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CHAPITRE XXVII.
De l’utilité des Estampes,&de leur usage.
ОглавлениеL’HOMME naît avec un désir de savoir,&rien ne l’empêche tant de s’instruire, que la peine qu’il y a d’apprendre,&la facilité qu’il a d’oublier; deux choses dont la plûpart des hommes se plaignent avec beaucoup de raison: car depuis que l’on recherche les Siences&les Arts,&que pour les pénétrer on a mis au jour une infinité de Volumes, on nous a mis en même tems devant les yeux un objet terrible&capable de reburer nôtre esprit&nôtre mémoire. Cependant nous avons plus que jamais besoin de l’un&de l’autre, ou du moins, de trouver les moyens de les aider dans leurs fonctions. En voicy un tres-puissant,&qui est une des plus heureuses productions des derniers siécles. C’est l’invention des Estampes.
Elles sont arrivées dans nôtre siécle à un si haut degré de perfection,&les bons Graveurs nous en ont donné un si grand nombre sur toutes sortes de matiéres, qu’il est vray de dire qu’elles sont devenuës les dépositaires de tout ce qu’il y a de plus beau&de plus curieux dans Le monde.
Leur Origine est de1460. Elle vient d’un nommé Maso Finiguérra Orfévre de Florence, qui gravoit sur ces Ouvrages,&qui en les moulant avec du souffre fondu, s’apperçût que ce qui sortoit du moule marquoit dans ses empreintes les mêmes choses que la graveure, par le noir que le souffre avoit tiré des tailles. Il essaya d’en faire autant sur des bandes d’argent avec du papier humide, en passant un rouleau bien uni par dessus, ce qui luy réüssit. Cette nouveauté donna envie à un autre Orfévre de la même Ville, nommé Baccio Baldini d’en essayer,&le succés luy fit graver plusieurs planches de l’Invention&du Dessein de Sandro Botticello;&sur ces Epreuves André Man teigne, qui étoit à Rome, se mit aussi à graver plusieurs de ses propres Ouvrages
La connoissance de cette Invention ayant passé en Flandres, Martin d’An vers, qui étoit alors un Peintre fameux, grava quantité de Planches de son Inven tion,&en envoya plusieurs Estampes en Italie, lesquelles étoient marquées de cette façon, M.C. Vasari, dans la Vie de Marc-Antoine en rapporte la plûpart des sujets, dont il y en a un entr’autres, (c’est la Vision de Saint Antoine) que Michelange, encore fort jeune trouva d’une Invention si extraordinaire, qu’il voulut la colorier. Aprés Martin d’Anvers, Albert Dure commença à paroître,&nous a donné une infinité de belles Estampes, tant en bois qu’au burin, qu’il envoya ensuite à Venise pour les faire vendre. Marc-Antoine qui s’y trouva pour lors, fut si émerveillé de la beauté de ces Ouvrages, qu’il en copia trente-six pieces, lesquelles réprésentent la Passion de Nôtre-Seigneur:&ces Copies furent reçûës dans Rome avec d’autant plus d’admiration, qu’elles étoient plus belles que les Originaux. Dans ce même tems Ugo du Carpi, Peintre Italien, d’une capacité médiocre, mais d’un Ésprit inventif, trouva par le moyen de plusieurs Planches de bois la maniére de faire des Estampes qui ressemblassent aux Desseins de Clair-obscur. Et quelques années aprés on découvrit l’Invention des Estampes à l’eau-forte, que le Parmésan mit aussitôt en usage.
Ces prémiéres Estampes attirérent par leur nouveauté l’admiration de tous ceux qui les virent,&les habiles Peintres qui travailloient pour la gloire, voulurent s’en servir pour faire part au monde de leurs Ouvrages. Raphaël entr’autres employa le burin du fameux Marc-Antoine pour graver plusieurs de ses Tableaux&de ses Desseins;&ces admirables Estampes ont été autant de Renommées, qui ont porté le nom de Raphaël par toute la Terre. Depuis Marc-Antoine un grand nombre de Graveurs se sont rendus recommandables, en Allemagne, en Italie, en France,&dans les Païs-Bas,&ont mis au jour, tant au burin, qu’à l’eau-forte une infinité de sujets de tous genres, Histoires, Fables, Emblêmes, Devises, Médailles, Animaux, Païsages, Fleurs, Fruits,& généralement toutes les Productions visibles de l’Art&de la Nature.
