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§ 2. Temples d’Ellora.
ОглавлениеSi le temple d’Éléphanta paraît être le plus ancien temple souterrain de l’Inde, les plus remarquables sous tous les autres rapports, et principalement sous le rapport des proportions imposantes, sont les célèbres temples souterrains d’Ellora, près de la ville de ce nom, c’est-à-dire à vingt-six kilomètres Nord-Ouest de Daouletabad, capitale de la province d’Aurungabad, à peu près vers le centre de la presqu’île de l’Inde.
Ces monuments ont été creusés par la main des hommes dans une ceinture de montagnes de granit rouge, qui s’étend en forme de fer à cheval sur un espace de plus d’une heure de marche, en tournant sa face concave vers le village de Rosah. Ils forment des galeries souterraines qui n’ont pas moins de deux lieues d’étendue, et qui, en certains endroits, ont plusieurs étages communiquant entre eux. L’imagination recule épouvantée à la pensée de la patience et du travail qu’ont dû coûter ces excavations gigantesques et les sculptures de toute espèce qui les décorent à profusion. La rare perfection de certaines parties et l’exécution presque grossière de certaines autres montrent d’ailleurs clairement que ces ouvrages ont été produits par des milliers d’artistes et d’ouvriers qui travaillèrent successivement pendant un grand nombre de siècles.
Quant à l’origine des temples d’Ellora, elle est à peu près inconnue. Sir Charles Malet rapporte plusieurs traditions bien différentes sur le roi qui en fut l’auteur. Les Musulmans les attribuent au râdjâ Êl, qui vivait il y a neuf cents ans; les Indiens les font remonter jusqu’à Êlou, qui aurait régné dans le Dwaparâ-Youga, c’est-à-dire il y a plus de sept mille neuf cents ans; enfin les Pourânas parlent d’un roi Êla, autrement appelé Pourouravas, qui date du commencement de la monarchie indienne. Rien n’est moins certain que toutes ces traditions; mais, ce que l’on peut affirmer, c’est que les sculptures gravées sur ces monuments leur assignent une date beaucoup moins ancienne. Une antiquité de deux mille ans, selon M. Gailhabaud, serait tout ce que l’on doit accorder à ces belles ruines.
Parmi les monuments d’Ellora, celui qui passe avec raison pour le plus beau et le plus parfait est le Kailasa ou Kélaça, ainsi nommé encore aujourd’hui par les Indiens eux-mêmes.
Ce monument, extrêmement compliqué, aussi grand que l’église de la Madeleine à Paris (il couvre un espace de cent vingt-trois mètres de longueur sur soixante mètres de largeur), n’a point été exécuté comme ceux qui l’environnent, c’est-à-dire creusé souterrainement; il est taillé dans le roc vif et complètement détaché de la montagne, et, quoique toutes ses parties ne forment qu’un seul et même bloc, quoiqu’il se compose en entier d’un seul rocher dans lequel il a été comme sculpté, il a néanmoins toute l’apparence d’un édifice construit pierre à pierre.
Le Kailasa sortant par conséquent de notre cadre, nous ne nous y serions pas arrêtés, s’il nous avait été possible de parler des temples d’Ellora sans mentionner le plus remarquable et le plus célèbre. Toutefois nous serons brefs.
On pénètre dans le Kailasa par une porte de granit, puis, cette porte franchie, on arrive à travers un portique dans une espèce de cour de soixante-seize mètres environ de longueur sur quarante-deux mètres de largeur, et dont les parois ont trente mètres d’élévation. «Cette cour, dit M. Daniel Ramée, entièrement taillée dans le roc, ressemble plutôt à une carrière magique de pierres entourée et couronnée de tous côtés par des sommets de montagne, qu’à un ouvrage produit par la main et l’art de l’homme.» (Histoire de l’Architecture).
En sortant du portique, on arrive d’abord, par un pont, à un pavillon carré dans lequel est la chapelle de Nandi, le compagnon de Si va. Ensuite, on traverse un second pont et on arrive enfin au temple principal. Ce temple, le plus grand temple monolithe connu, est supporté par d’énormes pilastres carrés, disposés sur quatre rangs; ceux placés dans les angles et au pourtour, au nombre de vingt, sont soutenus eux-mêmes par des éléphants qui semblent soulever sur leurs reins cette masse énorme et lui communiquer le mouvement et la vie.
Temple de Kailasa, à Ellora,
Le grand temple est flanqué de porches, de terrasses, de bassins et de chapelles, et la cour qui l’environne de tous côtés est décorée d’obélisques et de gigantesques éléphants. Enfin, les parois des murs sont ornées de milliers de statues et de bas-reliefs sculptés.
