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LETTRE XXXII.

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Delphine à mademoiselle d'Albémar.

Bellerive, ce 6 juillet.

Ma chère soeur, j'étois sans doute avertie par quelque pressentiment du ciel, lorsque j'éprouvois un si grand effroi de la journée d'hier. Oh! de quel événement ma fatale complaisance est la première cause! J'éprouve autant de remords que si j'étois coupable, et je n'échappe à ces réflexions que par une douleur plus vive encore, parle spectacle du désespoir de Thérèse. Et Léonce! Léonce! juste ciel! quelle impression recevra-t-il de mon imprudente conduite? Ma Louise, je me dis à chaque instant que si vous aviez été près de moi, aucun de ces malheurs ne me seroit arrivé. Mais la bonté, mais la pitié naturelles à mon caractère m'égarent, loin d'un guide qui sauroit joindre à ces qualités une raison plus ferme que la mienne.

Hier à deux heures après midi, M. d'Ervins alla dîner à Saint-Germain chez un de ses amis, se croyant assuré du départ de M. de Serbellane. Madame d'Ervins arriva chez moi vers cinq heures, seule, à pied, dans un état déplorable; et peu de momens après, M. de Serbellane vint très-secrètement pour lui dire un adieu, qui sera plus long, hélas! qu'ils ne l'imaginoient alors. Ma porte étoit défendue pour tout le monde, et pour M. d'Ervins en particulier; on disoit chez moi que j'étois partie pour Bellerive, et tous mes volets fermés du côté de la cour, servoient à le persuader. Je fus témoin, pendant trois heures, de la douleur la plus déchirante; je versai beaucoup de larmes avec Thérèse, et j'étois déjà bien abattue lorsque la plus terrible épreuve tomba sur moi.

Au moment où j'avois obtenu de Thérèse et de M. de Serbellane qu'ils se séparassent, un de mes gens entra, et me dit qu'un domestique de madame de Vernon m'apportoit un billet d'elle, et demandoit à me parler; je sors et je vois, jugez de ma terreur, je vois M. d'Ervins! Il étoit déjà dans la chambre voisine, et se débarrassant d'une redingotte à la livrée des gens de madame de Vernon, dont il s'étoit revêtu pour se déguiser: il s'avance tout à coup, malgré mes efforts, se précipite sur la porte de mon salon, l'ouvre, et trouve M. de Serbellane à genoux devant Thérèse, la tête baissée sur sa main. Thérèse reconnoît son mari la première, et tombe sans connoissance sur le plancher. M. de Serbellane la relève dans ses bras, avant d'avoir encore aperçu M. d'Ervins, et croyant que la douleur des adieux étoit la seule cause de l'état où il voyoit Thérèse. M. d'Ervins arrache sa femme des bras de son amant, et la jette sur une chaise, en l'abandonnant à mes secours; il se retourne ensuite vers M. de Serbellane, et tire son épée sans remarquer que son adversaire n'en avoit pas: les cris qui m'échappèrent attirèrent mes gens; M. de Serbellane leur ordonna de s'éloigner, et, s'adressant à M. d'Ervins, il lui dit:—Vous devez croire à madame d'Ervins, monsieur, des torts qu'elle n'a pas; je la quittois, je la priois de recevoir mes adieux.

M. d'Ervins alors entra dans une colère, dont les expressions étoient à la fois insolentes, ignobles et furieuses. A travers tous ses discours, on voyoit cependant la plus ferme résolution de se battre avec M. de Serbellane. J'essayai de persuader à M. d'Ervins que cette scène pourroit être ignorée de tout le monde; mais je compris par ses réponses une partie de ce que j'ai su depuis avec détail; c'est que M. de Fierville savoit tout, avoit tout dit, et que cette raison, plus qu'aucune autre encore, animoit le courage de M. d'Ervins.

M. de Serbellane souffroit de la manière la plus cruelle; je voyois sur son visage le combat de toutes les passions généreuses et fières; il étoit immobile devant une fenêtre, mordant ses lèvres, écoutant en silence les folles provocations de M. d'Ervins, et regardant seulement quelquefois le visage pâle et mourant de Thérèse, comme s'il avoit besoin de trouver dans ce spectacle des motifs pour se contenir.

