Читать книгу Abregé de la vie des peintres - Roger de Piles - Страница 29
CHAPITRE XXIV.
ОглавлениеLES Peintres&les Sculpteurs qui sont fort savans dans le Dessein, cherchent ordinairement les occasions de faire du nud, pour s’attirer de l’estime &de la distinction,&en cela ils sont très-loüables, pourvû qu’ils demeurent dans les bornes de la vérité de l’Histoire, de la vrai-semblance,&de la modestie. Il y a des sujets qui sont plus favorables à réprésenter du nud les uns que les autres;&l’on s’en peut servir par éxemple, dans les Fables, dans la supposition des païs chauds, desquels nous n’avons point de rélation sur les modes,&parmi les Ouvriers des anciens tems. Caton le Censeur, au rap port de Plutarque, travailloit tout nud parmi ses Ouvriers lorsqu’il étoit revenu du Senat;&Saint Pierre étoit nud lorsque Nôtre-Seigneur s’apparut à luy aprés sa Résurrection,&qu’il le trouva pêchant avec d’autres Apôtres.
On se peut encore servir du nud dans la réprésentation des sujets allégoriques, dans celle des dieux& des Héros de l’Antiquité Païenne:&enfin dans les autres rencontres où l’on peut supposer la simple Nature,&où le froid&la malignité ne régnent point. Car les habits n’ont été inventez que pour garantir les hommes du froid&de la honte.
Il y a encore aujourd’huy beaucoup de Peuples qui vont tout nuds, parce qu’ils habitent des païs chauds, où l’habitude les a mis à couvert de l’indécence &de la honte. Enfin la régle générale qu’on doit suivre en cela, est, comme nous avons dit, qu’il n’y ait rien contre la modestie&le vrai-semblable.
Les Peintres réprésentent la plûpart de leurs Figures la tête&les pieds nuds,&cela se doit toûjours selon les loix de la simple Nature, qui à l’égard de ces deux parties s’accoûtume facilement à la nudité. Nous en voyons de éxemples, non seulement dans les païs chauds, mais encore au milieu des plus froides montagnes des Alpes, où les en sans mêmes vont pieds nuds, l’Eté parmi les pierres&les cailloux, l’Hyver parmi La néige&les glaçons.
Mais si on a égard à la vérité de l’Histoire, on trouvera que le nud est une licence dont les Peintres se sont mis en possession,&de laquelle ils se servent utilement pour l’avantage de leur Art; mais aussi dont ils abusent assez souvent. Je n’en éxcepte, ni Raphaël, ni le Poussin. Ils ont réprésenté les Apôtres pieds nuds contre ce qui est dit formellement dans l’Evangile, où Nôtre-Seigneur leur ordonnant de ne prendre aucune précaution pour leurs habits, leur dit positivement de se contenter des souliers qu’ils avoient aux pieds, sans en porter d’autres. Et dans les Actes des Apôtres, quand l’Ange délivra Saint Pierre, il luy dit de mettre sa ceinture,&d’attacher ses souliers: d’où l’on doit inférer qu’ils en avoient ordinairement.
Il en est de même de Moïse, qui dans la vision du Buisson ardent, fut averti de quitter ses souliers,&qui cependant est réprésenté par Raphaël pieds nuds dans les autres actions de sa vie, comme si Moïse n’avoit eu de chaussure que dans le temps qu’il gardoit les troupeaux de son beau-pére. On pourroit rapporter icy quantité d’éxemples où Raphaël &plusieurs autres Peintres aprés luy ont fait des Figures sans chaussure, contre l’Histoire&la vrai-semblance.
On remarque que les Sculpteurs Grecs ont fait plus ordinairement des Figures nuës que les Romains: je n’en say pas d’autre raison, sinon que les Grecs ont choisi des sujets plus convenables au désir qu’ils avoient de faire admirer la profondeur de leur Sience dans la construction&dans l’assemblage des parties du corps humain. Ils réprésentoient dans leurs Statuës plutôt des dieux que des hommes,&dans leurs Bas-reliefs, plutôt des baccanales&des sacrifices, que des histoires. Les Romains au contraire, qui vouloient par leurs Statuës&par leurs Bas-reliefs transmettre à la posté rité la mémoire de leurs Empereurs, se sont trouvez indispensablement obligez, pour ne rien faire contre l’Histoire, d’habiller leurs Figures selon la mode de leurs tems.