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VIII OU MADAME TUSSAUD EST DE PLUS EN PLUS STUPÉFAITE.

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Table des matières

La demande de Cécile ravit plus qu’elle ne surprit Claude Tussaud, et il embrassa chaleureusement sa fille, puis s’empressa de descendre à l’atelier, craignant que la Rosse ne fût venu pendant qu’il n’y était pas, et ayant hâte, dès qu’il arriverait, de le faire monter près de Cécile. Claude était heureux; il se reprenait à l’espoir du mariage rêvé.

Il n’en était pas de même d’Adèle Tussaud; c’est en vain qu’elle cherchait à s’expliquer le motif qui dirigeait sa fille. Il n’était pas douteux que Cécile abhorrait André Houdard, dit la Rosse. Si la pauvre enfant savait la mort de celui qu’elle aimait, de Maurice Ferrand, c’était une raison de plus de haïr celui dont l’exigence avait été la cause de ce malheur. Non! ce n’était pas possible, Cécile ne pensait pas à renouer avec Houdard les relations rompues. Et cependant, pourquoi demandait-elle à le voir? Peut-être Mlle Tussaud voulait-elle avoir une explication loyale, décisive avec celui qui avait été son fiancé, et lui demander que son refus de devenir sa femme n’entraînât pas une rupture avec son père, son vieil ami. Cela était possible; car Mme Tussaud, en considérant sa fille attentivement, cherchait vainement à retrouver la naïve enfant, gaie, toujours souriante, dont l’insouciance était jadis le trait distinctif.

Depuis la catastrophe, Cécile était changée du tout au tout; toujours belle, plus belle peut-être, l’enfant était devenue femme; elle était plus calme, plus réfléchie, presque sombre. Sous ce beau front blanc, on sentait de sérieuses pensées; le regard plus observateur avait plus de volonté, les lèvres ne babillaient plus au hasard. La jeune âme était sortie de l’enveloppe de l’enfance; elle s’était arrachée de l’ombre et était, à cette heure, comme environnée d’un nimbe: la vie à venir.

Sa mère ne pouvait s’expliquer cette transformation; elle l’attribuait au chagrin persistant de la mort de Maurice; tant de fois elle l’avait surprise, la croyant endormie, pleurant silencieusement. Non! non n! c’était impossible, son enfant avait un cœur trop sensible pour penser à l’homme qui avait amené le malheur dans sa maison. C’est qu’aujourd’hui Adèle était décidée à la lutte, et sa force s’augmentait de la honte qu’elle ressentait de sa faiblesse passée; elle ne consentirait jamais à ce qu’on reparlât de ce mariage.

Peut-être, pensait-elle encore avec crainte, la pauvre petite, voyant la douleur de son père, voyant les soins assidus dont elle était entourée, croyant que ce qu’elle avait fait allait amener la ruine et la misère dans la maison, et n’ayant plus maintenant l’espoir d’épouser celui qu’elle aimait, indifférente à tout, était-elle prête à se sacrifier… Non! non! cela n’était pas possible, jamais Adèle ne consentirait à cela, jamais sa fille n’épouserait celui qui avait été son amant et, dût-elle s’humilier devant son enfant, avouer sa faute, elle le ferait. Cette pensée lui faisait bien venir le rouge au visage; mais, un secret pressentiment lui disait que cet homme portait le malheur avec lui.

Claude était descendu aux ateliers. Adèle était seule avec Cécile et elle aurait bien voulu l’interroger, finement, sur la raison qui lui faisait demander André; elle rangeait et époussetait les meubles, et demanda à sa fille:

–Eh bien, Zizille, ça va-t-il mieux aujourd’hui? Souffres-tu toujours de l’estomac?

–Un peu, mère.

–Cela te brûle-t-il toujours?…

–Oh! cela va mieux, je ne souffre presque pas, à vraiment dire, mais je suis ennuyée par des maux de cœur.

–Cela va bien maintenant, ce n’est plus qu’une affaire de temps, tu te sens forte à présent.

–Oh! pas trop.

–Enfin, tu peux causer, discuter… puisque tu demandes à voir Houdard pour lui parler....