Il n’y a personne de quelque Eat& de quelque Profession qu’il soit, qui n’en puisse tirer une grande utilité: les Théologiens, les Réligieux, les Gens dévots, les Philosophes, les hommes de Guérre, les Voyageurs, les Géographes, les Peintres, les Sculpteurs, les Architéctes, les Graveurs, les Amateurs des beaux Arts, les Curieux de l’Histoire&de l’Antiquité,&enfin ceux, qui, n’ayant point de profession particuliére que celle d’être honnêtes gens, veulent orner leur Esprit des connoissances qui peuvent les rendre plus estimables.
On ne prétend pas que chaque personne soit obligée de voir tout ce qu’il y a d’Estampes pour en tirer de l’utilité, au contraire leur nombre presque infini &qui présenteroit tout à la fois tant d’Idées différentes, seroit plutôt capable de dissiper l’Esprit, que de l’éclairer. Il n’y a que ceux, qui en naissant, l’ont apporté d’une grande étenduë&d’une grande netteté, ou qui l’ont éxercé quelque tems dans la vuë de tant de diverses choses, qui puissent en profiter,& les voir toutes sans confusion.
Mais chaque particulier peut choisir seulement des sujets qui luy soient propres, &qui puissent, ou rafraîchir sa mémoire, ou fortifier ses connoissantes,&suivre en cela l’inclination qu’il a pour les choses de son Goût&de sa profession.
Aux Théologiens, par éxemple, rien n’est plus convenable qeu les Estampes qui regardent la Réligion&les Mystéres, les Histoires saintes,&tout ce qui découvre les prémiers Exercices des Chrêtiens&leur persécution, les Bas-reliefs Antiques, qui instruisent en beaucoup d’endroits des Cérémonies de la Réligion Païenne,&enfin tout ce qui a rapport à la nôtre, soit saint, soit profane.
Aux Dévots, les sujets qui élévent l’Esprit à Dieu,&qui peuvent l’entretenir dans son Amour.
Aux Réligieux, les Histoires sacrées en général,&ce qui concérne leur Ordre en particulier.
Aux Philosophes, toutes les Figures démonstratives qui regardent non seulement les expériences de Phisyque, mais toutes celles qui peuvent augmenter les connoissances qu’ils ont des chofes naturelles.
A ceux qui suivent les Armes, les Plans&les Elévations des Places de guerre, les Ordres de Batailles,&les Livres de Fortification, dont les Figures démonstratives font la plus grande partie.
Aux Voyageurs, les Vuës particulié res des Palais, des Villes,&des lieux considérables, pour les préparer aux choses qu’ils ont à voir, ou pour en conserver les Idées quand ils les auront vûës.
Aux Géographes, les Cartes de leu Profession.
Aux Peintres, tout ce qui peut les fortifier dans les parties de leur Art comme les Ouvrages Antiques, ceux de Raphaël&du Carrache pour le bon Goût, pour la correction du Dessein, pour la grandeur de maniére, pour le chois des airs de Tête, des passions de l’Ame,&des Attitudes: ceux du Corrége pour la grace&pour la finesse des expressions: ceux du Titien, du Bassan&des Lombards pour le caractére de la vérité,&pour les naïves éxpressions de la Nature,&sur tout pour le Goût du Païsage: ceux de Rubens pour un caractére de grandeur& de magnificence dans ses Inventions,& pour l’artifice, du Clair-obscur: ceux enfin, qui, bien que défectueux dans quelque partie, ne laissent pas de contenir quelque chose de singulier&d’éxtraordinaire. Car les Peintres peuvent tirer un avantage considérable de toutes les différentes maniéres de ceux qui les ont précédez, lesquelles sont autant de fleurs dont ils doivent ramasser, à la maniére des Abeilles, un suc, qui, ayant passé en leur propre substance, produira des Ouvrages utiles&agréables.
Aux Sculpteurs, les Statues, les Bas-Reliefs, les Médailles,&les autres Ouvrages Antiques: ceux de Raphaël, de Polydore,&de toute l’Ecole Romaine.
Aux Architéctes, les Livres qui concérnent leur Profession,&qui sont pleins de Figures démonstratives de l’Invention de leurs Auteurs, ou copiées d’aprés l’Antique.
