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LETTRE XXII.

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Table des matières

Delphine à mademoiselle d'Albémar.

Ce 3 juin.

Léonce est beaucoup mieux: il sortira bientôt; je ne l'ai pas revu. Madame de Vernon est retournée seule chez lui; je ne l'aurois pas suivie, mais elle ne me l'a pas proposé. Je n'ai pas non plus aperçu M. Barton; il a quitté Léonce pour ses affaires, qui sont sans doute les affaires du mariage. Quand je reverrai M. de Mondoville, ce sera peut-être pour signer son contrat comme parente de son épouse. Ma Louise, Léonce m'est apparu comme un songe, et le reste de ma vie n'en sera point changé. Qui pense à l'impression qu'il m'a faite? ni lui, ni personne. Allons, il ne faut plus vous en entretenir.

J'ai été d'ailleurs vivement occupée par l'arrivée de Thérèse. M. de Serbellane est venu ce matin chez moi pour me l'annoncer: il étoit abattu; et malgré l'habitude qu'il a prise de contenir toutes ses impressions, ses yeux se remplissoient quelquefois de larmes: il me conjura de venir voir madame d'Ervins.—Hélas! me disoit-il, elle se perdra! son âme est agitée par l'amour et le remords, avec une telle violence, qu'elle peut se trahir à chaque instant devant son mari, devant l'homme le plus irritable et le plus emporté. Si elle vouloit le fuir avec moi, il y auroit quelque chose de raisonnable dans son exaltation même; mais par une funeste bizarrerie, la religion la domine autant que l'amour, et son âme foible et passionnée s'expose à tous les dangers des sentimens les plus opposés. Elle peut aujourd'hui même avouer sa faute à son mari, et demain s'empoisonner, s'il nous sépare. Malheureuse et touchante personne! pourquoi l'ai-je connue!—Je vais la voir, lui dis-je, ses soins me sauvèrent la vie, ne pourrai-je donc rien pour son bonheur?—J'arrivai chez madame d'Ervins; la pauvre petite se jeta dans mes bras en pleurant. Je n'avois pas encore vu son mari, et son extérieur confirma l'opinion qu'on m'avoit donnée de lui. Il me reçut avec politesse, mais avec une importance qui me faisoit sentir, non le prix qu'il attachoit à moi, mais celui qu'il mettoit à lui-même. Il m'offrit à déjeûner, et notre conversation fut contrainte et gênée, comme elle doit toujours l'être avec un homme qui n'a de sentimens vrais sur rien, et dont l'esprit ne s'exerce qu'à la défense de son amour-propre. Il me parla continuellement de lui, sans remarquer le moins du monde si mon intérêt répondoit à la vivacité du sien. Quand il se croyoit prêt à dire un mot spirituel, ses petits yeux brilloient à l'avance d'une joie qu'il ne pouvoit réprimer; il me regardoit après avoir parlé pour juger si j'avois su l'entendre, et lorsque son émotion d'amour-propre étoit calmée, il reprenoit un air imposant, par égard pour son propre caractère; passant tour à tour des intérêts de son esprit à ceux de sa considération, et secrètement inquiet d'avoir été trop badin pour un homme sérieux, ou trop sérieux pour un homme aimable.

Après une heure consacrée au déjeûner, il se leva et m'expliqua lentement comment des affaires indispensables, que la bonté de son coeur lui avoit suscitées, des visites chez quelques ministres qu'il ne pouvoit retarder sans craindre de les offenser grièvement, l'obligeoient à me quitter. Je vis qu'il me regardoit avec bienveillance, pour adoucir la peine que je devois ressentir de son absence; j'aurois eu envie de le tranquilliser sur le chagrin qu'il me supposoit, mais ne voulant pas déplaire au mari de mon amie, je lui fis la révérence avec l'air sérieux qu'il désiroit, et son dernier salut me prouva qu'il en étoit content.

Restée seule avec Thérèse, je réunis tout ce que la raison et l'amitié peuvent inspirer pour lui faire goûter de sages conseils; mais ses larmes, ses regrets, ses résolutions combattues et démenties sans cesse, me firent éprouver une profonde pitié. Elle n'a point reçu cette éducation cultivée qui porte à réfléchir sur soi-même; on l'a jetée dans la vie avec une religion superstitieuse et une âme ardente; elle n'a lu, je crois, que des romans et la Vie des Saints; elle ne connoît que des martyrs d'amour et de dévotion; et l'on ne sait comment l'arracher à son amant, sans la livrer à des excès insensés de pénitence. La crainte de cesser de voir M. de Serbellane est la seule pensée qui puisse la contenir; si on l'obligeoit à se séparer de lui, elle avoueroit tout à son mari; elle a beaucoup d'esprit naturel, mais il ne lui sert qu'à trouver des raisons pour justifier son caractère; elle aime sa fille, mais sans pouvoir s'occuper de son éducation. Cette pauvre enfant, en voyant pleurer sa mère tout le jour, est dans un état d'attendrissement continuel qui nuit à ses forces morales et physiques; et M. d'Ervins ne se doute de rien au milieu de toutes ces scènes. Quand il surprend sa femme et sa fille en larmes, il leur demande pardon de les avoir trop peu vues, d'être resté trop long-temps dans son cabinet, ou chez ses amis; et il leur promet de ne plus s'éloigner à l'avenir. Cet aveuglement pourroit durer dans la retraite; mais à Paris, il se rencontre tant de gens qui ont envie d'humilier un sot, ou d'irriter un méchant homme!

