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LETTRE XIX.

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Delphine à mademoiselle d'Albémar.

Ce 27 mai.

J'ai relu plusieurs fois la lettre où Léonce peint son propre caractère avec la vérité la plus parfaite; vous n'avez pas conclu, je l'espère, de quelques lignes que je vous écrivis dans le premier moment, que mon estime pour M. de Mondoville fût le moins du monde altérée? Non assurément, rien de pareil n'est vrai; sa lettre à M. Barton indique au contraire des qualités rares, et une grande supériorité d'esprit; mais ce qui m'a frappée comme une lumière subite, c'est l'étonnant contraste de nos caractères.

Il soumet les actions les plus importantes de sa vie à l'opinion; moi, je pourrois à peine consentir à ce qu'elle influât sur ma décision dans les plus petites circonstances: les idées religieuses ne sont rien pour lui; cela doit être ainsi, puisque l'honneur du monde est tout. Quant à moi, vous le savez, grâce à l'heureuse éducation que vous et votre frère m'avez donnée, c'est de mon Dieu et de mon propre coeur que je fais dépendre ma conduite. Loin de chercher les suffrages du plus grand nombre, par les ménagemens nécessaires pour se les concilier, je serois presque tentée de croire que l'approbation des hommes flétrit un peu ce qu'il y a de plus pur dans la vertu, et que le plaisir qu'on pourroit prendre à cette approbation, finiroit par gâter les mouvemens simples et irréfléchis d'une bonne nature.

Sans doute, à travers l'irritabilité de Léonce sur tout ce qui tient à l'opinion, il est impossible de ne pas reconnoître en lui une âme vraiment sensible; néanmoins ne regrettez plus, ma soeur, ses engagemens avec Matilde; réjouissez-vous au contraire de ce qu'il ne sera jamais rien pour moi: les oppositions qui existent dans nos manières d'être, sont précisément celles qui rendroient profondément malheureux deux êtres qui s'aimeroient, sans les détacher l'un de l'autre.

Il me seroit impossible, quelle que fût ma résolution à cet égard, de veiller assez sur toutes mes actions pour qu'elles ne prêtassent point aux fausses interprétations de la société; et que ne souffrirois-je pas, si celui que j'aimerois ne supportoit pas sans douleur le mal que l'on pourroit dire de moi; si j'étois obligée de redouter les jugemens des indifférens, à cause de leur influence sur l'objet qui me seroit cher, de craindre toutes les calomnies parce qu'il souffriroit de toutes, et de me courber devant l'opinion, parce que j'aimerois un homme qui seroit son premier esclave!

Non, Léonce, ma chère Louise, ne convient pas à votre Delphine; ah! combien les sentimens de votre généreux frère, mon noble protecteur, répondoient mieux à mon coeur! il me répétoit souvent qu'une âme bien née n'avoit qu'un seul principe à observer dans le monde, faire toujours du bien aux autres et jamais de mal. Qu'importe à celle qui croit à la protection de l'Être suprême et vit en sa présence, à celle qui possède un caractère élevé, et jouit en elle-même du sentiment de la vertu, que lui importe, me disoit M. d'Albémar, les discours des hommes? elle obtient leur estime tôt ou tard, car c'est de la vérité que l'opinion publique relève en dernier ressort; mais il faut savoir mépriser toutes les agitations passagères que la calomnie, la sottise et l'envie excitent contre les êtres distingués. Il ajoutoit, j'en conviens, que cette indépendance, cette philosophie de principes convenoit peut-être mieux encore à un homme qu'à une femme; mais il croyoit aussi que les femmes, étant bien plus exposées que les hommes à se voir mal jugées, il falloit d'avarice fortifier leur âme contre ce malheur. La crainte de l'opinion rend tant de femmes dissimulées, que pour ne point exposer la sincérité de mon caractère, M. d'Albémar travailloit de tout son pouvoir à m'affranchir de ce joug. Il y a réussi; je ne redoute rien sur la terre que le reproche juste de mon coeur, ou le reproche injuste de mes amis: mais que l'opinion publique me recherche ou m'abandonne, elle ne pourra jamais rien sur ces jouissances de l'âme et de la pensée, qui m'occupent et m'absorbent tout entière. Je porte en moi-même un espoir consolateur, qui se renouvellera toujours, tant que je pourrai regarder le ciel, et sentir mon coeur battre pour la véritable gloire et la parfaite bonté.

Ce bonheur ou ce calme dont je jouis, que deviendroient-ils néanmoins, si par un renversement bizarre, c'étoit moi, foible femme, moi dont la destinée réclame; un soutien, qui savois mépriser l'opinion des homélies, tandis que l'être fort, celui qui doit me guider, celui qui doit me servir d'appui, auroit horreur du moindre blâme? Vainement je tâcherois, de me conformer à tous ses désirs; en adoptant une conduite qui ne me seroit point naturelle, je n'éviterois pas d'y commettre des fautes, et notre vie bientôt troublée auroit peut-être un jour une funeste fin.

Non, je ne veux point aimer Léonce; quand il seroit libre, je ne le voudrois point. J'ai eu besoin de me le répéter, de relire sa lettre, de détruire par de longues réflexions l'impression que m'avoit faite le danger qu'il vient de courir, mais j'y suis parvenue; mon âme s'est affermie, et je puis le voir maintenant avec le plus grand calme et la plus ferme résolution de ne considérer désormais en lui que l'époux de Matilde.

Delphine

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