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LETTRE XXV.

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Delphine à mademoiselle d'Albémar.

Ce 10 juin,

Il m'a parlé, ma chère, avec intérêt, avec intimité! Mon Dieu, combien je m'en suis sentie honorée! Écoutez-moi, ce jour contient plus d'un événement qui peut hâter la décision de mon sort.

J'avois dîné chez madame de Vernon avec madame du Marset, et son inséparable ami M. de Fierville; je ne sais par quel hasard, à l'heure même où Léonce a coutume de venir chez madame de Vernon, elle mit la conversation sur les événemens politiques. Madame du Marset se déchaîna contre ce qu'il y a de noble et de grand dans l'amour de la liberté, comme elle auroit pu le faire en parlant des malheurs que les révolutions entraînent; je la laissai dire pendant assez long-temps; mais quelques plaisanteries de M. de Fierville contre un Anglois, qui combattoit les absurdités de madame du Marset, m'impatientèrent. M. de Fierville vient toujours au secours de la déraison de son amie, en tournant en ridicule le sérieux que l'on peut mettre à quelque sujet que ce soit; et il effraie ceux qui ne sont pas bien sûrs de leur esprit, en leur faisant entendre que quiconque n'est pas un moqueur, est nécessairement un pédant. J'eus envie de secourir l'Anglois, nouvellement arrivé en France, que cette ruse intimidoit, et j'entrai malgré moi dans la discussion.

Madame du Marset a retenu quelques phrases d'injures contre Rousseau, qu'on lui fait débiter quand on veut; madame de Vernon la provoqua, je lui répondis assez dédaigneusement. Madame du Marset piquée, se retourna vers madame de Vernon, et lui dit:—Au reste, madame, quoi qu'en dise madame votre nièce, ce n'est pas une opinion si ridicule que la mienne; madame de Mondoville, à qui j'écrivois encore hier sur tout ce qui se passe en France, est entièrement de mon avis.—En apprenant que madame du Marset écrivoit à madame de Mondoville, l'idée me vint à l'instant qu'elle lui parloit peut-être de moi, qu'elle lui manderoit peut-être la conversation même que nous venions d'avoir, et qu'elle me peindroit comme une insensée à madame de Mondoville, qui est singulièrement exagérée dans sa haine contre la révolution de France. J'éprouvai un tel saisissement par cette réflexion, qu'il me fut impossible de prononcer un mot de plus.

Madame du Marset me dit, avec ce rire qui caractérise tous les amours-propres, dont la prétention est de feindre une assurance qu'ils n'ont pas:—Eh bien! madame, vous ne répondez rien? aurois-je raison, par hasard? aurois-je réduit votre grand esprit au silence?—On annonça Léonce: quels voeux je faisois pour que cette fatale conversation ne recommençât pas! Mais madame de Vernon, impitoyablement, appelle M. de Mondoville, et lui dit:—Est-il vrai que madame votre mère déteste Rousseau? madame d'Albémar, qui est très-enthousiaste, et de ses écrits et de ses idées politiques, les soutient contre madame du Marset, qui s'appuie du sentiment de madame votre mère?

Je tremblois pendant ce discours, et j'attendois sans respirer la réponse de Léonce. Au nom de madame du Marset, il se retourna vers elle; je ne voyois pas son visage, mais il y avoit dans l'attitude de sa tête quelque chose de méprisant pour madame du Marset, qui d'abord me rassura. Madame du Marset, qui avoit en face d'elle le regard de Léonce, en fut sans doute troublée, car elle articula foiblement ces mots:—Oui, monsieur, madame votre mère est absolument de mon opinion, elle me l'a écrit plusieurs fois,—Je ne sais, madame, lui dit Léonce avec un son de voix que je ne lui connoissois pas, mais qui me pénétra de respect et de crainte, je ne sais ce que vous écrit ma mère, mais je voudrois ignorer ce que vous lui répondez.—Laissons tout cela, dit assez vivement madame de Vernon, et allons nous promener dans mon jardin.

Je désirois extrêmement avoir l'explication des paroles de Léonce, j'espérois avec délices que sa colère venoit de son intérêt pour moi; mais j'avois besoin qu'il me le dît lui-même. Je restai naturellement de quelques pas en arrière dans la promenade; je crus remarquer un moment d'hésitation dans Léonce: cependant il prit une feuille sur le même arbre où j'en cueillois une, et je commençai alors la conversation.

