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§ 6. Les grottes de Samoun ou des Crocodiles.

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Table des matières

Les fameuses grottes de Samoun, ou des Crocodiles, sont d’immenses souterrains, situés dans la haute Egypte, non loin de Monfalout. Ces souterrains sont remplis d’une quantité incalculable de momies humaines et de momies de quadrupèdes, d’oiseaux, de reptiles, etc.; on y trouve particulièrement un très-grand nombre de crocodiles embaumés, ce qui a fait donner à ces grottes le surnom par lequel on les désigne parfois. On suppose que toute cette population de momies vient de la ville antique qu’a remplacée Monfalout, et de la grande Hermopolis, toutes deux situées sur la rive gauche du Nil.

Les grottes de Samoun n’ont pas été très-souvent explorées, soit que bien des voyageurs n’en aient point connu l’existence, soit qu’ils en aient trouvé l’exploration trop pénible ou trop funèbre. Cependant un voyageur contemporain, M. A. Georges, dit avoir vu sur leurs noires parois, près du chantier des momies, le nom d’une dame romaine gravé avec soin et en gros caractères parmi quelques autres noms. D’ailleurs, dans le pays même, ces grottes inspirent aux gens des environs une sorte de terreur superstitieuse, et il n’est pas toujours facile de se procurer un guide qui consente à y descendre.

L’entrée des grottes de Samoun est une simple crevasse à fleur de terre, d’un mètre environ de diamètre et de trois mètres de profondeur. Quand on s’est glissé par ce soupirail, on rampe, plutôt qu’on ne marche, dans un couloir étroit et tortueux, dont le fond est un sable fin et doux, qui se soulève sous les pieds en poussière impalpable et rend la respiration difficile. L’obscurité est complète et l’on n’a que la pâle lueur des bougies pour se diriger dans ce pénible voyage.

«Après un long temps, dit M. A. Georges, nous quittons le fond de sable pour un fond accidenté, barré de grosses pierres transversales; les parois se resserrent, s’élargissent, s’exhaussent, s’abaissent, ondulent, prennent souvent la forme, de stalactites horizontales et droites comme des piques menaçant la poitrine et la tête. Souvent on peut se redresser à moitié, mais souvent aussi des pierres pendent de la voûte, aigües, coniques, et vous forcent rudement à vous replier. Parfois on rencontre un espace plus large, plus élevé, où l’on peut se redresser tout à fait et marcher; cela réjouit comme une oasis dans le désert. On arrive enfin à une enceinte assez large et assez étendue; de grosses pierres adossées pêle-mêle l’une contre l’autre en forment le fond; on avance comme on peut, circulant tout autour ou grimpant dessus.»

Il y a quelques années, on voyait dans cette enceinte, dont parle M. Georges, le cadavre d’un voyageur qui s’était perdu dans les grottes et qui était venu mourir à cette place d’épuisement et de faim. Voici la description saisissante que fait M. Maxime du Camp de ce cadavre dans la relation de son voyage en Égypte et en Nubie:

«Lorsqu’on relève les yeux, on aperçoit un spectacle horrible. Un cadavre encore couvert de sa peau est assis sur une roche arrondie; il est hideux. Il étend ses bras comme un homme qui bâille en se réveillant; sa tête, rejetée en arrière et convulsionnée par l’agonie, a courbé son cou maigre et desséché. Son corps pincé, ses yeux démesurément agrandis, son menton crispé par un effort surhumain, sa bouche tordue et entr’ouverte comme pour un cri suprême, ses cheveux droits sur le crâne, tous ses traits convulsionnés par une épouvantable souffrance, lui donnent un aspect effroyable. Cela fait peur; involontairement on pense à soi. Ses mains ratatinées enfoncent leurs ongles dans la chair; le thorax est fendu, on voit les poumons et la trachée-artère; lorsqu’on frappe le ventre, il résonne sourdement comme un tambour crevé. Cet homme était plein de vie lorsqu’il a été pris par la mort; sans doute il s’est perdu dans ces couloirs obscurs, sa lanterne épuisée a fini par s’éteindre, il a en vain recherché sa route en poussant de grands cris que personne n’entendait; la faim, la soif, la fatigue, la peur l’ont rendu presque fou; il s’est assis sur cette pierre et il a hurlé de désespoir jusqu’à ce que la mort fût venue le délivrer; l’humidité chaude, les exhalaisons bitumineuses l’ont si bien pénétré que maintenant sa peau est noire, tannée, impérissable, comme celle d’une momie. Il y a huit ans que ce malheureux est là.

«En quittant cette enceinte de lugubre mémoire, on prend à gauche par un couloir à la voûte et aux parois noircies par les vapeurs bitumineuses, dans lequel on peut marcher debout; des milliers de chauves-souris, attirées par la lumière, assaillent l’explorateur avec un grand bruit d’ailes et gênent considérablement sa marche. Puis, on arrive à la partie la plus intéressante des grottes; le sol, qui cède sous le pied, est composé de débris de momies et de bandelettes; à chaque pas on soulève une poussière noirâtre, âcre, nauséabonde, amère comme un composé de suie et d’aloès. Une énorme quantité de crocodiles de toutes dimensions encombre les galeries: il y en a de noirs, de ventrus, de gigantesques et d’autres petits comme des lézards. Puis, côte à côte avec les crocodiles, on voit d’innombrables momies de toutes sortes, momies humaines et momies d’animaux, juxtaposées et superposées par lits que séparent des couches de feuilles de palmier d’une remarquable conservation. Les momies humaines, soigneusement entourées de bandelettes, sont le plus souvent pressées entre deux planches de sycomore, bois réputé incorruptible comme le cèdre.

Intérieur des grottes de Samoun.


«On va ainsi sur cette voie pavée de cadavres qui s’étend toujours devant vous, béante, sombre, profonde, et Dieu sait où l’on aboutirait sans la fatigue, l’oppression, le manque de lumière, l’impatient désir de revenir au jour, mal à l’aise comme on l’est et las de ces funèbres impressions. La chaleur est d’ailleurs difficile à supporter. En fouillant tous ces fragments et tous ces débris, la poussière, devenue plus épaisse, pénètre comme un caustique dans les yeux, le nez, la bouche, et, pour ainsi dire, par tous les pores.» (A. GEORGES.)

Il paraît que le feu prit un jour dans ces grottes, mis imprudemment, selon les uns par un Anglais ou un Américain, selon les autres par quatre Arabes qui étaient venus ramasser des fientes de chauves-souris, engrais énergique, et s’étaient aventurés avec des mèches à huile brûlant à nu dans des lampes. L’incendie gagna le souterrain tout entier et dura, dit-on, trois ans, ou un an suivant une autre version. Toutefois, cet incendie n’a pas laissé dans les galeries de traces bien caractéristiques, peut-être parce que la combustion, concentrée dans ces étroits couloirs peu aérés, avait consumé tout lentement:

Quand on sort enfin de cette longue nécropole obscure et méphitique, c’est avec une satisfaction des plus vives qu’on revoit le soleil et que l’on respire un air pur.

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