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CHAPITRE XXVIII.

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Table des matières

IL y a trois sortes de Connoissances sur le fait des Tableaux. La prémiére consiste à découvrir ce qui est bon&ce qui est mauvais dans un même Tableau. La seconde regarde le nom de l’Auteur. Et la troisiéme, va à savoir, s’il est Original ou Copie.

I.

Ce quil y a de bon&de mauvais dans un Tableau.

La prémiére de ces Connoissances, qui est sans doute la plus difficile à aquérir, suppose une pénétration&une finesse d’Esprit, avec une intelligence des Principes de la Peinture,&de la mesure de ces choses, dépend celle de la connoissance de cet Art. La pénétra tion&la délicatesse de l’Esprit servent à juger de l’Invention, de l’Expression générale du sujet des Passions de l’Ame en particulier, des Allégories,&de ce qui dépend du Costume&de la Poëtique: Et l’intelligence des Principes fait trouver la cause des effets que l’on admire, soit qu’ils viennent du bon Goût, de la Corroction ou de l’Elégance du Dessein; soit que les Objets y paroissent disposez avantageusement, ou que les Couleurs, les Lumières&les Ombres y soient bien entenduës.

Ceux qui n’ont pas cultivé leur Esprit par les connoissances des Principes, au moins spéculativement, pourront bien être sensibles à l’effet d’un beau Tableau: mais ils ne pourront jamais rendre raison des jugemens qu’ils en auront porté.

J’ay tâché par l’Idée que j’ay donnée du Peintre parfait, devenir aux secours des lumiéres naturelles, dont les Amateurs de Peinture sont déja pourvûs. Je ne prétens pas néanmoins les faire pénétrer dans tous les détails des parties de la Peinture; ils sont plutôt de l’obligation du Peintre, que du Curieux, je voudrois seulement mettre leur bon Esprit sur des voyes qui pûssent les conduire à une connoissance, qui découvrit, du moins en général, ce qu’il y a de bon&de mauvais dans un Tableau.

Ce n’est pas que les Amateurs de ce bel Art, qui auroient assez de Génie& d’inclination ne pussent entrer, pour ainsi dire, dans le Sanctuaire,&aquérir la connoissance de tous ces détails, par les lumières que des réflexions sérieuses leur procureroient insensiblement.

Le Goût des Arts étoit tellement à la mode du tems d’Alexandre, que pour ses connoître un peu à fond, on faisoit apprendre à dessiner à tous les jeunes Gentilshommes; de sorte que ceux qui avoient du talent, le cultivoient par l’exercice; ils s’en prévaloient dans l’occasion,&se distinguoient par la supériorité de leur connoissance. Je renvoye donc ceux, au moins qui n’ont pas aquis cette pratique manuelle, à l’Idée que j’ay donnée de la perfection.

II.

De quel Auteur est un Tableau.

La connoissance du nom des Auteurs vient d’une grande pratique,&pour avoir vû avec application quantité de Tableaux de toutes les Ecoles,&des principaux Maîtres qui les composent. De ces Ecoles on en peut comter six: la Romaine, la Vénitienne, la Lombarde, l’Allemande, la Flamande,&la Françoise. Et aprés avoir aquis par un grand Exercice une idée distincte de chacune de ces Ecoles, s’il est question de juger de qui est un Tableau, on doit raporter cet Ouvrage à celle de qui on croira qu’il approche le plus;&quand on aur trouvé l’Ecole, il faudra donner le Tableau à celuy des Peintres qui la composent, dont la maniére a plus de con formité avec cet Ouvrage. Mais de con noître bien cette maniére particuliére du Peintre, c’est à mon avis où con siste la plus grande difficulté.

On voit des Curieux qui se font une idée d’un Maître sur trois ou quatre Tableaux qu’ils en auront vûs,&qu croyent aprés cela avoir un titre suffisant pour décider sur sa maniére, sans faire réfléxion aux soins plus ou moins grans que le Peintre aura pris à les faire, ni à l’âge auquel il les aura faits.