–J’ai si peu de choses à lui dire...

Adèle était arrivée tout simplement au but; enfin, elle avait sur les lèvres: «Mais qu’est-ce que tu veux donc lui dire?» lorsqu’elle entendit la bonne frapper à la porte; impatientée, elle ouvrit.

–Qu’est-ce que vous voulez encore?

–Madame, c’est M. le docteur...

–Ah! M. le docteur, qu’il vienne bien vite. Et elle alla au-devant de lui.

Cécile, en entendant annoncer le docteur, avait eu un mouvement de satisfaction. Le docteur entra et la regarda longtemps.

–Allons, dit-il à la mère, cela va très bien... Et souffrez-vous mon enfant?

Et, en disant ces mots, il prenait le poignet de sa malade; il sentit que Cécile faisait une pression sur son bras pour l’attirer vers lui, en même temps qu’elle disait:

–Mère, ouvre donc les rideaux.

Pendant qu’Adèle Tussaud allait docilement à l’extrémité de la chambre ouvrir les rideaux, Cécile disait bas au médecin:

–Docteur, éloignez ma mère, j’ai à vous parler.

Le docteur fut un peu surpris; il demanda à Mme Tussaud l’état de sa fille, comment elle avait sommeillé, si elle avait eu la fièvre; et, bien renseigné sur le diagnostic de la maladie, il dit tout naturellement à la mère:

–Chère madame Tussaud, voudriez-vous me laisser quelques minutes seul avec votre demoiselle? Je voudrais l’interroger sur certains symptômes, et peut-être gêneriez-vous ses réponses.

Cette fois encore, Mme Tussaud fut assez stupéfaite. Quelles questions pouvait-on adresser à sa fille pour lesquelles elle serait embarrassée de répondre devant sa mère?… Voulait-on lui demander si les médicaments ordonnés lui étaient bien donnés, si on avait pour elle les soins que réclamait son état? Enfin, il n’y avait pas à répliquer: on doit toujours obéir au médecin. Toute autre idée ne pouvait passer par le cerveau de la mère. Le nom, la respectabilité, l’âge du docteur, obligeaient à avoir pleine confiance en lui.

–Monsieur le docteur, est-ce que vous verriez, dans ce que je vous ai dit, certains caractères de gravité qui vous surprendraient, et vous feraient craindre un mal nouveau?

–Non, ma chère dame, rassurez-vous, votre belle Cécile va très bien, très bien.

Rassurée, elle dit avec ennui, en sortant:

–Je vous obéis, docteur, je me retire.

Lorsque sa mère fut sortie, Cécile s’accouda sur son lit, et, pleurant, elle dit:

–Monsieur le docteur, un médecin est plus qu’un prêtre, on doit tout lui dire, et l’on peut espérer que ce qu’on lui dira mourra avec lui.

–C’est le devoir de tout honnête homme, mon enfant, mais c’est une obligation dans notre profession.

–Ce que j’ai à vous dire est si grave, si grave, que vous me voyez toute tremblante et toute confuse devant vous.

–Ma belle enfant, reprenez courage et ne craignez rien… Est-ce un conseil que vous voulez me demander?

–Non, docteur, c’est un aveu que je vais vous faire.

–Voyons. Le docteur prit un siège et se plaça à la tête du lit; là, assis devant elle, il lui prit les mains et, avec un sourire encourageant, il lui dit: «Racontez-moi ça.»

–Docteur, j’ai refusé de répondre à toutes les questions qui me furent faites, même par vous; c’est vous qui avez fort justement reconnu que je m’étais empoisonnée avant de me jeter à l’eau.

–Pauvre enfant! C’était donc bien grave... bien grave, que vous ne reculiez pas devant une si cruelle mort?

–Vous allez en juger. Je vais vous raconter pourquoi et comment je me suis décidée.

–J’écoute, fit le vieux docteur, l’observant avec inquiétude.

Cécile raconta alors longuement au docteur les circonstances de son double suicide, circonstances entièrement connues de nos lecteurs et sur lesquelles nous n’avons pas besoin de revenir.