On est frappé d’une véritable stupéfaction quand on songe au travail qu’ont dû coûter ces interminables constructions.
«Pour élever le Panthéon, dit le capitaine Seely dans son Voyage à Ellora, le Parthénon d’Athènes, Saint-Pierre de Rome, Saint-Paul de Londres ou l’abbaye de Fonthill, il en coûte de la science et du travail, nous concevons comment cela fut exécuté, poursuivi et achevé ; mais ce qu’on ne peut s’imaginer, c’est qu’une réunion d’hommes aussi nombreux et aussi infatigables qu’on voudra se les figurer et munis de tous les moyens nécessaires à la réalisation de leur conception s’attaquent à un rocher naturel, haut de cent pieds dans quelques parties, le creusent, l’évident lentement avec le ciseau et produisent un temple tel que celui-là, avec ses galeries, véritable Panthéon, accompagné de sa vaste cour, de son nombre infini de sculptures et d’ornements.... Non, cette œuvre est inimaginable et l’esprit se perd dans la surprise et l’admiration.»
Passons maintenant aux temples complètement souterrains creusés dans la montagne qui sert d’enceinte au Kailasa et qui rentrent plus complètement dans notre cadre.
L’un des plus intéressants, non pas précisément pour l’étendue de ses proportions, mais plutôt pour l’élégance et l’originalité de son exécution, c’est le temple ou la maison de Visouacarmâ (Visouacarmâ, ou Visvacarma, est la personnification de Brahma considéré comme architecte primitif).
Ce temple est creusé dans le roc à une quarantaine de mètres de profondeur environ; il se compose d’une longue galerie, à plafond circulaire, séparée dans toute sa longueur en trois nefs principales par deux rangées de piliers octogones, qui mesurent deux mètres quatre-vingt et un centimètres de circonférence.
La statue du dieu, représenté comme architecte primitif, est assise dans une niche sur un siège; à ses pieds sont deux lions, images de la puissance et de la force; à ses côtés sont deux de ses serviteurs, dont l’un tient une fleur de Lotus, symbole de la création et de la production, ainsi qu’un petit bâton représentant le sceptre et le pouvoir; l’autre serviteur place un niveau en forme de triangle sur une espèce de colonne. Au-dessus de Visouacarmâ on voit un œil, symbole de la pénétration et de la sagesse ordonnatrice; au-dessus de cet œil est placé un plomb d’ouvrier qui descend sur une ligne horizontale formant ainsi deux angles droits, principes absolus de toute espèce de création, de formation et de construction régulières.
On peut donner, comme date d’origine à ce temple, les derniers siècles qui ont précédé notre ère.
Une excavation fort intéressante encore est celle de Para-Lanka qui a son entrée au deuxième étage d’une galerie souterraine à deux étages. Un escalier de vingt-sept marches y donne accès.
La nature parfaitement sèche de la roche, qui ne laisse passer aucune infiltration et ne contient pas de trace d’humidité, a conservé de très-belles peintures appliquées sur une sorte de stuc, au plafond de la grotte, et qui représentent des sujets de la mythologie indienne. D’énormes piliers, sculptés du haut en bas, supportent ce plafond qui brillerait encore à nos yeux dans toute la splendeur première de ses riches décorations, si la main de l’homme ne s’était appliquée à les détruire. Les soldats musulmans de l’empereur mongol Aureng-Zeb ont voulu anéantir, au nom de Mahomet, ces travaux de la superstition des anciens Brahmes; heureusement l’œuvre de destruction eût demandé trop de temps et trop de peine, ils y ont renoncé ; les Hindous n’ont pas manqué de dire que Siva avait daigné intervenir pour sauver son temple. Toutefois, l’intervention de Siva n’aurait pas été jusqu’ à prévenir l’effet de la fumée; les troupes d’Aureng-Zeb paraissent avoir fait ici très-irrévérencieusement la cuisine au nez des idoles et la fumée a noirci le plafond et gâté presque toutes leurs peintures; il en reste assez toutefois pour faire vivement regretter ce qui a péri.
En sortant de la grotte de Para-Lanka, on se trouve sous un péristyle, d’où le regard embrasse l’ensemble de toute la partie extérieure des monuments d’Ellora.
Nous ne parlerons que pour mémoire des autres temples d’Ellora, tels que celui du Dher Wara et celui d’Indra, et nous passerons aux remarquables excavations que renferme l’île de Salcette.