Il me vint dans l'esprit, après avoir tout épuisé pour calmer M. d'Ervins, de détourner sa colère sur moi, et j'essayai de lui dire que c'étoit moi qui avois engagé madame d'Ervins à venir: je commençois à peine ces mots, que se rappelant ce qu'il avoit oublié, c'est que le rendez-vous s'étoit donné dans ma maison, il se permit sur ma conduite les réflexions les plus insultantes. M. de Serbellane alors ne se contint plus, et saisissant la main de M. d'Ervins, il lui dit:—C'en est assez, monsieur; c'en est assez; vous n'aurez plus affaire qu'à moi, et je vous satisferai.—Thérèse revint à elle dans ce moment. Quelle scène pour elle, grand Dieu! une épée nue, la fureur qui se peignoit dans les regards de son amant et de son mari, lui apprirent bientôt de quel événement elle étoit menacée; elle se jeta aux pieds de M. d'Ervins pour l'implorer.

Alors, soit que prêt à se battre, il éprouvât un ressentiment plus âpre encore contre celle qui en étoit la cause, soit qu'il fût dans son caractère de se plaire dans les menaces, il lui déclara qu'elle devoit s'attendre aux plus cruels traitemens, qu'il lui retireroit sa fille, qu'il l'enfermeroit dans une terre pour le reste de ses jours, et que l'univers entier connoîtroit sa honte, puisqu'il alloit s'en laver lui-même dans le sang de son amant. A ces atroces discours, M. de Serbellane fut saisi d'une colère telle, que je frémis encore en me la rappelant: ses lèvres étoient pâles et tremblantes, son visage n'avoit plus qu'une expression convulsive; il me dit à voix basse en s'approchant de moi:—Voyez-vous cet homme, il est mort; il vient de se condamner; je perdrai Thérèse pour toujours, mais je la laisserai libre, et je lui conserverai sa fille.—A ces mots, avec une action plus prompte que le regard, il prit M. d'Ervins par le bras et sortit.

Thérèse et moi nous les suivîmes tous les deux; ils étoient déjà dans la rue. Thérèse, en se précipitant sur l'escalier, tomba de quelques marches; je la relevai, j'aidai à la reporter sur mon lit, et je chargeai Antoine, le valet de chambre intelligent que vous m'avez donné, de rejoindre M. d'Ervins et M. de Serbellane, et de nous rapporter à l'instant ce qui se seroit passé.

Je tins serrée dans mes bras pendant cette cruelle incertitude la malheureuse Thérèse, qui n'avoit qu'une idée, qui ne craignoit au monde que le danger de M. de Serbellane.

Antoine revint enfin, et nous apprit que dans le fatal combat, M. d'Ervins avoit été tué sur la place. Thérèse, en l'apprenant, se jeta à genoux, et s'écria:—Mon Dieu, ne condamnez pas aux peines éternelles la criminelle Thérèse! accordez-lui les bienfaits de la pénitence; sa vie ne sera plus qu'une expiation sévère, ses derniers jours seront consacrés à mériter votre miséricorde!—En effet, depuis ce moment toutes ses idées semblent changées; le repentir et la dévotion se sont emparés de son esprit troublé: elle ne s'est pas permis de me prononcer une seule fois le nom de son amant.

Antoine, après nous avoir dit l'affreuse issue du combat, nous apprit qu'il avoit eu lieu dans les Champs-Élysées, presque devant le jardin de madame de Vernon. Lorsque M. d'Ervins fut tombé, M. de Serbellane vit Antoine et l'appela; il le chargea de me dire, n'osant pas prononcer le nom de Thérèse, qu'après un tel événement il étoit obligé de partir à l'instant même pour Lisbonne, mais qu'il m'écriroit dès qu'il y seroit arrivé. Ces derniers mots furent entendus de quelques personnes qui s'étoient rassemblées autour du corps de M. d'Ervins, et mon nom seul fut répété dans la foule. Antoine, appelé comme témoin par la justice, ne déposera rien qui puisse compromettre Thérèse, et mon nom seul, s'il le faut, sera prononcé; j'espère donc que je sauverai à Thérèse l'horrible malheur de passer pour la cause de la mort de son mari.

M. d'Ervins a un frère méchant et dur, qui seroit capable, pour enlever à Thérèse sa fille, et la direction de sa fortune, de l'accuser publiquement d'avoir excité son amant au meurtre de son mari. Thérèse me fit part de ses craintes, dont Isore seule étoit l'objet. Nous convînmes ensemble que nous ferions dire partout qu'une querelle politique, que je n'avois pu réussir à calmer, étoit la cause de ce duel. Je priai seulement madame d'Ervins de me permettre de tout confier à madame de Vernon, parce qu'elle étoit plus en état que personne de diriger l'opinion de la société sur cette affaire, et qu'elle avoit de l'ascendant sur M. de Fierville, qui paroissoit le seul instruit de la vérité. Je demandai aussi à Thérèse de me donner une grande preuve d'amitié, en consentant à ce que Léonce fût dépositaire de son secret; je lui avouai mon sentiment pour lui, et à ce mot Thérèse ne résista plus.

Delphine

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