Adèle Tussaud était descendue dans la salle à manger et attendait impatiemment le résultat de l’entretien particulier que le docteur avait réclamé; malgré l’assurance que lui avait donnée ce dernier, elle était très inquiète. C’est après un long quart d’heure qu’il sortit de la chambre; en le voyant, la mère chercha à lire sur son visage l’impression de son examen; mais la physionomie du docteur était impénétrable. Adèle l’interrogea et il répondit:

–Madame, votre fille est absolument bienn; elle entre maintenant en pleine convalescence, elle a beaucoup souffert, et a plus que jamais besoin de votre tendresse, de votre affection, de votre bonté.

–Que voulez-vous dire, monsieur?

–Rien autre chose que ce que je vous dis. Les soins du médecin sont maintenant inutiles, le corps est sauvé, ma présence n’est plus nécessaire, et cependant madame, l’intérêt que je porte à ma jeune malade, arrachée si extraordinairement à la mort, me fait réclamer de vous la permission de venir la voir quelquefois.

–Oh! monsieur le docteur, vous devez être assuré du plaisir que nous éprouverons à voir souvent celui auquel nous devons la vie de notre enfant. C’est nous qui vous serons reconnaissants de venir le plus tôt et le plus souvent possible.

–Jen abuserai, madame...

Et en reconduisant le docteur, Adèle, soupçonneuse, demandait:

–C’est bien vrai? elle est sauvée, absolument hors de danger...?

–Absolument, c’est maintenant une convalescente.

–Et doit-elle suivre un régime?

–Le régime que vous lui ferez suivre sera de ne rien lui refuser.

Et le docteur partit. Adèle rentrait pensive; elle trouvait bien énigmatiques les déclarations et les recommandations du médecin; elle monta chez sa fille. Cécile avait la tête tournée du côté du mur; il lui sembla qu’elle pleurait; elle se pencha et lui dit:

–Zizille, qu’as-tu, mon enfant? le médecin t’a tourmentée?

–Non, mère… non, je n’ai rien, je suis lasse et je veux dormir.

Désappointée, Mme Tussaud dut se contenter de cette réponse et accepter le congé qu’elle lui donnait. Elle sortit doucement, sans bruit, sur la pointe des pieds. Seule, Adèle Tussaud, rassurée tout à fait sur la situation de son enfant, pensa aux événements qui avaient bouleversé la maison, et lorsqu’elle en cherchait la cause, elle rougissait et, confuse, baissait la tête; puis la relevant soudain, la rougeur au front, le dégoût aux lèvres,–celui qui se serait penché près d’elle aurait pu l’entendre dire tout bas:

–Je n’ai pas été coupable, j’ai été victime.

Et accoudée sur la table, la tête dans sa main, les yeux fixes, elle pensait, et des tressaillements, des frissons secouaient son corps; c’était le souvenir de ce que contenait sa phrase: «J’ai été victime,» qui hantait son cerveau, et se répondant à elle-même, elle ajoutait:

–Oh! que je le hais, cet homme!

Puis elle se secoua comme pour chasser ses pensées, et ses regards tombèrent sur un calendrier de bureau portant en grosses lettres la date du mois et l’éphéméride du jour; elle dit en hochant la tête avec étonnement:

–Comment! deux mois!….. Il y a deux mois aujourd’hui que ce mariage devait avoir lieu! Que de choses depuis deux mois! Pauvre Maurice! pauvre enfant!….. C’est à son souvenir qu’elle pleurait! Sans rien dire à Cécile, j’irai voir sa sœur, je demanderai où repose le pauvre garçon, et lorsqu’elle ira tout à fait bien, nous irons faire un pèlerinage à sa tombe. Ils voulaient mourir l’un pour l’autre; comme ils s’aimaient! Oh! nous avons été bien coupables!… Mais je rachèterai cela avec ma Zizille.

