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LETTRE XX.

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Delphine à mademoiselle d'Albémar.

Ce 31 mai.

Que vous disois-je dans ma dernière lettre, ma chère Louise? il me semble que je vais le démentir; je l'ai vu, Léonce. Ah! je n'ai plus aucun souvenir de ce que je pensois contre lui: comment pouvois-je mettre tant d'importance à ce que j'appelois ses défauts? Pourquoi le juger sur une lettre? l'expression de son visage le fait bien mieux connaître.

J'avois reçu hier une lettre de M. Barton, qui m'annonçoit qu'il avoit rencontré M. de Mondoville à Bordeaux, et qu'ils revendent ensemble: j'allai chez madame de Vernon pour lui porter ces bonnes nouvelles; j'avois l'esprit tout-à-fait libre; la lettre de Léonce avoit changé mes idées sur lui: je ne sais pas pourquoi elle avoit produit cette impression; en y pensant bien aujourd'hui, je trouve que c'étoit absurde; mais enfin, Léonce n'étoit plus pour moi que le mari de Matilde, le gendre de mon amie, et j'entretins pendant deux heures madame de Vernon de tout ce qui pouvoit avoir rapport à ce mariage, avec un sentiment d'intérêt qui lui fit beaucoup de plaisir. Elle ne s'étoit pas doutée, je crois, des pensées qui m'avoient troublée pendant quelques jours: mais la conversation ne s'étoit point prolongée sur Léonce, parce que je la laissois tomber involontairement; tandis qu'hier, par je ne sais quelle sécurité, à la veille même du danger, j'étois inépuisable sur les motifs qui dévoient attacher madame de Vernon à ses projets pour sa fille. Je ne conçois pas encore d'où me venoit ce bizarre mouvement; je voulois prendre, je crois, des engagemens avec moi-même, car cette vivacité ne pouvoit pas être naturelle: elle plut à madame de Vernon, qui me pressa vivement de passer le lendemain le jour entier avec elle.

Après dîner l'on annonça tout à coup M. Barton: sa figure me parut triste; je craignis quelque événement funeste, et je l'interrogeai avec crainte.—M. de Mondoville, nous dit-il, est arrivé hier avec moi; mais en chemin sa blessure s'est rouverte, et je crains que le sang qu'il a perdu ne mette en danger sa vie: il est dans un état de foiblesse et d'abattement qui m'inquiète extrêmement; il a repris la fièvre depuis huit jours, et il est maintenant hors d'état non-seulement de sortir, mais même de se tenir debout. Il voudroit, dit M. Barton en se retournant vers madame de Vernon, vous remettre des lettres de sa mère; il prend la liberté de vous demander de venir le voir: il n'ose se flatter que mademoiselle de Vernon consente à vous accompagner; cependant il me semble qu'à présent que les articles sont signés par madame de Mondoville, il n'y auroit point d'inconvenance….—Matilde interrompit M, Barton, et lui dit en se levant, d'un ton de voix assez sec:—Je n'irai point, monsieur; je suis décidée à n'y point aller.

Madame de Vernon n'essaie jamais de lutter contre les volontés de sa fille si positivement exprimées; elle a dans le caractère une sorte de douceur et même d'indolence, qui lui fait craindre toute espèce de discussion; ce n'est jamais par un moyen de force, de quelque nature qu'il soit, qu'elle veut atteindre à son but. Sans répondre donc à Matilde, elle s'adressa à moi, et me dit:—Ma chère Delphine, ce sera vous qui m'accompagnerez, n'est-ce pas? nous irons avec M. Barton chez Léonce.—Je m'en défendis d'abord, quoique par un mouvement assez inexplicable j'éprouvasse tant d'humeur du refus de Matilde, qu'il m'étoit doux d'opposer mon empressement à sa pruderie. Madame de Vernon insista: elle s'inquiétoit de la sorte de timidité dont elle est quelquefois susceptible avec une personne nouvelle: elle craignoit ces premiers mouvemens dans lesquels Léonce pouvoit se livrer à l'attendrissement. J'ai toujours vu madame de Vernon redouter tout ce qui oblige à des témoignages extérieurs, lors même que son sentiment est véritable. On l'accuse de fausseté, et c'est cependant une personne tout-à-fait incapable d'affectation. Une réunion si singulière est-elle possible? je ne le crois pas.

Lorsque enfin je ne pus douter que madame de Vernon ne désirât vivement que j'allasse avec elle, j'y consentis. Cependant quand nous fûmes en voiture, je me rappelai la lettre de Léonce à M. Barton, et il me vint dans l'esprit qu'un homme si délicat sur tout ce qui tient aux convenances, trouveroit peut-être un peu léger qu'une femme de mon âge vînt le voir ainsi chez lui sans le connoître. Cette pensée me blessa et changea tellement ma disposition, que je montai l'escalier de Léonce avec assez d'humeur; mais au moment où nous entrâmes dans sa chambre, lorsque je le vis étendu sur un canapé, pâle, pouvant à peine soulever sa tête pour me saluer, et néanmoins semblable en cet état à la plus noble, à la plus touchante image de la mélancolie et de la douleur, j'éprouvai à l'instant une émotion très-vive.

