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LETTRE XXXI.

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Léonce à sa mère.

Mondoville, 6 juillet 1790.

Je suis dans cette terre où vous avez passé les plus heureuses années de votre mariage; c'est ici, mon excellente mère, que vous avez élevé mon enfance; tous ces lieux sont remplis de mes plus doux souvenirs, et je retrouve en les voyant cette confiance dans l'avenir, bonheur des premiers temps de la vie. J'y ressens aussi mon affection pour vous avec une nouvelle force; cette affection de choix que mon coeur vous accorderoit, quand le devoir le plus sacré ne me l'imposeroit pas. Vous me connoissez d'autant mieux, qu'à beaucoup d'égards je vous ressemble; fixez donc, je vous en conjure, toute votre attention, et tout votre intérêt sur la demande que je vais vous faire.

Je puis être malheureux de beaucoup de manières; mon âme irritable est accessible à des peines de tout genre; mais il n'existe pour moi qu'une seule source de bonheur, et je n'en goûterai point sur la terre, si je n'ai pas pour femme un être que j'aime, et dont l'esprit intéresse le mien. Ce n'est point le rapide enthousiasme d'un jeune homme pour une jolie femme, que je prends pour l'attachement nécessaire à toute ma vie; vous savez que la réflexion se mêle toujours à mes sentimens les plus passionnés: je suis profondément amoureux de madame d'Albémar; mais je n'en suis pas moins certain, que c'est la raison qui me guide, dans le choix que j'ai fait d'elle, pour lui confier ma destinée.

Mademoiselle de Vernon est une personne belle, sage et raisonnable; je suis convaincu qu'elle ne donnera jamais à son époux aucun sujet de plainte, et que sa conduite sera conforme aux principes les plus réguliers; mais est-ce l'absence des peines que je cherche dans le mariage? je ferois tout aussi bien alors de rester libre. D'ailleurs je n'atteindrois pas même à ce but, en me résignant à l'union que l'on me propose. Que ferois-je de l'âme et de l'esprit que j'ai, avec une femme d'une nature tout-à-fait différente? N'avez-vous pas souvent remarqué dans la vie combien les gens médiocres et les personnes distinguées s'accordent mal ensemble! Les esprits tout-à-fait vulgaires s'arrangent beaucoup mieux avec les esprits supérieurs; mais la médiocrité ne suppose rien au-delà de sa propre intelligence, et regarde comme folie tout ce qui la dépasse. Mademoiselle de Vernon a déjà un caractère et un esprit arrêtés, qui ne peuvent plus ni se modifier, ni se changer; elle a des raisonnemens pour tout, et les pensées des autres ne pénètrent jamais dans sa tête. Elle oppose constamment une idée commune à toute idée nouvelle, et croit en avoir triomphé. Quel plaisir la conversation pourroit-elle donner avec une telle femme! et l'un des premiers bonheurs de la vie intime n'est-il pas de s'entendre et de se répondre? Que de mouvemens, que de réflexions, que de pensées, que d'observations ne me seroit-il pas impossible de communiquer à Matilde! et que ferois-je de tout ce que je ne pourrois pas lui confier, de cette moitié de ma vie à laquelle je ne pourrois jamais l'associer!

Ah! ma mère, je serai seul, pour jamais seul, avec toute autre femme que Delphine, et c'est une douleur toujours plus amère avec le temps, que cette solitude de l'esprit et du coeur, à côté de l'objet qui vers la fin de la vie doit être votre unique bien. Je ne supporterois point une telle situation; j'irois chercher ailleurs cette société parfaite, cette harmonie des âmes, dont jamais l'homme ne peut se passer; et quand je serois vieux, je rapporterois mes tristes jours à celle à qui je n'aurois pu donner un doux souvenir de mes jeunes années.

Quel avenir! ma mère, pouvez-vous y condamner votre fils, quand le hasard le plus favorable lui présente l'objet qui feroit le bonheur de toutes les époques de sa vie, la plus belle des femmes, et cependant celle qui, dépouillée de tous les agrémens de la jeunesse, posséderoit encore les trésors du temps; la douceur, l'esprit et la bonté! Vous avez donné, par une éducation forte, une grande activité à mes vertus, comme à mes défauts; pensez-vous qu'un tel caractère soit facile à rendre heureux?