Adèle Tussaud était encore une jeune et jolie femme à cette époque. Elle avait eu sa fille dix mois après son mariage, et elle s’était mariée à seize ans et deux mois. Sa fille avait, le jour où elle devait se marier, juste dix-sept ans. Adèle Tussaud avait donc trente-quatre ans, et certainement les quatre dernières années ne paraissaient pas. C’était une adorable femme de trente ans, de taille ordinaire, mais robuste et cependant fine de ligne, souple et presque élégante d’attaches; le corsage superbe s’attachait bien à ses épaules opulentes; la gorge forte seyait à sa taille un peu longue; le cou gracieux portait bien la tête et avait cette ligne charnelle qu’on nomme dans le peuple «le collier de Vénus» sous la peau blanche et diaphane, fraîche, douce au toucher comme le velours, on devinait le sang sain à la clarté du teint. Le nez fin, droit et pur de profil, avait des narines roses qui se dilataient et frémissaient aux impressions de la causerie; la bouche fraîche, appétissante, aux lèvres un peu épaisses, laissait voir dans le rire qui lui était habituel–avant les deux mois que nous venons de raconter–des gencives roses enchâssant deux rangées de perles d’un blanc nacré; les yeux étaient admirables, bruns; le regard était bête, mais d’une vivacité de bavarde; les cils étaient bruns, les sourcils roux brun, ce qui adoucissait le visage et donnait un air riant au front; les oreilles étaient toutes petites et d’un rose transparent; l’ovale court du visage était admirable, encadré par une chevelure brune et soyeuse qui faisait valoir la clarté du teint. Enfin, l’ensemble de ce visage était beau, gai et bon, mais bêta, et, nous l’avons dit, Adèle Tussaud était admirablement faite.

Au contraire de bien des femmes, on pouvait lire la pensée dans le regard. Et à l’heure où nous la dépeignons, accoudée, la main dans ses cheveux, en face de la fenêtre par laquelle tombaient sur son visage les derniers rayons du soleil couchant, elle eût ravi plus d’un peintre, «la belle Mme Tussaud,» comme on la désignait au Marais.

Elle rêvait, et sursauta tout à coup en entendant son mari qui clamait:

–Adèle, Adèle, entre donc chez ta fille, va la prévenir que nous montons avec Houdard.

–Elle dort, répondit aussitôt Mme Tussaud furieuse.

–Elle dort... elle dort... éveille-la, elle n’est pas fatiguée; elle ne fait que ça... et puis c’est elle qui a dit qu’elle voulait qu’on lui menât André lorsqu’il viendrait.

Cette dernière phrase était dite à plus haute voix, presque criée. Tussaud voulait absolument que Houdard, qui était à quelques pas derrière lui, l’entendît.

Il fallait obéir, et Mme Tussaud monta. Cécile était éveillée; elle avait entendu, et avec un ton singulier qui fit retourner la tête à sa mère, elle lui dit:

–Dis-leur de monter.

Quand Houdard entra dans la chambre, Cécile lui tendit la main, et, lorsqu’il la prit, il eut un tressaillement: la main de la jeune fille était glacée.

Tussaud et sa femme observaient la scène chacun avec un sentiment différent, Claude souriant, Adèle les sourcils froncés. Houdard, qui avait connu Cécile enfant et qui la tutoyait, dit:

–Eh bien, Cécile, tu vas mieux enfin...

–Oui, Dieu merci, c’est fini... Et j’ai tenu à vous remercier de vous être informé de moi...

–C’était bien le moins.

Il y eut un silence que Cécile rompit avec peine en disant:

–J’ai été folle, je le regrette bienn; vous ne m’en voulez pas, André?

Houdard, assez étonné, répondit aussitôt:

–Oh! ma pauvre enfant, t’en vouloir, tu as tant souffert!

–Voyez-vous, André, ces deux mois-là m’ont bien vieillie. J’ai beaucoup pensé, j’ai été bien malheureuse du mal que j’avais fait à ceux qui m’aimaient... J’ai compris que j’avais agi comme une petite fille, mes parents avaient raison...