J'ai peint à Thérèse quelle seroit sa situation, si M. d'Ervins faisoit tomber sur elle sa colère et son despotisme; que deviendroit-elle sans parens, sans fortune, sans appui? Elle me répond alors, que son dessein est de s'enfermer dans un couvent pour le reste de sa vie; et si je lui dis qu'il vaudroit peut-être mieux que M. de Serbellane allât passer quelque temps en Portugal auprès d'un de ses parens, comme c'étoit son projet en quittant l'Italie, elle tombe à cette idée dans un désespoir qui me fait frémir. Ah! Louise, quelles douleurs que celles de l'amour! Pauvre Thérèse! en l'écoutant, mon âme n'étoit point uniquement occupée d'elle; je pensois à Léonce, à ce que j'aurois pu souffrir. De quel secours me seroit un esprit plus éclairé que celui de Thérèse? La passion fait tourner toutes nos forces contre nous-mêmes: mais écartons ces pensées: c'est de ma malheureuse amie que je dois m'occuper. Le ciel en récompense se chargera peut-être de mon sort.

M. d'Ervins rentra, et M. de Serbellane vint quelques momens après. Thérèse nous retint: je vis avec plaisir pendant le reste de la journée que M. de Serbellane n'avoit point cherché à se lier avec M. d'Ervins: plus il étoit facile de captiver un tel homme en flattant sa vanité, plus je sus gré à l'ami de Thérèse de n'être pas devenu celui de son époux. Il est des situations qui peuvent condamner à cacher les sentimens qu'on éprouve, mais il n'y a que l'avilissement du caractère qui rende capable de feindre ceux que l'on n'a pas.

Mon estime pour M. de Serbellane s'accrut donc encore, par sa froideur avec M. d'Ervins. Il m'intéressoit aussi par le soin qu'il mettoit à veiller continuellement sur les imprudences de Thérèse. Elle rougissoit et pâlissoit tour à tour quand on prononçoit le nom du Portugal; M. de Serbellane détournoit à l'instant la conversation et protégeoit Thérèse, sans néanmoins la blesser en se montrant indifférent à son amour. Je fus cruellement effrayée de l'état où je la voyois; je la pris à part avant de la quitter, et je lui fis remarquer la délicatesse de la conduite de son ami et l'inconséquence de la sienne.—Je le sais, me répondit-elle, c'est le meilleur et le plus généreux des hommes. Je lui suis bien à charge sans doute, je ferois mieux de délivrer de moi ceux qui m'aiment, d'aller me jeter aux pieds de M. d'Ervins et de lui tout avouer.—En prononçant ces paroles, ses regards se troubloient; je craignis qu'elle ne voulût accomplir ce dessein à l'heure même; je la serrai dans mes bras, et je lui demandai la promesse de s'en remettre entièrement à moi.

—Écoutez, me dit-elle, je suis poursuivie par une crainte qui est, je crois, la principale cause de l'égarement où vous me voyez: je me persuade qu'il se croira obligé de partir sans m'en avertir, ou que mon mari me séparera de lui tout à coup, avant que j'aie pu lui dire adieu. Si vous obtenez de M. de Serbellane le serment qu'il ne s'en ira jamais sans m'en avoir prévenue, et si vous me donnez votre parole de me prêter votre secours pour le voir une heure seulement, une heure, quoi qu'il arrive, avant de le quitter pour toujours, alors je serai plus tranquille; je ne croirai pas, chaque fois qu'il me parlera, que ce sont les derniers mots que j'entendrai jamais de lui; je ne serai pas sans cesse agitée par tout ce que je voudrois lui dire encore, je serai calme.—Eh bien! lui répondis-je avec chaleur, à l'instant même vous allez être satisfaite.—M. d'Ervins parloit à un homme qui l'écoutoit avec la plus grande condescendance, il ne pensoit point à nous: j'appelai M. de Serbellane; il promit solennellement ce que désiroit Thérèse: je l'assurai moi-même aussi que je lui ferois avoir de quelque manière un dernier entretien avec M. de Serbellane, si jamais M. d'Ervins lui défendoit de le revoir. En donnant cette promesse, je ne sais quelle crainte me troubla; mais avant de connoître Léonce, je n'aurois pas seulement pensé qu'un tel engagement pouvoit un jour me compromettre. Je m'applaudis cependant de l'avoir pris, en voyant à quel point il avoit raffermi le coeur de Thérèse; elle m'entendit parler avec résignation des circonstances qui pourroient obliger M. de Serbellane à s'éloigner, et quand je la quittai, elle me parut tranquille. Je n'allai point le soir chez madame de Vernon, il ne m'étoit pas permis de lui confier le secret de Thérèse, je ne pouvois lui parler de Léonce, et comment éloigner d'une conversation intime les idées qui nous dominent? C'est causer avec son amie comme avec les indifférens, chercher des sujets de conversation au lieu de s'abandonner à ce qui nous occupe, et se garder, pour ainsi dire, des pensées et des sentimens dont l'âme est remplie. Il vaut mieux alors ne pas se voir.

Pour vous, ma Louise, à qui je ne veux rien taire, je n'éprouve jamais la moindre gêne en vous écrivant; je m'examine avec vous, je vous prends pour juge de mon coeur, et ma conscience elle-même ne me dit rien que je vous laisse ignorer.

Delphine

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