Ce n’est pas sur les Tableaux particuliers du Peintre: mais sur le général de ses Ouvrages qu’il faut juger de son mérite. Car il n’y a point de Peintre qui n’ait fait quelques bons&quelques mauvais Tableaux, selon ses soins&le mouvement de son Génie. Il n’y en a point aussi qui n’ait eu son commencement, son progrés&sa fin; c’est-à-dire, trois manières: la première, qui tient de celle de son Maître; la seconde, qu’il s’est formé selon son Goût,&dans laquelle réside la mesure de ses talens,& de son Génie;&la troisiéme, qui dégénéré ordinairement en ce qu’on appelle maniére: parce qu’un Peintre, après avoir étudié lon-tems d’aprés la Nature, veut joüir, sans la consulter davantage, de l’habitude qu’il s’en est faite.

Quand un Curieux aura donc bien considéré les différens Tableaux d’un Maître, &qu’il s’en sera formé une idée complette de la manière que je viens de dire, pour lors, il luy sera permis de juger de l’Auteur d’un Tableau, sans être soupçonné de témérité. Cependant quoy qu’un bon Connoisseur, habile par les talens, par ses réfléxions,&par sa longue expérience, puisse quelquefois se tromper sur le nom de l’Auteur, (car qui ne se trompe point?) il sera du moins vray de dire, qu’il ne peut se tromper sur la justesse&sur la solidité de ses sentimens.

En effet, il y a des Tableaux qui ont été faits par des Disciples, lesquels ont suivi leurs Maîtres de fort prés,&dans le savoir,&dans la maniére. On a vû plusieurs Peintres qui ont suivi le Goût d’un autre Païs que le leur, comme il y en a eu, qui, dans leur Païs même, ont passé d’une manière à une autre, &qui dans ce passage ont fait plusieurs Tableaux sort équivoques sur ce qui regarde le nom de l’Auteur.

Néanmoins cet inconvénient ne manque pas de reméde pour ceux, qui, non contens de s’attacher au caractére de la main du Maître, ont assez de pénétration pour découvrir celuy de son Esprit: un habile homme peut facilement communiquer la façon dont il éxécute ses Desseins: mais non pas la finesse de ses pensées. Ce n’est donc pas assez pour découvrir l’Auteur d’un Tableau, de connoître le mouvement du Pinceau, si l’on ne pénétre dans celuy de l’Esprit: &bien que ce soit beaucoup d’avoir une idée juste du Goût que le Peintre a dans son Dessein, il faut de plus entrer dans le caractére de son Génie,&dans le tour qu’il est capable de donner à ses Conceptions.

Je ne prétens pas néanmoins réduire au silence sur cette matiére un Amateur de Peinture, qui n’aura, ni vû, ni éxaminé ce grand nombre de Tableaux; il est bon au contraire de parler pour aquérir&pour augmenter la connoissance. Je voudrois seulement que chacun mesurât son ton sur son éxpérience: la modestie qui siéd bien à ceux qui commencent, convient même aux plus éxpérimentez, sur tout dans les chofes difficiles.

III.

Si un Tableau est Original, ou Copie.

Mon intention n’est pas de parler icy des Copies médiocres, qui sont d’abord connuës de tous les Curieux, encore moins des mauvaises, qui passent pour telles aux yeux de tout le monde. Je suppose une Copie faite par un bon Peintre, laquelle mérite une sérieuse réfléxion,&mette en suspend, au moins quelque tems, la décision des Connoisseurs les plus habiles. Et de ces Copies, j’en trouve de trois sortes.

La première est faite fidélement, mais servilement.

La seconde, est légére, facile,&non fidéle.

Et la troisiéme, est fidéle,&facile.

La prémiére, qui est servile&fidèle, rapporte, à la vérité, le Dessein, la Couleur&les Touches de l’Original: mais la crainte de passer les bornes de la précision,&de manquer à la fidélité, appésantit la main du Copiste,&la fait connoître ce qu’elle est, pour peu qu’ elle soit éxaminée.

La seconde, seroit plus capable d’imposer, à cause de la légéreté du Pinceau, si l’infidélité des contours ne redressoit des yeux habiles.