–Tout cela était dit d’un ton saccadé, avec difficulté, comme en faisant des efforts pour parler; et cependant les trois personnes qui entouraient la jeune fille ne le virent pas, tant elles étaient bouleversées par ce qu’elles entendaient; Adèle surtout, Adèle restait bouche béante au pied du lit, regardant sa fille et paraissant lui entendre parler une langue qu’elle ne comprenait pas. Houdard, assez surpris, dit:

–Mon Dieu, Cécile, j’étais monté pour te voir, et je ne t’aurais pas. parlé de tout ça; c’est toi qui le fais; alors, je te dirai que tu m’as rendu le plus malheureux des hommes; cependant j’ai compris et n’ai point blâmé le sentiment qui t’a fait agir.

A ces mots le regard de Cécile alla chercher dans celui d’Houdard ce qu’il voulait dire; il continua:

–Ce sentiment est naturel, tu aimais ailleurs... Je n’ai pas le droit de t’en vouloir, je sais tes souffrances que l’amour fait endurer, puisque je t’aime et que tu me hais.

–André, vous ne m’en voulez pas, je vous demande pardon de ce qui est arrivé, pardon du scandale, et je suis disposée à tout faire pour le racheter, si vous m’en jugez encore digne.

Houdard la regardait, stupéfait; Claude souriait, mais Adèle s’écria:

–Ah ça, qu’est-ce que tu dis, Cécile?

Tussaud, imposant silence à sa femme, dit aussitôt:

–Adèle, veux-tu me faire le plaisir de te mêler de ce qui te regarde et les laisser s’expliquer?...

Houdard s’avança près de Cécile, cherchant à lire dans son regard; mais celle-ci avait constamment les yeux baissés.

–Cécile, je n’ose te comprendre, je n’ai rien à pardonner, puisque j’ai été la cause involontaire du mal; le scandale, tu sais que j’y attache peu d’importance, je méprise l’opinion publique.

Il sembla à Houdard qu’il avait entendu glisser entre les lèvres de Cécile:

–Oh! oui. Je le sais, cela!

Il se trompait, sans doute, et il continua:

–Cécile, tu es toute pardonnée, parce que je t’aime, et si aujourd’hui, plus raisonnable, tu comprends l’amour que j’ai pour toi, si tu veux tout faire pour racheter ce coup de tête, je te demande de reprendre nos relations où elles en étaient. Hélas! je n’ai plus de raison d’avoir de la jalousie.

Il y eut une crispation sur le visage de la jeune fille.

–Je te sais toujours la plus digne, comme tu es la plus belle... Veux-tu renouer ce mariage brisé?

Cécile mit sa main dans celle d’Houdard et dit simplement avec un gros soupir:

–Oui.

–A la bonne heure, ma Cécile, voilà où je te reconnais, ma fille... C’est toute ma nature; elle fait une boulette, elle le reconnaît, et pas de rancune, pas de fausse honte, elle revient... Oh! ma Zizille, c’est bien ça.

Et Tussaud, qui s’était penché sur sa fille, l’embrassait... André, tout étourdi, en sentant sa main dans sa main, en entendant: Oui, était tombé à genoux, et il embrassait la main de Cécile. Aèle Tussaud, cramponnée au bateau du lit, était comme pétrifiée; elle ne trouvait pas un mot à dire. Après bien des efforts, elle finit par jeter un cri:

–Mais c’est impossible!

Cécile dit aussitôt à son père et à Houdard:

–Retirez-vous, je vous prie. J’ai dit: Oui, et c’est arrêté!… Laissez-moi avec ma mère...

Les deux hommes obéirent; Houdard échangeant un regard avec Adèle, regard qu’elle soutint, furieuse, menaçante. Lorsqu’ils furent sortis, elle s’élança vers sa fille, et, tombant à genoux, fondant en larmes, elle s’écria:

–Cécile! Cécile! mon enfant, je t’en supplie, tu n’épouseras pas cet homme.

–Ne pleure pas, mère… Ne m’en parle plus, c’est arrêté, je l’épouserai.

–Je ne le veux pas... entends-tu... je ne le veux pas; c’est impossible!

Alors Cécile se pencha sur Adèle et dit, l’embrassant et pleurant:

–Ma pauvre mère!…..