Aux Graveurs, un chois de Piéces de différentes maniéres, tant au burin qu’à l’eau-forte. Ce chois leur doit servir aussi pour voir le progrés de la Graveure depuis Albert Dure jusqu’aux Ouvriers de nôtre tems, en passant par les Ouvrages de Marc-Antoine, de Corneille Cort, des Carraches, des Sadelers, de Goltius, de Muler, de Vostermans, de Pontius, de Bolsvert, de Vischer,&enfin par un grand nombre d’autres que je ne nomme point, qui ont eu un Caractére particulier,&qui par différentes voyes se sont tous efforcez d’imiter, ou la Nature, quand ils ont fait de leur Invention, ou les Tableaux de differentes maniéres, quand ils ont eu pour fin la fidé lité de leur imitation. En comparant: ainsi l’Ouvrage de tous ces Maîtres, ils peuvent juger lesquels ont mieux entendu La conduite des Tailles, le ménagement de la Lumière,&la valeur des tons pa rapport au Clair-obscur; lesquels on sû le mieux accorder dans leur burin la délicatesse avec la force&l’esprit de chaque chose avec l’éxtréme exactitude; afin que, profitant de ces Lumiéres, ils ayent la loüable ambition d’égaler ces habiles Maîtres, ou de les surpasser.
Aux Curieux de l’Histoire&de l’Antiquité, tout ce que l’on voit de gravé de l’Histoire Sainte&Profane,&de la Fable; les Bas-Reliefs Antiques, les Colonnes Trajanne&Antonine, les Livres de Médailles&de Piérres gravées,& plusieurs Estampes qui ont du rapport à la connoissance qu’ils veulent s’aquérir, ou se conserver.
A ceux enfin, qui, pour être plus heureux&plus honnêtes gens, veulent se former le Goût aux bonnes choses,& avoir une teinture raisonnable des beaux Arts, rien n’est plus nécessaire que les bonnes Estampes. Leur vue avec un peu de réfléxion les instruira promtement& agréablement de tout ce qui peut éxercer la raison,&fortifier le jugement. Elles rempliront leur mémoire des choses curieuses de tous les tems&de tous les Païs:&en leur apprenant les différentes Histoires, elles leur apprendront les diverses manières dans la Peinture. Ils en jugeront promtement par la facilité qu’il y a de feüilleter quelques papiers, &de comparer ainsi les Productions d’un Maître avec celles d’un autre:&de cette façon, en épargnant le tems, elles épargneront encore la dépense. Car il est presque impossible d’amasser en un même lieu des Tableaux des meilleurs Peintres dans une quantité suffisante, pour se former une Idée complete sur l’Ouvrage de chaque Maître:&quand avec beaucoup de dépense on auroit rempli un Cabinet spacieux de Tableaux de différentes maniéres, il ne pourroit y en avoir que deux ou trois de chacune; ce qui ne suffit pas pour porter un jugement bien précis du Caractére du Peintre, ni de l’étenduë de sa capacité. Au lieu, que par le moyen des Estampes, vous pouvez sur une table voir sans peine les Ouvrages des différens Maîtres, en former une Idée, en iuger par comparaison, en faire un chois,&contracter par cette pratique une habitude du bon Goût&des bonnes manières, sur tout, si cela se fait en présence de quelqu’un qui ait du discernement dans ces fortes de choses,&qui en sache distin guer le bon d’avec le médiocre.
Mais pour ce qui est des Connoisseurs &des Amateurs des beaux Arts, on ne peut leur rien préscrire, tout est soû mis, pour ainsi parler, à l’empire de leur connoissance; ils l’entretiennent par la vuë, tantôt d’une chose,&tantôt d’une autre, à cause de l’utilité qu’ils en reçoivent&du plaisir qu’ils y prennent Ils ont entr’autres celuy de voir dans ce qui a été gravé d’après les Peintres fameux, l’origine, le progrés&la per fection des Ouvrages; ils les suivent depuis le Giotto&André Manteigne, jusqu’à Raphaël, au Titien&aux Caraches. Ils éxaminent les différentes Ecoles de ces tems-là, ils voyent en com bien de branches elles se sont partagées par la multiplicé des Disciples,&en combien de façons l’Esprit humain est ca pable de concevoir une même chose, qui eft l’Imitation,&que de là font venuës tant de diverses maniéres, que les Païs les Tems, les Esprits,&la Nature par leur diversité nous ont produites.
Entre tous les bons effets qui peuvent venir de l’usage des Estampes, on s’est icy contenté d’en rapporter six, qui se ront juger facilement des autres.
Le premier est de divertir par l’imitation,&en nous réprésentant par leur Peinture les choses visibles.