Et la troisiéme, qui est fidéle&facile,&qui est faite par une main savante&légère,&sur tout dans le tems de l’Original, embarasse les plus grans Connoisseurs,&les met souvent au hazard de prononcer contre la vérité, quoy que selon la vrai-semblance.

S’il y a des choses qui semblent favoriser l’originalité d’un Ouvrage, il y en a aussi qui paroissent la détruire; comme la répétition du même Tableau, l’oubli où il a été durant beaucoup de tems, &le prix modique qu’il a coûté. Mais encore que ces considérations puissent être de quelque poids, elles sont souvent très-frivoles faute d’avoir été bien éxaminées.

L’oubli d’un Tableau vient souvent, ou des mains entre lesquelles il tombe, ou du lieu où il est, ou des yeux qui le voyent, ou du peu d’amour que son possesseur a pour la Peinture.

Le prix modique procéde ordinairement de la nécessité ou de l’ignorance de celuy qui vend.

Et la répétition d’un Tableau, qui est une cause plus spécieuse, n’est pas toûjours une raison bien solide. Il n’y a presque point de Peintre qui n’ait répété quelqu’un de ses Ouvrages, parce qu’il luy aura plû, ou parce qu’on luy en aura demandé un tout semblable. J’ay vû deux Viérges de Raphaël, lesquelles ayant été mises par curiosité l’une auprès de l’autre, persuadérent les connoisseurs qu’elles étoient toutes deux Originales. Titien a répété jusqu’à sept ou huit fois les mêmes Tableaux, comme on joue plusieurs fois une Comédie qui a réüssit. Et nous voyons plusieurs Tableaux répétez des meilleurs Maîtres d’Italie disputer encore aujourd’huy de bonté& de primauté. Mais combien en voyons-nous d’autres qui ont déçû les Peintres mêmes les plus habiles? Et parmi plusieurs éxemples que j’en pourrois donner, je me contenteray de rapporter icy celuy de Jules Romain, que j’ay tiré de Vasari.

Frédéric II. Duc de Mantouë, passant à Florence pour aller à Rome saluër le Pape Clément VII. vit dans le Palais de Médicis, au dessus d’une porte, le Portrait de Leon X. entre le Cardinal Jules de Médicîs&le Cardinal de Rossi. Les Têtes étoient de Raphaële,&les Habits de Jules Romain,&le tout étoit merveilleux. En effet le Duc de Mantouë., après l’avoir considéré, en devint si amoureux, qu’il ne pût s’empêcher quand il fut à Rome de le demander au Pape, qui le luy accorda fort gracieusement. Sa Sainteté fit aussi-tôt écrire à Octavien de Médicis, qu’il fit encaisser le Tableau,&qu’il l’envoyât à Mantouë. Octavien, qui étoit un grand Amateur de Peinture,&qui ne vouloit pas priver Florence d’une si belle chose, trouva moyen d’en différer l’envoy, sous prétexte de faire faire au Tablea une bordure plus riche. Ce délay donna le tems à Octavien de faire copier le Tableau par André del Sarte, qui en imita jusqu’aux petites taches qui étoient dessus. Cet Ouvrage en effet étoit si conforme à son Original, qu’Octavien luy-même avoit de la peine à les diftin guer,&que pour ne s’y pas tromper, il mit une marque derrière la Copie,& l’envoya à Mantouë quelques jours aprés. Le Duc la reçut avec toute la satisfaction possible, ne doutant point que ce ne fût l’Ouvrage de Raphaël non plus que Jules Romain, qui étoit auprès de ce Prince, &qui seroit demeuré toute sa vie dans cette opinion, si Vasari, qui avoit vû faire la Copie, ne l’avoit désabusé. Car celuy-cy étant arrivé à Mantouë, fut tres bien reçû de Jules Romain, qui, aprés luy avoir montré toutes les curiositez de ce Duc, luy dit qu’il leur restoit encore à voir la plus belle chose qui fût dans le Palais, savoir le Portrait de Leon X. de la main de Raphaël;&le luy ayant montré, Vasari luy dit, qu’il étoit en effet tres-beau, mais qu’il n’étoit pas de Raphaël. Jules Romain l’ayant plus attentivement considéré. Comment, repliqua-t’il, il n’est pas de Raphaël? Est-ce que je ne reconnois pas mon Ouvrage,& que je ne voy pas les coups de Pinceau que j’y ay donnez moy-même? Vous n’y prenez pas assez garde, repartit Vasari, car je puis vous assurer que je l’ay vu faire à André del Sarte:&qu’ainsi ne soit, vous y trouverez, derriére la toile une marque qu’on y mit éxprés pour ne le pas confondre avec l’Original. Jules Romain ayant donc tourné le Tableau,&s’étant apperçû de la vérité du fait, serra les épaules d’étonnement,&dit ces paroles. Je l’estime autant que s’il étoit de Raphaël, &même davantage: car il n’est pas naturel d’imiter un si éxcellent Homme, jusqu’à tromper.