Si vous eussiez pris des engagemens indissolubles, des engagemens consacrés par l'honneur, c'en étoit fait, j'immolois ma vie à votre parole; mais sans doute votre consentement n'avoit point un semblable caractère, puisque vous ne m'avez jamais fait cette objection, en réponse à dix lettres, qui vous interrogeoient, à cet égard. Vous ne m'avez parlé que des injustes préventions qu'on vous a données contre madame d'Albémar.

On vous a dit qu'elle étoit légère, imprudente, coquette, philosophe; tout ce qui vous déplaît en tout genre, on l'a réuni sur Delphine. Ne pouvez-vous donc pas, ma mère, en croire votre fils autant que madame du Marset? Delphine a été élevée dans la solitude, par des personnes qui n'avoient point la connoissance du monde, et dont l'esprit étoit cependant fort éclairé; elle ne vit à Paris que depuis un an, et n'a point appris à se défier des jugemens des hommes. Elle croit que la morale suffit à tout, et qu'il faut dédaigner les préjugés reçus, les convenances admises, quand la vertu n'y est point intéressée! Mais le soin de mon bonheur la corrigera de ce défaut; car ce qu'elle est avant tout, c'est bonne et sensible; elle m'aime, que n'obtiendrai-je donc pas d'elle, et pour vous, et pour moi?

On vous a parlé de la supériorité de son esprit; et comme à ma prière vous avez consenti à venir vivre chez moi l'année prochaine, vous craignez de rencontrer dans votre belle-fille un caractère despotique. Matilde, dont l'esprit est borné, a des volontés positives sur les plus petites circonstances de la vie domestique; Delphine n'a que deux intérêts au monde, le sentiment et la pensée relie est sans désirs, comme sans avis sur les détails journaliers, et s'abandonne avec joie à tous les goûts des autres; elle n'attache du prix qu'à plaire et à être aimée. Vous serez l'objet continuel de ses soins les plus assidus; je la vois avec madame de Vernon; jamais l'amour filial, l'amitié complaisante et dévouée ne pourroient inspirer une conduite plus aimable. Ah! ma mère, c'est votre bonheur autant que le mien, que j'assure en épousant madame d'Albémar.

Vous n'avez pas réfléchi combien vous auriez de peine à ménager l'amour-propre d'une personne médiocre: tout est si doux, tout est si facile avec un être vraiment supérieur! Les opinions même de Delphine sont mille fois plus aisées à modifier, que celles de Matilde. Delphine ne peut jamais craindre d'être humiliée; Delphine ne peut jamais éprouver les inquiétudes de la vanité; son esprit est prêt à reconnoître une erreur, accoutumé qu'il est à découvrir tant de vérités nouvelles, et son coeur se plaît à céder aux lumières de ceux qu'elle aime.

On vous a dit encore, j'ai honte de l'écrire, qu'elle étoit fausse et dissimulée; que j'ignorois sa vie passée et ses affections présentes: sa vie passée! tout le monde la sait; ses affections présentes! que vous a-t-on mandé sur M. de Serbellane? pourquoi me le nommez-vous? Non, Delphine ne m'a rien caché. Delphine fausse! dissimulée!… Si cela pouvoit être vrai, son caractère seroit le plus méprisable de tous; car elle profaneroit indignement les plus beaux dons que la nature ait jamais faits, pour entraîner et convaincre.

Enfin, j'oserai vous le dire, sans porter atteinte au respect profond que j'aime à vous consacrer; je suis résolu à épouser madame d'Albémar, à moins que vous ne me prouviez qu'une loi de l'honneur s'y oppose. Le sacrifice que je ferois alors seroit bientôt suivi de celui de ma vie: l'honneur peut l'exiger; mais vous, ma mère, seriez-vous heureuse à ce prix?

Delphine

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