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CHAPITRE XXIII.

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Table des matières

L’ECRITURE nous parle en plusieurs endroits des Apparitions de Dieu aux hommes, ou réellement par le ministére des Anges, ou en vision par des songes&des éxtases. Il y a une belle description de Dieu sous la forme d’un Vieillard dans le septiéme Chapitre de Daniel, vers. 9. La même Ecriture nous parle aussi de plusieurs Apparitions d’Anges sous des formes humaines; c’est pourquoy l’Eglise dans le Concile de Nicée n’a point fait de difficulté de permettre aux Peintres de réprésenter Dieu le Pére sous la forme d’un Auguste Vieillard, &les Anges sous des formes humaines.

Il paroît aussi que le Peintre est en droit de peindre comme vivantes les choses mêmes inanimées, quand il ne fait en cela que suivre l’Idée que l’Ecricriture sainte nous en donne:&le Spéctateur ne doit pas se scandaliser facilement quand il voit dans quelques Tableaux des sujets saints mêlez avec quelques fictions Poëtiques, comme si les fictions&c la Poësie étoient indispensablement quelque chose de profane. Le Livre de Job, les Pseaumes de David& l’Apocalypse sont tous Poëtiques& pleins d’expressions figurées, sans comter toutes les Paraboles qui sont dans le reste de l’Ecriture. Ainsi, c’est suivant le Texte sacré que Raphaël dans le passage du Jourdain a peint sous une Figure humaine ce Fleuve, qui repousse ses eaux du côté de leur source. Il est autorisé en cela par l’Ecriture sainte, qui, pour se pro portionner à l’intelligence des hommes, a coutume d’exprimer les choses Divines sous la figure des choses humaines, &qui pour l’instruction des Fidéles, se sert d’idées&de comparaisons palpables&sensibles. Nous en avons même un passage au sujet des Fleuves, dans le97e. Pseaume, où il est dit, que les fleuves battront des mains,&que les montagnes tressailleront de joye en la présence du Seigneur. Le Peintre qui a la même intention d’instruire&d’édifier, ne sauroit suivre un meilleur modéle.

Le Poussin, qui dans son Tableau de Moïse trouvé, a tenu la même conduite pour réprésenter le Fleuve du Nil, en a été blâmé par quelques personnes,& voicy la raison qu’ils en apportent.

Ils disent qu’il ne faut point mêler les faux Dieux avec les choses de nôtre Réligion; que les fleuves sont de fausses divinitez qui étoient adorées par les Païens, lesquelles ne doivent point être introduites dans les Histoires saintes:& de plus, qu’il suffit au Peintre de réprésenter un fleuve simplement,&non en figure.

A quoy il est aisé de répondre, que de la même façon que l’Ecriture sainte, en introduisant des fleuves sous des figures humaines, n’a point eu intention de parler de ceux que les Païens adoroient,& que pouvant s’expliquer naturellement &simplement, elle s’est néanmoins servie d’un stile figuré, sans crainte de séduire les Fidéles: tout de même aussi, le Peintre Chrétien, qui doit imiter l’Ecriture, est fort éloigné de vouloir altérer la vérité de l’Histoire, il veut au contraire, en se conformant à son Original, la faire entendre plus vivement &plus élégamment, non à un Infidéle, mais à un Chrétien comme luy, qui étant prévenu contre les fausses divinitez, ne doit point chercher d’autre sens que celuy de la sainte Ecriture.

Mais à l’égard des divinitez Païennes qui sont introduites comme telles,& avec les caractéres qui les font connoître, il y a plus de difficulté à les admettre dans les Compositions. De Savans hommes ont agité cette matiére par rapport à la Poësie,&le Procés en est encore à juger. Mais le Peintre, qui n’a pas d’autre langage pour s’exprimer que ces sortes de figures, bien loin d’être blâmé de s’en servir, sera toûjours applaudi des Savans qui les verront ingénieusement&prudemment employées.

Car les fausses divinitez peuvent être considérées de deux manières, ou comme dieux, ou comme figures symboliques. Comme dieux, le Peintre ne les peut réprésenter que dans les sujets purement profanes, où il en est question en cette qualité:&comme figures symboliques, il peut s’en servir avec discrétion en toute autre rencontre où il les jugera nécessaires.

Rubens, qui de tous les Peintres s’est le plus ingénieusement&le plus doctement servi de ces symboles, comme on le peut voir par le Livre de l’Entrée du Cardinal Infant dans la Ville d’Anvers; &par les Tableaux de la Galerie de Luxembourg, a été censuré par quel ques-uns, pour avoir introduit dans ses Compositions ces figures allégoriques, &pour avoir, dit-on, mêlé la fable avec la vérité.

A quoy l’on peut répondre que par l’usage qu’en a fait Rubens, il n’a point confondu la fable avec la vérité, mais plutôt que pour éxprimer cette même vérité, il s’est servi des symboles de la fable. En effet, dans la Peinture de la Naissance de Louïs XIII. il a réprésenté au haut du Tableau sur des nüées un peu éloignées, Castor sur son Cheval aîlé, &à côté Apollon dans son Char qui monte en haut, pour marquer que ce Prince est né le matin,&que l’accouchement fut heureux.

D’où l’on peut insérer que le Peintre l’a point eu la pensée de réprésenter des dieux comme dieux, mais seulement de peindre Castor comme une constellation qui rend heureux les événemens,&le Char d’Apollon qui va en haut, pour signifier le tems du matin.

Et si le Peintre, dans la vuë de s’exprimer, a jugé à propos de réprésenter des divinitez de la fable parmi les figures historiques, il faut considérer ces symboles comme invisibles,&comme n’y étant que par leur signification.

C’est dans ce sens que le deuxiéme Concile de Nicée, autorisé en cela par l’Ecriture, a permis de réprésenter aux yeux des Fidéles Dieu le Pére&les Anges sous des figures humaines. Car il y auroit encore plus d’inconvénient à peindre les Personnes de la sainte Trinité& ses Anges, qu’il n’y en a à introduire dans la scéne d’un Tableau des divinitez païennes. Et les Chrétiens, étant suffisamment prévenus contre ces apparences, qui ne sont que pour leur instruction, doivent, pour en profiter, entrer dans l’esprit du Peintre,&les regarder comme n’y estant point.

L’autorité de peindre des aîles aux Anges se peut tirer de ceux de l’Arche d’Alliance,&du9e. Chapitre de Daniel v. 21. Mais ces passages n’obligent pas à donner indispensablement des aîles aux Anges, puisqu’il est certain qu’ils ont apparu toûjours sans aîles. Le Peintre néanmoins peut en user indifféremment, selon que son Art, le bon sens,&l’instruction des Fidéles l’éxigeront.

Mais tout ce qui est permis n’étant pas toûjours à propos, le Peintre doit user avec modération de l’autorité qu’il tire de l’Ecriture sainte,&prendre garde, qu’en voulant ménager l’avantage de son Art, il n’altére la vérité&la sainteté du sujet qu’il auroit à traiter.

Abregé de la vie des peintres

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