-Ne vous dois-je pas quelques remercîmens, lui dis-je, pour le secours que vous m'avez accordé?—Je vous défendrai toujours avec bonheur, madame, me répondit-il, quand même je me permettrois de ne pas vous approuver.—Et quel tort avois-je donc? lui dis-je avec assez d'émotion.—Pourquoi, belle Delphine! reprit-il, pourquoi soutenez-vous des opinions qui réveillent tant de passions haineuses, et contre lesquelles, peut-être avec raison, les personnes de votre classe ont un si grand éloignement?—Pour la première fois, ma chère Louise, je me rappelai cette lettre à M. Barton, que j'avois entièrement oubliée depuis que je voyois Léonce; l'accent de sa voix, l'expression de sa figure, la retracèrent à ma mémoire; et je répondis avec plus de froideur que je ne l'aurois fait peut-être sans ce souvenir.—Monsieur, lui dis-je, il ne convient point à une femme de prendre parti dans les débats politiques; sa destinée la met à l'abri de tous les dangers qu'ils entraînent, et ses actions ne peuvent jamais donner de l'importance ni de la dignité à ses paroles; mais si vous voulez connoître ce que je pense, je ne craindrai point de vous dire, que de tous les sentimens, l'amour de la liberté me paroît le plus digne d'un caractère généreux.—Vous ne m'avez pas compris, répondit Léonce, avec un regard plus doux, et qui n'étoit pas sans quelque mélange de tristesse; je n'ai pas entendu discuter avec vous des opinions sur lesquelles le caractère de ma mère, et, si vous le voulez, les préjugés et les moeurs du pays où j'ai été élevé ne me permettent pas d'hésiter; je désirerois seulement savoir s'il est vrai que vous vous livriez souvent à témoigner votre sentiment à ce sujet, et si nul intérêt ne pourroit vous en détourner. Ces questions sont bien indiscrètes et bien inconvenables, mais je vous crois cette intelligence supérieure qui pénètre jusqu'à l'intention, de quelques nuages qu'elle soit enveloppée: vous devez donc me pardonner.

Ces derniers mots attirèrent toute ma confiance; et, me laissant aller à ce mouvement, je lui dis avec assez de chaleur:—Je vous atteste, monsieur, que je n'ai jamais pris à ces opinions d'autre part que celle qui résulte de la conversation; elle promène l'esprit sur tous les sujets, celui-là revient plus souvent maintenant, et j'ai quelquefois cédé à l'intérêt qu'il inspire; mais si j'avois eu des amis qui attachassent le moindre prix à mon silence, ils l'auroient bien facilement obtenu. Comment une femme peut-elle être fortement dominée par des intérêts qui ne tiennent pas aux affections du coeur, ou qui n'y ramènent pas de quelque manière? Si mon frère, mon époux, mon ami, mon père jouoient un rôle dans les affaires publiques, alors toute mon âme pourroit s'y livrer; mais des combinaisons qui sont pour moi purement abstraites, me persuadent sans m'entraîner; je suis libre, tristement libre de ma destinée: je n'ai plus de liens, personne n'exige rien de moi; mes opinions n'influent sur le sort de personne: mes paroles ont suivi mes pensées; il m'eût été plus doux de les taire, si, par ce léger sacrifice, j'avois pu faire quelque plaisir à quelqu'un.—Quoi! me dit-il, avec un charme inexprimable, si vous aviez un ami qui désirât vous rapprocher de sa mère, qui craignît tout ce qui pourroit s'opposer à ce désir, vous céderiez à ses conseils?—Oui, lui répondis-je; l'amitié vaut bien plus qu'une telle condescendance.

Il prit ma main, et après l'avoir portée à ses lèvres, avant de la quitter il la pressa sur son coeur. Ah! ce mouvement me parut le plus doux, le plus tendre de tous; ce n'étoit point le simple hommage de la galanterie; Léonce n'auroit point pressé ma main sur son noble coeur, s'il n'avoit pas voulu l'engager pour témoin de ses affections. Nous nous quittâmes tous les deux alors, comme d'un commun accord; je voulois conserver dans mon âme l'impression qu'elle venait d'éprouver, et je craignois un mot de plus, même de lui.