Un instant, surprise et émue par les larmes de sa fille, par le ton singulier avec lequel elle venait de lui parler, Adèle regarda son enfant, et, suppliante, elle reprit aussitôt:

–Non, Cécile, non, tu ne peux te marier avec cet homme; c’est Dieu qui a voulu que tu survécusses à la catastrophe dont il fut la cause. Cécile, un mariage avec cet homme, c’est la mort; non, non, je t’en prie, mon enfant, à genoux, je t’en prie… Tu n’aimes donc plus ta mère.

–Mère, ma résolution est irrévocable... Relève-toi...

–Mais, non! ça n’est pas possible...

Et, tout d’un coup, semblant prendre une résolution héroïque, elle dit:

–Il y va de ta vie; qu’importe ce que tu penseras de moi, Cécile! Cet homme, ne peut pas être ton mari, parce que... cet homme est mon...

A ces mots, Cécile se jeta hors du lit, courut prendre sa mère dans ses bras et, avant qu’elle eût achevé, elle lui plaça la main sur la bouche, en disant à mi-voix:

–Tais-toi... je le sais.

Les yeux hagards, les lèvres tremblantes, de rouge de la honte subitement devenue pâle, Adèle regardait sa fille; elle balbutia:

— Tu le savais ?

— Oui !

Adèle Tussaud, écrasée, tomba sur sa chaise, au chevet du lit,–pendant que. Cécile se recouchait,– la tête basse, n’osant lever les yeux, elle répétait:

–Elle savait!….. On sait donc!

Elle sentit que le bras de sa fille passa autour de son cou, elle l’embrassa... La malheureuse femme pleura, et, toujours évitant le regard de son enfant, elle dit:

–Je .suis une misérable, une indigne créature; il faut avoir pitié de moi.

Et elle était lamentable à entendre.

–Non, mère, non! tu es une victime, je le sais... Un jour, sans le vouloir,–je cherchais dans le cabinet où sont nos robes, qui se trouve derrière la chambre,– j’entendis une vive discussion que tu avais avec André; il était question de moi oi; j’écoutai, j’appris que tu étais l’esclave de cet homme qui tient entre ses mains votre position; je compris dans ce que tu lui dis que tu avais été sa victime par la violence, et qu’il s’était, cependant, assuré ta discrétion et même ta complicité, parce qu’il obligeait mon père; il exigeait de toi, ce jour, de ne plus t’opposer à mon mariage avec lui, et tu dus céder. O mère chérie, j’ai tout entendu et j’ai vu que tu étais la plus malheureuse et la meilleure des femmes, et lui je l’ai jugé. C’est l’être le plus infâme, le plus misérable, le plus odieux.

–Et, ma pauvre enfant, c’est cet homme que tu veux épouser...

–Oui, ma mère... et elle sembla plaisanter en ajoutant, pour te venger peut-être.

–Non... non, je ne veux pas être vengée... le sacrifice de moi-même n’est rien, j’y suis décidée, je ne veux pas que tu souffres de ma faute...

–De ton malheur…, pauvre mère...

–Pour le monde, il n’y aura pas de malheur, c’est une faute!….. Non, et, puisque tu sais, je n’ai plus de ménagements à garder, je ne veux pas, entends-tu, je ne veux pas que tu sois la femme de celui qui fut mon amant. Tu n’épouseras pas cet homme.

–Il le faut, mère...

–Et pourquoi donc?

–Pourquoi... Écoute bien, mère: je pouvais refuser de me marier avec André, et tout était dit.

–Je l’avais espéré.

–Mais alors, outré de mon refus, il vous abandonnait... C’est moi qui tiens les livres chez vous, je connais la situation de notre maison... C’était la faillite, la ruine... De plus, c’était le déshonneur pour toi, car, je l’ai entendu, il te menaçait de révéler à tous vos relations.

Le visage caché dans ses mains, Adèle sanglotait...

–Ne pleure pas, mère, le temps des épreuves est fini... Je le savais capable d’exécuter ses menaces... Que faire? Un refus amenait tout cela; ma mort, au contraire, l’apitoyait sur vous, et ne fût-ce que pour ne pas être odieux à tous, étant la cause involontaire de ma mort, il ne pouvait vous abandonner... Moi, tu le sais, j’aimais Maurice, je lui avais tout dit, il avait été dé mon avis, et nous convînmes ensemble, ne pouvant nous marier devant les hommes, de nous marier devant Dieu.

