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LETTRE XXIV.

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Léonce à M. Barton, à Mondoville.

Paris, ce 6 juin.

Vous êtes parti pour Mondoville par condescendance pour une seconde lettre de ma mère; je vous prie, mon cher Barton, d'y rester quelque temps. Je me servirai de ce prétexte pour retarder toute explication avec madame de Vernon sur mon mariage, et je pourrai écrire à ma mère, et peut-être trouver quelques moyens de me délivrer de sa promesse. Mon cher maître, vous le sentez vous-même, j'en suis sûr, quoique vous vous soyez refusé à me l'avouer; j'ai connu madame d'Albémar, je ne peux jamais aimer Matilde.

Pensez-vous que l'impression de la journée d'hier puisse s'effacer de mou coeur? Sans doute elle est belle, Matilde; vous me l'avez dit, je le crois; mais ai-je pu seulement la regarder? Je voyois, j'écoutois une femme comme il n'en exista jamais. C'est un être inspiré, que Delphine! L'avez-vous remarquée, lorsqu'elle s'adressoit à moi? J'étois assis à quelques pas d'elle dans le jardin: sa voix s'animoit, ses yeux-ravissans regardoient le ciel comme pour le prendre à témoin de ses nobles pensées; ses bras charmans se plaçoient naturellement de la manière la plus agréable et la plus élégante. Le vent ramenoit souvent ses cheveux blonds sur son visage; elle les écartoit avec une grâce, une négligence, qui donnoient à chacun de ses mouvemens une séduction nouvelle. Croyez-vous, mon cher Barton, qu'elle parlât avec plus d'intérêt à cause de moi? Vous m'avez dit que vous ne l'aviez jamais trouvée si aimable: auroit-elle voulu me plaire? Cependant elle m'a quitté si brusquement! mais c'étoit dans la crainte d'affliger madame de Vernon. Oh! sans doute nos âmes s'entendroient si j'étois libre, si je pouvois m'exprimer de toute la force de mon émotion et de ma pensée! Mais il faudra se réprimer long-temps encore, et saura-t-elle me deviner à travers tant de contraintes? elle, dont tout le charme est dans l'abandon, croira-t-elle aux sentimens contenus? saurat-elle que le coeur qui les renferme en est dévoré?

Je n'imaginois pas qu'il fût possible, mon cher Barton, qu'une seule personne réunît tant de grâces variées, tant de grâces qui sembleroient devoir appartenir aux manières d'être les plus différentes. Des expressions toujours choisies, et un mouvement toujours naturel, de la gaîté dans l'esprit, et de la mélancolie dans les sentimens, de l'exaltation et de la simplicité, de l'entraînement et de l'énergie! mélange adorable de génie et de candeur, de douceur et de force! possédant au même degré tout ce qui peut inspirer de l'admiration aux penseurs les plus profonds, tout ce qui doit mettre à l'aise les esprits les plus ordinaires, s'ils ont de la bonté, s'ils aiment à retrouver cette qualité touchante, sous les formes les plus faciles et les plus nobles, les plus séduisantes et les plus naïves.

Delphine anime la conversation en mettant de l'intérêt à ce qu'elle dit, de l'intérêt à ce qu'elle entend; nulle prétention, nulle contraints: elle cherche à plaire, mais elle ne veut y réussir qu'en développant ses qualités naturelles. Toutes les femmes que j'ai connues, s'arrangeoient plus ou moins pour faire effet sur les autres; Delphine, elle seule, est tout à la fois assez fière et assez simple, pour se croire d'autant plus aimable, qu'elle se livre davantage à montrer ce qu'elle éprouve.

Avec quel enthousiasme elle parle de la vertu! Elle l'aime comme la première beauté de la nature morale; elle respire ce qui est bien, comme un air pur, comme le seul dans lequel son âme généreuse puisse vivre. Si l'étendue de son esprit lui donne de l'indépendance, son caractère a besoin d'appui; elle a dans le regard quelque chose de sensible et de tremblant, qui semble invoquer un secours contre les peines de la vie; et son âme n'est pas faite pour résister seule aux orages du sort. O mon ami! qu'il sera heureux, celui qu'elle choisira pour protéger sa destinée, qu'elle élèvera jusqu'à elle, et qui la défendra de la méchanceté des hommes!

Vous le voyez, ce n'est point une impression légère que j'ai reçue: j'ai observé Delphine, je l'ai jugée, je la connois; je ne suis plus libre. Je veux écrire à manière; promettez-moi seulement, mon cher Barton, de faire naître des incidens qui vous retiennent un mois à Mondoville.

P. S. Je reçois à l'instant une lettre d'Espagne, qui m'est assez pénible; ma mère me mande que madame du Marset, qui lui écrit souvent comme vous le savez, l'a prévenue que mademoiselle de Vernon avoit une cousine très-spirituelle, mais singulièrement philosophe dans ses principes et dans sa conduite, enthousiaste des idées politiques actuelles, etc., et dont la société ne vaut rien pour moi. Ma mère me recommande de ne point me lier avec madame d'Albémar; c'est une prévention absurde que je parviendrai sûrement à détruire. Cependant je suis indigné contre madame du Marset, et je saisirai la première occasion de le lui faire sentir.

Delphine

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