La pitié me saisit en même temps que l'attrait: tous les sentimens de mon âme me parloient à la fois pour ce malheureux jeune homme. Sa taille élégante avoit du charme, malgré l'extrême foiblesse qui ne lui permettoit pas de se soutenir. Il n'y avoit pas un trait de son visage qui, dans son abattement même, n'eût une expression séduisante. Je restai quelques instans debout, derrière M. Barton et madame de Vernon. Léonce adressa quelques remercîmens aimables à ma tante avec un son de voix doux, et cependant encore assez ferme; sa manière d'accentuer donnoit aux paroles les plus simples, une expression nouvelle; mais à chaque mot qu'il disoit, sa pâleur sembloit augmenter, et par un mouvement involontaire, je retenois ma respiration quand il parloit, comme si j'avois pu soulager et diminuer ainsi ses efforts.

Nous nous assîmes; il me vit alors.—Est-ce mademoiselle de Vernon? dit-il à ma tante.—Non, répondit madame de Vernon: elle n'ose point encore venir vous voir; c'est ma nièce, madame d'Albémar.—Madame d'Albémar! reprit Léonce assez vivement, celle qui a bien voulu prêter sa voiture à M. Barton pour venir me chercher! celle qui a daigné s'intéresser à mon sort avant de me connoître! Je suis bien honteux, répéta-t-il en tâchant d'élever la voix, je suis bien honteux d'être si mal en état de lui témoigner ma reconnoissance!—J'allois lui répondre lorsqu'en finissant ces mots, sa tête retomba sur sa main; je fis un mouvement pour me lever et lui porter du secours; mais rougissant aussitôt de mon dessein, je me rassis, et je gardai le silence. Léonce se tut aussi pendant quelques minutes. Tant de douceur et de sensibilité se peignit alors sur son visage, que j'oubliai entièrement l'opinion que j'avois eue de lui, et qui pouvoit garantir mon coeur. Mon attendrissement devenoit à chaque instant plus difficile à cacher. Les yeux et les paupières noires de Léonce accablé par son mal, se baissoient malgré lui; mais quand il parvenoit à soulever son regard et qu'il le dirigeoit sur moi, il me sembloit qu'il falloit répondre à ce regard; qu'il sollicitait l'intérêt, qu'il expliquoit sa pensée; et je me sentois émue, comme s'il m'avoit long-temps parlé.

N'ayez pas honte pour moi, ma Louise, de cette impression subite et profonde; c'est la pitié qui la produisoit, j'en suis sûre: votre Delphine ne seroit pas ainsi, dès la première vue, accessible à l'amour; c'étoit la douleur, la toute-puissante douleur qui réveilloit en moi le plus fort, le plus rapide, le plus irrésistible des sentimens du coeur, la sympathie.

Léonce s'aperçut, je crois, de l'intérêt que je prenois à sa situation; quoique je n'eusse pas parlé, c'est moi qu'il rassura.—Ce n'est rien, dit-il, madame; la fatigue de la route a rouvert ma blessure, mais elle est maintenant refermée, et dans quelques jours je serai mieux.—Je voulus essayer de lui répondre; mais je craignis qu'en parlant ma voix ne fût trop altérée, et j'interrompis ma phrase sans la finir. Madame de Vernon lui demanda des nouvelles de madame de Mondoville, lui dit quelques mots aimables sur l'impatience qu'elle avoit de le voir. Il répondit à tout d'un ton abattu, mais avec grâce. Madame de Vernon, craignant de le fatiguer, se leva, lui prit la main affectueusement, et donna le bras à M. Barton pour sortir.

Je m'avançai après elle, voulant enfin prendre sur moi d'exprimer mon intérêt à M. de Mondoville. Il se leva pour me remercier avant que je pusse l'en empêcher, et voulut faire quelques pas pour me reconduire; mais un étourdissement très-effrayant le saisit tout à coup; il cherchoit à s'appuyer pour ne pas tomber: je lui offris mon bras involontairement, et sa tête se pencha sur mon épaule; je crus qu'il alloit expirer. Ah! ma Louise, qui n'auroit pas été troublé dans un tel moment!—Je perdis toute idée de moi-même et des autres; je m'écriai:—Ma tante, venez à son secours, regardez-le, il va mourir.—Et mon visage fut couvert de larmes. M. Barton se retourna précipitamment, soutint Léonce dans ses bras, et le reconduisit jusqu'au sopha. Léonce revint à lui; il ouvrit les yeux avant que j'eusse essuyé mes pleurs; et les regards les plus reconnoissans m'apprirent qu'il avoit remarqué mon émotion.

Je m'éloignai alors, et madame de Vernon me suivit: il faisoit nuit quand nous revînmes; elle ne put, je crois, s'apercevoir de la peine que j'avois à me remettre, et d'ailleurs n'étoit-il pas naturel que je fusse inquiète de l'état où j'avois vu Léonce? J'appris à la porte de madame de Vernon que M. de Serbellane étoit venu me demander deux fois, et je me servis de ce prétexte pour rentrer chez moi: je m'y suis renfermée pour vous écrire.

Après ce récit, ma chère Louise, vous tremblerez pour mon bonheur: cependant n'oubliez pas combien la pitié a eu de part à mon émotion. L'intérêt qu'inspire la souffrance trompe une âme sensible: il peut arriver de croire qu'on aime, lorsque seulement on plaint. Cependant je n'accompagnerai plus madame de Vernon chez M. de Mondoville; il connoîtra bientôt Matilde, il sera frappé de sa beauté, et je pourrai le voir alors avec les sentimens que me commandent la délicatesse et la raison.

Mon amie, ma chère Louise, je suis déjà plus calme; mais c'est un malheur que de l'avoir vu ainsi entouré de tout le prestige du danger et de la souffrance. Pourquoi le mari de Matilde ne s'est-il pas d'abord offert à moi au milieu de toutes les prospérités qui l'attendent? Qu'avoit-il à faire de ma pitié?

Delphine

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