Puisque Jules Romain, tout habile qu’il étoit, après avoir été averti,& avoir éxaminé le Tableau, persistoit vivement à se tromper dans le jugement qu’il faisoit sur son propre Ouvrage, comment pourroit-on trouver étrange que d’autres Peintres, moins habiles que luy, se laissassent surprendre sur l’Ouvrage des autres? C’est ainsi qu la vérité se peut quelquefois cacher à la sience la plus profonde,&que man quer sur les faits, n’est pas toûjours manquer à la justesse de ses jugemens.

Cependant quelque équivoque que soit un Tableau sur l’originalité, il porte néanmoins assez de marques extérieures pour donner lieu à un Connoisseur d’en dire, sans témérité, ce qu’il en pense bonnement; non pas comme une derniére décision, mais comme un sentiment fondé sur une solide connoissance.

Il me reste encore à dire quelque chose sur les Tableaux, qui ne sont ni Originaux, ni Copies, lesquels on appelle Pastiches, de l’Italien, Pastici, qui veut dire, Pâtez: parce que de même que les choses différentes qui assaisonnent un Pâté, se réduisent à un seul Goût; ainsi les faussetez qui composent un Pastiche, ne tendent qu’à faire une vérité.

Un Peintre qui veut tromper de cette forte, doit avoir dans l’esprit la maniére &les principes du Maître dont il veut donner l’idée, afin d’y réduire son Ouvrage, soit qu’il y fasse entrer quelque endroit d’un Tableau que ce Maître aura déja fait, soit que l’Invention étant de luy, il imite avec légéreté, non seulement les Touches, mais encore le Goût du Dessein,&celuy du Coloris. Il arrive très-souvent que les Peintres, qui se proposent de contrefaire la maniére d’un autre, ayant toûjours en vue d’imiter ceux qui font plus habiles que luy, fait de meilleurs Tableaux de cette sorte, que s’il produisoit de son propre fond.

Entre ceux qui ont pris plaisir à contrefaire ainsi la maniére des autres Peintres, je me contenteray de nommer icy David Teniers, qui a trompé,&qui trompe encore tous les jours les Curieux, lesquels n’ont point été prévenus sur l’habileté qu’il avoit à se transformer en Bassan,&en Paul Véronése. Il y a de ces Pastiches qui sont faits avec tant d’adresse, que les yeux même les plus éclairez y sont surpris au premier coup d’œil. Mais après avoir éxaminé la chose de plus prés, ils démêlent aussi-tôt le Coloris d’avec le Coloris,&le Pinceau d’avec le Pinceau.

David Teniers, par éxemple, avoit un talent particulier à contrefaire les Bassans: mais son Pinceau coulant&léger qu’il a employé dans cet artifice, est la source même de l’évidence de sa tromperie. Car son Pinceau, qui est coulant &facile, n’est ni si spirituel, ni si propre à caractériser les objets que celuy des Bassans, sur tout dans les Animaux.

Il est vray que Teniers a de l’union dans ses Couleurs: mais il y regnoit un certain Gris auquel il étoit accoûtumé, &son Coloris n’a, ni la vigueur, ni la suavité de celuy de Jacques Bassan. Il en est ainsi de tous les Pastiches,&pour ne s’y point laisser tromper, il faut éxaminer, par comparaison à leur modéle, le Goût du Dessein, celuy du Coloris, &le Caractére du Pinceau.


Abregé de la vie des peintres

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