Читать книгу Delphine - Madame de Staël - Страница 31

LETTRE XXIII.

Оглавление

Table des matières

Delphine à mademoiselle d'Albémar.

Ce 5 juin.

Je l'ai revu, ma soeur, je l'ai revu: non ce n'est plus l'impression de la pitié, c'est l'estime, l'attrait, tous les sentimens qui auroient assuré le bonheur de ma vie. Ah! qu'ai-je fait! Par quels liens d'amitié, de confiance, me suis-je enchaînée? Mais lui, que pense-t-il? que veut-il? car enfin, pourroit-on le contraindre, s'il n'aimoit pas ma cousine, si…. De quels vains sophismes je cherche à m'appuyer! ne seroit-ce pas pour moi qu'il romproit ce mariage. J'aurois eu l'air de l'assurer par mes dons, et je le ferois manquer par ce qu'on appelleroit ma séduction. Je suis plus riche que Matilde; on pourroit croire que j'ai abusé de cet avantage; enfin, surtout, je blesserois le coeur de madame de Vernon: elle m'accuseroit de manquer à la délicatesse, elle dont l'estime m'est si nécessaire! Mais à quoi servent tous ces raisonnemens, Léonce m'aime-t-il? Léonce se dégageroit-il jamais de la promesse donnée par sa mère? Vous allez juger à quels signes fugitifs j'ai cru deviner son affection. Ah! journée trop heureuse, la première et la dernière peut-être de cette vie d'enchantement, que la merveilleuse puissance d'un sentiment m'a fait connoître pendant quelques heures!

On annonça M. de Mondoville hier chez madame de Vernon; il étoit moins pâle que la première fois que je l'avois vu, mais sa figure conservoit toujours le charme touchant qui m'avoit si vivement attendrie, et le retour de ses forces rendoit plus remarquable ce qu'il y a de noble et de sérieux dans l'expression de ses traits. Il me salua la première, et je me sentis fière de cette marque d'intérêt, comme si les moindres signes de sa faveur marquoient à chaque personne son rang dans la vie. Madame de Vernon le présenta à Matilde, elle rougit; je la trouvai bien belle: cependant, Louise, j'en suis sûre, lorsque Léonce après l'avoir très-froidement observée, se tourna vers moi, ses regards avoient seulement alors toute leur sensibilité naturelle.

M. Barton s'étoit assis à côté de moi sur la terrasse du jardin, Léonce vint se placer près de lui; madame de Vernon lui proposa de passer la soirée chez elle, il y consentit.

J'éprouvai tout à coup dans ce moment une tranquillité délicieuse; il y avoit trois heures devant moi pendant lesquelles j'étois certaine de le voir; sa santé ne me causoit plus d'inquiétude, et je n'étois troublée que par un sentiment trop vif de bonheur. Je causai longtemps avec lui, devant lui, pour lui; le plaisir que je trouvois à cet entretien m'étoit entièrement nouveau; je n'avois considéré la conversation jusqu'à présent que comme une manière de montrer ce que je pouvois avoir d'étendue ou de finesse dans les idées, mais je cherchois avec Léonce des sujets qui tinssent de plus près aux affections de l'âme: nous parlâmes des romans, nous parcourûmes successivement le petit nombre de ceux qui ont pénétré jusqu'aux plus secrètes douleurs des caractères sensibles. J'éprouvois une émotion intérieure qui animoit tous mes discours: mon coeur n'a pas cessé de battre un seul instant, lors même que notre discussion devenoit purement littéraire; mon esprit avoit conservé de l'aisance et de la facilité, mais je sentois mon âme agitée, comme dans les circonstances les plus importantes de la vie, et je ne pouvois le soir me persuader, qu'il ne s'étoit passé autour de moi aucun événement extraordinaire.

Chaque mot de Léonce ajoutait à mon estime, à mon admiration pour lui: sa manière de parler étoit concise, mais énergique; et quand il se servoit même d'expressions pleines de force et d'éloquence, on croyoit entrevoir qu'il ne disoit qu'à demi sa pensée, et que dans le fond de son coeur restoient encore des richesses de sentiment et de passion qu'il se refusoit à prodiguer. Avec quelle promptitude il m'entendoit! avec quel intérêt il daignoit m'écouter! Non, je ne me fais pas l'idée d'une plus douce situation, la pensée excitée par les mouvemens de l'âme, les succès de l'amour-propre changés en jouissances du coeur, oh! quels heureux momens! et la vie en seroit dépouillée!

Je m'aperçus cependant que Matilde, par ses gestes et sa physionomie, témoignoit assez d'humeur. Madame de Vernon, qui se plaît ordinairement à causer avec moi, parloit à son voisin sans avoir l'air de s'intéresser à notre conversation; enfin elle prit le bras de madame du Marset, et lui dit assez haut pour que je l'entendisse:—Ne voulez-vous pas jouer, madame? ce qu'on dit est trop beau pour nous.—Je rougis extrêmement à ces mots, je me levai pour déclarer que je voulois être aussi de la partie; Léonce m'en fit des reproches par ses regards. M. Barton vint vers moi, et me dit avec une bienveillance qui me toucha:—Je croirois presque vous avoir entendue pour la première fois aujourd'hui, madame; jamais le charme de votre conversation ne m'avoit tant frappé.—Ah! qu'il m'étoit doux d'être louée en présence de Léonce! Il soupira, et s'appuya sur la chaise que je venois de quitter. M. Barton lui dit à demi-voix:—Ne voulez-vous pas vous approcher de mademoiselle de Vernon?—De grâce, laissez-moi ici, répondit Léonce.—Ces mots, je les ai entendus, Louise, et leur accent surtout ne peut être oublié.

Quand la partie fut arrangée, Léonce, resté presque seul avec Matilde, vint lui parler; mais la conversation me parut froide et embarrassée. Je ne savois ce que je faisois au jeu: madame du Marset en prenoit beaucoup d'humeur: madame de Vernon excusoit mes fautes avec une bonté charmante: sa grâce fut parfaite pendant cette partie, et j'en fus si touchée, que je ne me rapprochai plus de Léonce; il me sembloit que la douceur de madame de Vernon l'exigeoit de moi. Elle voulut me retenir pour causer seule avec elle; je m'y refusai; je ne veux pas lui cacher ce que j'éprouve: qu'elle le devine, j'y consens, je le souhaite peut-être; mais je ne puis me résoudre à lui en parler la première. Ne seroit-ce pas indiquer le sacrifice que je désire? Je m'en sentirois plus à l'aise avec elle, si c'étoit moi qui lui dusse de la reconnoissance; alors je lui avouerois ma folie, je m'en remettrois à sa générosité; mais ce que je crains avant tout, c'est d'abuser un instant du service que j'ai pu lui rendre.

Ma soeur, consultez votre délicatesse naturelle, non votre injuste prévention contre madame de Vernon, et dites-moi ce que je devrois faire, s'il m'aimoit, s'il se croyoit libre. Hélas! ce conseil sera peut-être bien inutile; peut-être redoute-je des combats qu'il m'épargnera!

Delphine

Подняться наверх