Le2e. est de nous instruire d’une maniére plus forte&plus promte que par la parole. Les choses, dit Horace, qui entrent par les oreilles prennent un chemin bien plus long,&touchent bien moins que celles qui entrent par les yeux, lesquels sont des témoins plus sûrs&plus fidéles.
Le3e. D’abréger le tems que l’on em ployeroit à relire leschosesqui sont échapées de la mémoire,&de la rafraîchir en un coup d’œil.
Le4e. De nous réprésenter les choses absentes comme si elles étoient devant nos yeux,&que nous ne pourrions voir que par des voyages pénibles,& par de grandes dépenses.
Le5e. De donner les moyens de comparer plusieurs choses ensemble facilement, par le peu de lieu que les Estampes occupent, par leur grand nombre, & par leur diversité.
Et le6e. De former le Goût aux bonnes choses,&de donner au moins une teinture des beaux Arts, qu’il n’est pas permis aux honnêtes gens d’ignorer.
Ces effets sont généraux: mais chacun en peut sentir de particuliers selon ses lumiéres&son inclination;&ce n’est que par ces effets particuliers que chacun peut régler la collection qu’il en doit faire.
Car il est aisé de juger, que dans la diversité des conditions dont on vient de parler, la curiosité des Estampes, l’ordre,&le chois qu’il y faut tenir dé pendent du Goût&des vuës d’un chacun.
Ceux qui aiment l’Histoire, par éxemple, ne recherchent que les sujets qui y sont renfermez,&pour ne laisser rien échaper à leur curiosité, ils y tiennent cet ordre, qu’on ne peut assez louër. Ils suivent celuy des Païs,&des Tems:&tout ce qui regarde chaque Etat en particulier est contenu dans un ou dans plusieurs Porte-feüilles, dans lefquels on trouve:
Prémiérement les Portraits des Souverains qui ont gouverné un Païs, les Princes&Princesses qui en sont descendus, ceux qui ont tenu quelque rang considérable dans l’Etat, dans l’Eglise dans les Armes, dans la Robe: ceux qui se sont rendus recommandables dans les différentes Professions,&les Particuliers qui ont quelque part dans le Evénemens historiques. Ils accompagnent ces Portraits de quelques lignes d’écriture, qui marquent le caractére de la Personne, sa Naissance, ses Actions remarquables,&le tems de sa Mort.
2. La Carte générale&les particulières de cet Etat, les Plans&les Elévations des Villes, ce qu’elles enferment de plus considérable; les Châteaux, les Maisons Royalles,&tous les lieux particuliers qui ont mérité d’être donnez au Public.
3. Tout ce qui a quelque rapport à l’Histoire: comme les Entrées de Ville, les Carouzels, les Pompes Funébres, les Catafalques, ce qui regarde les Cérémonies, les Modes&les Coutumes; &enfin toutes les Estampes particulières qui sont historiques.
Cette recherche qui est faite pour un Etat est continuée pour tous les autres avec la même suite&la même œconomie. Cet ordre est ingénieusement inventé,&l’on en est redevable à un Gentilhomme, assez connu d’ailleurs par son mérite extraordinaire,&par le nombre de ses Amis.
Ceux qui ont de la passion pour les beaux Arts en usent d’une autre manière. Ils font des Recueils par rapport aux Peintres&à leurs Eléves. Ils mettent, par exemple, dans l’Ecole Romaine, Raphaël, Michelange, leurs Disciples. &leurs Contemporains. Dans celle de Venise, Giorgion, le Titien, les Bassans Paul Véronése, Tintoret,&les autres Vénitiens. Dans celle de Parme, le Corrége, le Parmésan,&ceux qui ont suivi leur Goût. Dans celle de Bologne, les Caraches, le Guide, le Dominiquain, l’Albane, Lanfranc,&le Guarchin, Dans celle d’Allemagne, Albert Dure. Holbens, les petits Maîtres, Guillaume Baure,&autres. Dans celle de Flandres, Otho-Vénius, Rubens, Vandeik, &ceux qui ont pratiqué leurs maximes: ainsi de l’Ecole de France,&de celles des autres Païs.
Quelques-uns assemblent leurs Estampes par rapport aux Graveurs, sans avoir égard aux Peintres; d’autres par rapport aux sujets qu’elles réprésentent, d’autres d’une autre façon,&il est juste de laisser à un chacun la liberté d’en user selon ce qui luy semblera plus utile&plus agréable.
