur des gradins, dans des chaises, dans des trônes d’or. Des Bouddha, des Amidha, des Kwanon, des Benten, un pêle-mêle de symboles et d’emblèmes, jusqu’aux miroirs du culte shintoïste qui représentent la vérité; tout cela donnant l’idée de l’effrayant chaos des théogonies japonaises. Devant eux sont amoncelées des richesses inouïes: brûle-parfums gigantesques, de formes antiques; lampadaires merveilleux; vases sacrés d’où s’échappent en gerbe des lotus d’argent ou d’or. De la voûte du temple descendent une profusion de bannières brodées, de lanternes, d’énormes girandoles de cuivre et de bronze, serrées jusqu’à se toucher, dans un extravagant fouillis. Mais le temps a jeté sur toutes ces choses une teinte légèrement grise qui est comme un adoucissement, comme un coup de blaireau pour les harmoniser. Les colonnes massives, à soubassement de bronze, sont usées jusqu’à hauteur humaine par le frôlement des générations éteintes qui sont venues là prier; tout l’ensemble rejette l’esprit très loin dans les époques passées.

Des groupes d’hommes et de femmes défilent pieds nus devant les idoles, l’air inattentif et léger; ils disent des prières cependant, en claquant des mains pour appeler l’attention des Esprits; et puis s’en vont s’asseoir sous les tentes des vendeurs de thé, pour fumer et pour rire.

Le second temple est semblable au premier: même entassement de choses précieuses, même vétusté, même pénombre; seulement il a cette particularité plus étrange d’être bâti en porte à faux, suspendu au dessus d’un précipice; ce sont des pilotis prodigieux qui depuis des siècles le soutiennent en l’air. En y entrant, on ne s’en doute pas, mais quand on arrive au bout, à la véranda du fond, on se penche avec surprise, pour plonger les yeux dans le gouffre de verdure que l’on surplombe: des bois de bambous, d’une délicieuse fraîcheur et vus par en dessus en raccourcis fuyants. On est là comme au balcon de quelque gigantesque demeure aérienne.

D’en bas montent des bruits très gais d’eau jaillissante et d’éclats de rire. C’est qu’il y a là cinq sources miraculeuses, ayant le don de rendre mères les jeunes mariées, et un groupe de femmes s’est installé à l’ombre pour en boire.

C’est joli et singulier, un bois uniquement composé de ces bambous du Japon. Ainsi vu par en dessus cela paraît une série d’immenses plumes régulières et pareilles, teintes du même beau vert nuancé qui s’éclaircirait vers les pointes; et le tout est si léger, qu’au moindre souffle cela s’agite et tremble. Et ces femmes, au fond de ce puits de verdure, ont l’air de petites fées nippones avec leurs tuniques aux couleurs éclatantes bizarrement combinées, avec leurs hautes coiffures piquées d’épingles et de fleurs.

Ces choses fraîches à regarder sont un repos inattendu, après tous ces dieux terribles que l’on vient de voir à la lueur des lampes, et qu’on sent toujours là, derrière soi, alignés dans les sanctuaires obscurs.

Japoneries d'automne

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