Читать книгу Delphine - Madame de Staël - Страница 41

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C'étoit peut-être trop exiger d'elle; mais redoutant l'éclat de cette aventure, à laquelle mon nom dans les premiers temps pouvoit être malignement associé, il m'étoit impossible de me résoudre à courir ce hasard auprès de Léonce. Je crains, je n'ai que trop de raisons de craindre qu'il ne blâme ma conduite, mais je veux au moins qu'il en connoisse parfaitement tous les motifs: il fut aussi décidé que j'emmenerois madame d'Ervins le soir même à ma campagne, et que nous y resterions quelques jours ensemble sans voir personne, jusques à ce qu'elle eût des nouvelles de la famille de son mari.

On vint me dire que madame de Vernon me demandoit. J'allai la recevoir dans mon cabinet; il falloit enfin que cette journée si douloureuse se terminât par quelques sentimens consolateurs. Je l'ai souvent remarqué, un soin bienfaisant prépare dans les peines de la vie un soulagement à notre âme, lorsque ses forces sont prêtes à l'abandonner. Quelle affection madame de Vernon me témoigna! avec quel intérêt elle me questionna sur tous les détails de cet affreux événement! elle-même me raconta ce qui avoit été la première cause de notre malheur.

Hier au soir madame du Marset crut apercevoir dans la rue M. de Serbellane enveloppé dans un manteau, et le raconta à M. de Fierville. Celui-ci, dînant avec M. d'Ervins, à Saint-Germain, lui soutint que M. de Serbellane n'étoit pas parti pour le Portugal hier matin, comme il le croyoit: il paroît que M. de Fierville le dit d'abord sans mauvaise intention, mais il le soutint ensuite, malgré l'émotion qu'il remarqua chez M. d'Ervins, parce que la crainte de faire du mal ne l'arrête point, et qu'il aime assez les brouilleries quand il peut y jouer un rôle.

M. d'Ervins voulut partir à l'instant même; cet empressement piqua la curiosité de M. de Fierville: il lui demanda de l'accompagner. M. d'Ervins passa d'abord chez lui, et n'y trouva point sa femme: il vint à ma porte; on la lui refusa, en lui disant que j'étois à Bellerive; mais M. de Fierville prétendit qu'il avoit aperçu à travers une jalousie ma femme de chambre qui travailloit, et suggéra lui-même à M. d'Ervins, comme une bonne plaisanterie, d'aller secrètement chez madame de Vernon, et de donner un louis à son domestique pour qu'il lui prêtât sa redingotte.—Et vous ne fermerez pas votre porte à M. de Fierville! dis-je à madame de Vernon avec indignation.—Mon Dieu! je vous assure, me répondit-elle, qu'il ne se doutoit pas des conséquences de ce qu'il faisoit.—Et n'est-ce pas assez, lui dis-je, de cette existence sans but, de cette vie sans devoirs, de ce coeur sans bonté, de cette tête sans occupation? n'est-il pas le fléau de la société, qu'il examine sans relâche, et trouble avec malignité?—Ah! dit madame de Vernon, il faut être indulgent pour la vieillesse et pour l'oisiveté; mais laissons cela pour nous occuper de vous;—et me parlant alors de Léonce, elle vint elle-même au-devant de la confiance que je voulois avoir en elle.

Combien elle me parut noble et sensible dans cet entretien! elle m'avoua que depuis long-temps elle m'avoit devinée, mais qu'elle avoit voulu savoir si Léonce me préféroit réellement à sa fille, et qu'en étant maintenant convaincue, elle ne feroit rien pour s'opposer au sentiment qui l'attachoit à moi. Elle ne me cacha point que la rupture de ce mariage lui étoit pénible; elle exprima ses regrets pour sa fille avec la plus touchante vérité. Néanmoins sa tendre amitié la ramenant bientôt à ce qui me concernoit, elle parut se consoler par l'espérance de mon bonheur. Je n'avois point d'expressions assez vives pour lui témoigner ma reconnoissance; je lui confiai mes craintes sur l'éclat qui venoit de se passer; je lui avouai que je redoutois l'impression qu'il pouvoit faire sur Léonce. Elle m'écouta avec la plus grande attention, et me dit après y avoir beaucoup pensé:—Il faut me charger de lui parler à son arrivée, avant qu'il ait appris tout ce qu'on ne manquera pas de dire contre vous. Il sait que je m'entends mieux qu'une autre à conjurer ces orages d'un jour; je le tranquilliserai.—Quoi! lui dis-je, vous me défendrez auprès de lui, avec ce talent sans égal, que je vous ai vu quelquefois?—En doutez-vous? me répondit-elle.—Son accent me pénétra.