Quoy qu’on puisse en tout tems&à tout âge tirer de l’utilité de la vuë des Estampes, néanmois celuy de la jeunesse y est plus propre qu’un autre: parce que le fort des enfans est la mémoire, &qu’il faut pendant qu’on le peut se servir de cette partie de l’ame, pour en faire comme un magasin,&pour les instruire des choses qui doivent contribuer à leur former le jugement.
Mais si l’usage des Estampes est utile à la Jeunesse, il est d’un grand plaifir &d’un agréable entretien à la Vieillesse. C’est un tems propre aU repos&aux réfléxions,&dans lequel, n’étans plus dissipez par les amusemens des prémiers âges, nous pouvons avec plus de loisir goûter les agrémens que les Estampes font capables de nous donner; soit qu’elles nous apprennent des choses nouvelles, soit qu’elles nous rappellent les Idées de celles qui nous étoient déjà connues; fait qu’ayant du Goût pour les Arts, nous jugions des différentes Productions que les Peintres&les Graveurs nous ont laissées; soit que n’ayant point cette connoissance, nous soyons flattez de l’epérance de l’aquérir; soit enfin que nous ne cherchions dans ce plaisir, que celuy d’exciter agréablement nôtre attention par la beauté&par la singularité des objets que les Estampes nous offrent. Car nous y trouvons les Païs, les Villes, &les lieux considérables que nous avons lûs dans les Histoires, ou que nous avons vûs nous-mêmes dans nos Voyages. De maniére que la grande variété, &le grand nombre des choses rares qui s’y rencontrent, peuvent même servir de Voyage, mais d’un Voyage commode &curieux à ceux qui n’en ont jamais fait, ou qui ne sont pas en état d’en faire.
Ainsi il est constant par tout ce que l’on vient de dire, que la vûë des belles. Estampes, qui instruit la jeunesse, qui rappelle&qui affermit les connoissances de ceux qui sont dans un âge plus avancé,&qui remplit si agréablement le loisir de la Vieillesse, doit être utile à tout le monde.
On n’a point crû devoir entrer dans le détail de tout ce qui peut rendre recommandable l’usage des Estampes; l’on croit que le peu qu’on en a dit est fusfisant pour induire le Lecteur à tirer des conséquences conformes à ses vuës&à fes bésoins.
Si les Anciens avoient eu en cela le même avantage que nous avons aujourd’huy,&qu’ils eussent par le moyen des Estampes transmis à la Postérité tout ce qui étoit chez eux de beau&de curieux, nous connaîtrions distinctement une infinité de belles choses dont les Historiens ne nous ont laissé que des idées confuses. Nous verrions ces fupérbes Monumens de Memphis&de Babylone, ce Temple de Jerusalem que Salomon avoit bâti dans sa magnificence. Nous jugerions des Edifices d’Athénes, de Corinthe&de l’ancienne Rome, avec plus de fondement encore&de certitude, que par les seuls fragmens qui qui nous en sont restez. Pausanias, qui nous fait une si éxacte déscription de la Gréce,&qui nous y conduit en tous lieux comme par la main, auroit accompagné ses Discours de Figures démonstratives, qui seroient venuës jusqu’à nous,&nous aurions le plaisir de voir, non selement les Temples&les Palais tels qu’ils étoient dans leur perfection, mais nous aurions aussi hérité des anciens Ouvriers l’Art de les bien bâtir. Vitruve, dont les démonstrations ont été perduës, ne nous auroit pas laissé ignorer tous les instrumens&toutes les machines qu’il nous décrit,&nous ne trouverions pas dans son Livre tant de lieux obscurs, si les Eftampes nous avoient confervé les Figures qu’il avoit faites,&dont il nous parle luy-même. Car en fait d’Arts, elles sont les lumières du Discours,& les véritables moyens par où les Auteurs se communiquent: C’est encore par le manque de ces moyens que nous avons perdu les Machines d’Archiméde&de Héron l’Ancien,&la connoissance de beaucoup de Plantes de Dioscoride, de baucoup d’Animaux,&de beaucoup de Productions curieuses de la Nature, que les veilles&les méditations des Anciens nous avoient découvertes. Mais sans nous arrêter à regretter des choses perduës, profitons de celles que les Estampes nous ont sauvées,&qui nous sont présentes.
L’IDÉE que je viens d’éxposer du Peintre parfait, peut à mon avis aider les Curieux dans le jugement qu’ils feront de la Peinture: mais comme la Connoissance des Tableaux demande encore quelque chose de plus pour être tout-à-fait complette, j’ay crû être obligé de dire icy ce qui me paroît sur cette matière.