Adèle avait relevé la tête et écoutait attentivement sa fille, étonnée devoir un plan arrêté, raisonné et exécuté avec une telle force de volonté par celle qu’elle croyait encore un enfant.

… Ce n’est pas le matin, c’est le soir en vous quittant que je suis partie d’ici; je ne suis restée dans ma chambre que le temps d’écrire les quelques lignes que vous avez trouvées. J’allai retrouver Maurice qui m’attendait place de la Bastille; il me mena chez lui où tout était préparé, nous bûmes le poison, il me mit au doigt cette alliance, et nous nous couchâmes…

–Que me dis-tu là? fit Adèle Tussaud étourdie.

–Je me réveillai au matin à l’aube... Maurice était mort... Je ne voulais pas lui survivre, j’assemblai ce que j’avais de force pour me lever, et je courus me jeter à l’eau… Tu sais le reste.

–Oh! mon Dieu! Et Adèle regardait sa fille sans trouver un mot à dire, la bouche demi-ouverte, écoutant, buvant ses paroles.

–Mère, j’étais mariée à Maurice Ferrand, je suis veuve!… et je serai mère...

–Ah! comment, tu es...? oh!

–Tantôt, c’est moi qui avais demandé au médecin de rester seul avec moi; je l’ai consulté sur ce que je redoutais... C’est vrai! ce que tu prenais pour un malaise survenant de ma maladie, ces maux de cœur, que tu croyais être les dernières traces de l’empoisonnement… ce sont les commencements de ma grossesse...

–Ah! ma pauvre enfant! qu’allons-nous faire? s’écria la mère affolée...

Cécile sourit singulièrement en disant:

–Je te l’ai dit, mère... je vais me marier avec Houdard; il faut un père à mon enfant, il faut que je le venge, lui, car c’est à cause d’Houdard que nous avons voulu mourir et qu’il est mort.

Adèle Tussaud, assise près du lit de sa fille, les mains croisées sur ses genoux, perdait la tête, étourdie par ce qu’elle venait d’apprendre, tandis que Cécile, calme, souriait méchamment au plan qu’elle avait arrêté, et semblait visiblement soulagée par l’aveu qu’elle venait de faire.

–Tu le vois, mère, il faut que je me marie. avec Houdard, n’est-ce pas?... C’est bien le moins qu’il élève l’enfant, puisqu’il est la cause qu’il n’a pas de père.

–C’est toi qui as combiné, arrêté tout cela? Tu m’épouvantes…

–Tu verras plus tard, mère; tu ne sais aujourd’hui que la première partie du châtiment que je veux infliger à cet homme... Mère, je suis bien fatiguée maintenant; laisse-moi dormir, il est tard, va les retrouver, et rends mon pauvre père bien heureux en lui disant que tu approuves mon mariage... Bonsoir, maman.

Et elle dit ces derniers mots en enfant, attirant sa mère dans ses bras, et l’embrassant avec amour. Adèle lui rendit ses baisers, lui dit bonsoir, et sortit de la chambre, presque en s’appuyant au mur, toute secouée, toute bouleversée par ce qu’elle venait d’apprendre.

Lorsqu’elle arriva dans la salle à manger, Houdard et Tussaud buvaient un verre de fine eau-de-vie; ce dernier lui dit:

–Eh bien, est-ce que tu vas maintenant t’opposer à la volonté de cette enfant?

Le regard d’Houdard la cherchait; elle le regarda en souriant et dit:

–Non, au contraire… nous avons causé sérieusement, et j’ai vu que cette fois elle était absolument décidée. Aujourd’hui ce n’est plus un sacrifice, au contraire après ce qui s’est passé elle a hâte d’être mariée, je l’approuve.

Houdard en fut tout interdit, et Tussaud trinquant avec lui, dit joyeusement:

–Enfin!….. c’est pour de bon, cette fois; à ta santé, mon gendre!

La grande Iza

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