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VII

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Le temple du Daï-Boutsou (du Grand-Bouddha) semble un temple pour rire, une énorme plaisanterie pour amuser les fidèles.

De ce «grand Bouddha» on ne voit qu’une tête et des épaules (d’au moins trente mètres de haut), ayant l’air de surgir des profondeurs du sol; le dieu a le cou tendu, comme quelqu’un qui se dégagerait péniblement de la terre. A lui seul il remplit tout, son temple et ses cheveux crépus en touchent la toiture.

On arrive chez lui comme chez tous les dieux, par une suite d’escaliers, de portiques, de cours. De la porte du sanctuaire, au premier coup d’œil, on ne s’explique pas bien ce que c’est que ce monticule d’or, ce tas informe, qu’on a devant soi (les épaules du Bouddha). Ce n’est qu’après, en levant beaucoup la tête, qu’on aperçoit en l’air cette colossale figure dorée, ces gros yeux fixes, abaissés de trente mètres de haut pour vous regarder avec une placidité niaise.

Je me trouve faire ce pèlerinage en même temps qu’une brave famille nippone de la province, qui visite pour la première fois la ville sainte, et ils n’en reviennent pas, ces bonnes gens, les dames surtout, de voir un dieu si gros; et ce sont des ah! des oh! des exclamations de surprise, des petits cris et des petits rires. Non, vraiment, il est trop drôle ce Bouddha, avec son cou de cigogne et son air bête; drôle à la manière de ces bonshommes de neige que les gamins font au coin des rues; drôle à la manière d’une gigantesque caricature, dont on aurait confié la confection à des petits enfants. Et voilà cette bonne petite famille provinciale, riant, sous le nez de ce dieu, riant aux larmes; ce que voyant, les autres visiteurs et même les bonzes gardiens, commencent à rire aussi. On me regarde, pour savoir quelle figure je vais faire: alors naturellement cela me gagne, c’était inévitable. Quel pays, que ce Japon, où tout est bizarrerie, contraste! Comment imaginer que ce petit peuple frivole, avec ses révérences et son éternel rire, ait pu vivre des siècles enfermé dans un si farouche mystère, et enfanter ces milliers de temples avec leurs monstres et leurs épouvantes?

En payant deux sous, on a le droit de faire le tour du «Grand-Bouddha»; on monte par des pentes de bois très raides qui vous font passer derrière la tête du colosse, un peu plus haut que sa nuque. Je m’engage là dedans, en compagnie toujours de la famille voyageuse; c’est glissant, cette pente, c’est vieux, crevassé, vermoulu; les dames manquent de tomber, j’avance la main pour les soutenir et nous voilà tout à fait amis. Derrière cette tête énorme, dans un recoin sombre, un vieux bonze se tient accroupi; pour un sou il nous montre une armure et un masque de guerre ayant appartenu au grand Taïko-Sama; puis nous ouvre de très antiques armoires-à-idoles où sont conservées des divinités à tête d’animal, des reliques de sinistre aspect. Là, on ne rit plus.

Dans la cour de ce temple est la plus monstrueuse de toutes les cloches de Kioto: au moins six ou huit mètres de tour. On la sonne au moyen d’une énorme poutre garnie de fer, sorte de bélier suspendu horizontalement par des cordes.

Pour deux nouveaux sous, on a le droit d’expérimenter la chose: je m’attelle aux courroies, alors on fait cercle et les enfants accourent. Deux ou trois jeunes filles viennent même bien vite s’atteler derrière moi, pour m’aider, me gênant beaucoup, pouffant de rire, tirant à rebours, faisant ensemble à peu près la force de trois bons chats.

Cependant le bélier cède, peu à peu se met en branle. Boum!.. boum!.. Un son caverneux, effroyable, prolongé en puissantes vibrations d’orchestre, et qui doit s’entendre dans toute la ville sainte.

Alors dans l’assistance, c’est une joie, un délire; on n’en revient pas, tout le monde en rit, tout le monde en est pâmé.

Quand le soir approche, on est un peu ahuri par tant de choses singulières que l’on a vues; un peu fatigué par ces courses folles dans le petit char sautillant qui vous a heurté à toutes les pierres de la route. On est lassé surtout de la monotonie sans fin des petites rues japonaises, de ces milliers de mêmes petites maisonnettes grises, ouvertes toutes, en hangar, comme pour montrer leur contenu pareil, leurs mêmes nattes blanches, leurs mêmes petites boîtes à fumer, leurs mêmes petits autels voués aux ancêtres. Et puis ces odeurs de race jaune, de cuisine au riz, de musc, de je ne sais quoi, vous écœurent. Et tout ce monde se retournant pour vous regarder comme une bête de ménagerie; ces rassemblements de jeunes femmes curieuses, formés tout de suite si l’on s’arrête: minois pareils, jaunes, enfantins, à tout petits yeux mignards, à traits vagues comme une ébauche. Et constamment cette politesse, et constamment ce rire... A la longue un agacement insurmontable vous vient de toutes ces choses.

Et tant de temples, tant de temples où l’on est entré. Tant de figures de dieux, de figures souriantes, ou mauvaises, ou funèbres, grimaces immobiles, contorsions figées, symboles inquiétants. Dans l’esprit tout cela finit par se mêler, se confondre, se déformer comme en rêve.

De tous ces temples, les plus lugubres sont ceux du dieu du riz. Tout petits toujours, presque en miniature, ils se tiennent cachés dans des recoins, ou sous des arbres, avec des airs de demeures malfaisantes; ils sont d’une simplicité, d’une rudesse voulues qui contrastent avec le luxe raffiné des autres. A leurs grillages de bois sont accrochés, noués partout, des morceaux de papier contenant des prières ou des sorts.

Au dedans de ces temples, on ne trouve jamais que des renards blancs, assis sur leur derrière dans la même pose consacrée, oreilles droites, comme les chacals, avec l’intérieur peint en rose; museau blême, rusé, méchant; lèvres retroussées en rictus de mort, sur des dents fines qui tiennent un mystérieux petit objet doré; posés sur des autels en miniature, ils se regardent entre eux,– et quelques-uns tombent en poussière...

Je ne sais pas bien ce que représente cette petite chose dorée, toujours la même, qui se retrouve entre toutes les dents pointues de ces renards des temples.

Japoneries d'automne

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