Nous gardâmes l'un et l'autre le silence pendant le reste, de la soirée. Madame de Vernon me retint lorsque tout le monde fut parti; je crus qu'elle alloit m'interroger. Quoique j'eusse voulu retarder de quelques jours encore l'aveu que je ne pouvois plus taire, j'étois décidée à ne lui point cacher les sentimens qui m'agitoient; mais elle parut ou les ignorer, ou vouloir en repousser la confidence; peut-être se servant d'un moyen plus cruel et plus délicat, croyoit-elle enchaîner mon coeur, par la sécurité même qu'elle me montroit. Elle s'applaudit du choix de Léonce pour sa fille, et m'associant à tout ce qu'elle disoit, elle répéta plusieurs fois ces mots:—Nous avons assuré son bonheur; nous avons…. Ah! quel nous, dans ma situation! Elle me rappela plusieurs fois que c'étoit à moi seule qu'elle devoit l'établissement de sa fille; elle me retraça tous les services que je lui avois rendus dans d'autres temps; et revenant à parler de Matilde, elle m'entretint des défauts de son caractère, avec plus de confiance que jamais.

—Je le sais, me dit-elle, quoique sa beauté soit remarquable, jamais elle ne pourroit lutter avec avantage contre une femme qui chercheroit à plaire; elle ne s'apercevroit seulement pas des efforts qu'on feroit pour lui enlever celui qu'elle aimeroit, et surtout elle ne sauroit point le retenir. Si vous n'aviez, point assuré son sort par de généreux sacrifices, personne ne l'auroit épousée par inclination; elle ne devoit pas se flatter de se marier jamais à un homme de la fortune et de l'éclat de Léonce.—Pourquoi, lui dis-je, un autre n'auroit-il pas réuni des avantages à peu près semblables? Ce neveu de M. de Fierville auquel vous aviez pensé….—Je ne connoissois pas Léonce alors, interrompit-elle; comment une mère pourroit-elle comparer ces deux hommes, lorsqu'il s'agit du bonheur de sa fille? D'ailleurs le neveu de M. de Fierville a perdu son procès qu'il avoit d'abord gagné; il n'a plus rien; la succession de M. de Vernon doit une somme très-forte à madame de Mondoville, et comme je ne puis la payer sans ce mariage, je serois ruinée s'il manquoit: ne cherchez point à diminuer, ma chère, le service que vous me rendez; il est immense, et tout le bonheur de ma vie en dépend.

Je me jetai dans les bras de madame de Vernon; j'allois parler, mais elle m'interrompit précipitamment, pour me dire que son homme d'affaires lui avoit apporté, le matin, l'acte de donation de la terre d'Andelys, parfaitement rédigé comme nous en étions convenues, et qu'elle me prioit de le signer, pour que tout fût en règle, avant de dresser le contrat de Léonce et de Matilde. A ce mot je sentis mon sang se glacer; mais un mouvement presque aussi rapide succédant au premier, j'eus honte d'avouer mon secret à madame de Vernon, dans le moment même où j'allois m'engager au don que j'avois promis, et je craignis de m'exposer ainsi à ce qu'il fût refusé.

Je me levai donc pour la suivre dans son cabinet: en passant devant une glace, je fus frappée de ma pâleur, et je m'arrêtai quelques instans; mais enfin je triomphai de moi, je pris la plume et je signai avec une grande promptitude, car j'avois extrêmement peur de me trahir; et malgré tous mes efforts, je ne conçois pas encore comment madame de Vernon ne s'est pas aperçue de mon trouble. Je sortis presqu'à l'instant même; je voulois être seule pour penser à ce que j'avois fait; madame de Vernon ne me retint pas, et ne prononça pas un seul mot d'inquiétude sur mon agitation.

Rentrée chez moi, je tremblois, j'éprouvois une terreur secrète, comme si j'avois mis une barrière insurmontable entre Léonce et moi: je réfléchis cependant que la terre que je venois d'assigner à Matilde, serviroit également à faciliter un autre mariage, si l'on pouvoit l'amener à y consentir. Un autre mariage! Ah! puis-je me dissimuler que rien au monde ne consolera jamais personne de la perte de Léonce. Quel art madame de Vernon n'a-t-elle pas employé pour entourer mon coeur par ces liens de délicatesse et de sensibilité qui vous saisissent de partout! Combien elle seroit étonnée si je ne répondois pas à sa confiance! elle a l'air de repousser bien loin d'elle cette crainte. Ah! si du moins elle vouloit me soupçonner! Mais rien, rien ne peut l'y engager; il faudra lui parler, il le faudra, j'y suis résolue; dussé-je tout sacrifier, elle ne doit pas ignorer ce qu'il m'en coûte! Mais ce premier mot qui dira tout, que de douleur j'éprouverai pour le prononcer!

Delphine

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