Je veux lui écrire, lui dis-je; vous lui remettrez ma lettre.—Pourquoi lui écrire? reprit-elle; vos chevaux sont prêts pour partir, la nuit est déjà venue; vous n'auriez pas le temps de raconter toute cette histoire.—J'éprouve de la répugnance, lui répondis-je, à hasarder dans une lettre le secret de mon amie; mais je manderai seulement à Léonce que je vous ai tout confié, qu'il peut tout savoir de vous; et s'il vous témoigne le désir de venir à Bellerive, vous voudrez bien lui dire que je l'y recevrai.—Oui, reprit-elle vivement; c'est mieux comme cela; vous avez raison.

Je pris la plume, et je sentis une sorte de gêne, en écrivant à Léonce en présence de madame de Vernon; mon billet fut plus court et plus froid que je ne l'aurois voulu; tel qu'il étoit, je le remis à madame de Vernon; elle le lut attentivement, le cacheta, et me dit qu'il étoit à merveille, et que j'y conservois la dignité qui me convenoit. C'étoit à elle, ajouta-t-elle, à suppléer à ce que je ne disois pas; elle me rassura sur ce que je redoutois; elle me parut convaincue qu'elle me justifieroit entièrement auprès de Léonce; elle en prit presque l'engagement, et se plaisant à me raconter ce qu'elle lui diroit, elle me parla de moi sous cette forme indirecte, avec tant de grâce, de charme et même d'adresse, que je bénis le ciel d'avoir eu l'idée de lui confier ma défense. Non, il n'existe point de femme au monde qui sache faire valoir aussi habilement ceux qu'elle aime. Elle seule connoît assez bien le monde, pour rassurer Léonce sur l'éclat que peut avoir le funeste événement auquel mon nom est mêlé. Un sentiment indomptable d'amour et de fierté me rendroit impossible de m'excuser auprès de lui, si son premier mouvement ne m'étoit pas favorable.

Je finis en recommandant à madame de Vernon de veiller sur la réputation de Thérèse, de ne nommer que moi dans le monde, de me livrer mille fois plutôt qu'elle, et de raconter l'histoire du duel, telle que nous avions décidé qu'on la feroit; elle me le promit: je l'embrassai; nous nous séparâmes; j'emmenai Thérèse et sa fille, et nous arrivâmes à trois heures du matin à Bellerive: quel voyage! quelle journée, ma chère Louise! J'enverrai cette lettre à Paris demain, de peur que la nouvelle de la mort de M. d'Ervins ne vous arrive avant ma lettre, et ne vous effraie pour moi.

Ce soir, pendant que l'infortunée Thérèse avoit désiré d'être seule, je me suis promenée sur le bord de la rivière; j'ai voulu me livrer au souvenir de Léonce; mais je ne sais, une inquiétude que j'avois de la peine à m'avouer, m'empêchoit de m'abandonner au charme de cette idée. Je me rappelai quelques traits sévères de son caractère, ce qu'il en disoit lui-même dans sa lettre à M. Barton. Ce n'étoit plus un amant, c'étoit un juge que je croyois voir dans Léonce; et des mouvemens d'une fierté douloureuse s'emparoient de mon âme en pensant à lui. Enfin, me retraçant tout ce que madame de Vernon m'avoit dit pour me rassurer, je me suis répété qu'un trait de bonté même indiscret ne pouvoit détruire les sentimens qu'il m'a témoignés, et je suis rentrée chez moi plus tranquille.

Hélas! Thérèse, l'infortunée Thérèse est la seule à plaindre! combien vous vous intéresserez à son malheur, bonne, excellente Louise! combien vous serez disposée à me pardonner ce que j'ai fait pour elle! Ce n'est pas vous qui seriez sévère envers les égaremens même de la pitié.

Delphine

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