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V VIEILLES AMOURS.

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André Houdard avait d’un mot rendu l’espoir au malheureux père; sa fille, peut-être, n’était pas morte; une pensée, qui la veille l’aurait empli de rage, le rassérénait à cette heure, et il se serait bien gardé de la dire à Houdard; le père pensait logiquement; il se disait: «Ma fille a quitté la maison parce qu’elle ne veut pas se marier avec la Rosse; elle aime Maurice Ferrand; elle a fait un coup de tête; elle s’est sauvée de chez nous pour aller se cacher chez Maurice, et elle nous dit qu’elle va mourir, pour que nous n’ayons pas l’idée de la chercher là.» Tout content de ce raisonnement qui le satisfaisait, Claude Tussaud reprenait courage. Pour lui,– et il s’appliquait à se l’affirmer,–on ne mourait pas, on ne se faisait pas mourir pour des raisons d’amour. Assurément, sa fille avait été retrouver Maurice, et, dans sa pensée, courant à la fin, il se disait t: «Eh bien, quoi, elle fera un mauvais mariage, mais il sera selon son cœur… Mais elle vit..., elle vit, ma chère fille.»

C’est tout plein de ce raisonnement qu’il dit à sa femme qui descendait effrayée:

–Adèle, ne pleure plus, je vais la chercher.

Cette fois Houdard regarda Claude, se demandant ce que signifiait cette assurance. Claude, entraînant ses deux témoins, les faisait monter en voiture, et disait au cocher:

–Rue de Lacuée, en face du pont d’Austerlitz.

Les deux témoins se regardèrent, se demandant où on les menait; mais, voulant prendre leur part de l’espoir du père, ils sourirent.

Ils étaient à peine sortis que Houdard chargeait un parent de répondre aux invités qui arrivaient à chaque instant pendant qu’il allait parler à sa future belle-mère. Adèle était au milieu du petit escalier et descendait, plus calme, presque consolée par les dernières paroles de son mari. Houdard monta l’escalier, il lui prit le bras pour la faire remonter et, en sentant le tremblement répulsif que lui donnait son toucher, furieux, il la poussa brutalement. Adèle dit à voix basse:

–Que me voulez-vous donc encore?

–Je veux que nous nous expliquions. Je veux comprendre la scène que tu m’as faite tout à l’heure, et l’explication de ce que dit ton mari. Allons, monte.

Ces mots étaient dits d’une voix sourde qu’elle seule pouvait entendre, et dont le ton, l’accent ne souffraient pas de réplique.

–Je veux descendre, dit-elle cependant, essayant de passer devant lui.

Il la prit alors dans ses bras et la remonta dans la chambre; il l’assit dans un fauteuil, et cela en disant trois mots:

–En voilà assez!

Cette audace épouvanta la malheureuse; elle craignait tant d’être surprise l’esclave de cet homme, qu’elle se tut; elle restait dans le fauteuil où il l’avait jetée, brisée et comme hébétée, et elle l’entendit qui disait:

–Allons, maintenant que tu es devenue raisonnable, nous allons causer.

Et il alla fermer la porte; puis, sûr d’être bien seul avec elle, il s’assit sur le petit lit virginal de Cécile, bien à l’aise, s’étendant à demi, et placé en face de la malheureuse mère, il dit:

–Causons un peu, Adèle.

La pauvre femme, la tête baissée, les yeux démesurément ouverts, était anéantie. Après quelques minutes de silence, Houdard, négligemment étendu sur le lit, les bottes sur l’édredon, comme un fumeur sur le divan d’un estaminet de bas étage, lui dit:

–Ah ça! Adèle, quelle comédie joue-t-on ici? Qu’est-ce que tout ça veut dire? J’en suis à me demander si la petite fête n’est pas dirigée par Mlle Cécile et sa mère. Si c’est une façon d’exécuter ce que tu voulais faire, écoute bien, Adèle, je sortirai d’ici pour aller chez mon avoué et dans vingt-quatre heures Claude sera en faillite...

Adèle le regardait avec le visage d’une femme qui recevrait une douche d’eau glacée; elle ne trouvait pas un mot à répondre, tant les pensées d’Houdard la stupéfiaient.

–Mais tu crois donc avoir affaire à un enfant, en jouant ce jeu-là avec moi? Vous faites la petite comédie du suicide, en vous disant: «Il est trop engagé aujourd’hui; que le mariage ait lieu ou soit rompu, il ne peut nous abandonner, il est trop engagé, on dirait trop que ce mariage était une spéculation!» Mais oui! exclama t-il, c’est une spéculation, mais oui, et pas autre chose, et on peut le dire, vous spéculez sur votre enfant. Moi, qui me moque qu’on me dise que je suis un débauché, un libertin, qu’est-ce que ça me fait? Je suis au contraire très content de justifier le sobriquet que je porte: la Rosse!….. Et puis, après? Ah! vous avez cru que, le mariage manqué, je serais toujours l’ami?... Mais, ma pauvre Adèle, il y a longtemps que tout est fini entre nous!

–Pas assez longtemps pour que je n’en rougisse encore!

–Oh! tout cela, des mots... Tu ne vas pas recommencer la scène du jour où j’ai demandé ta fille?... Quoi! tu diras tout à ton mari! Eh bien, finissons-en avec celle-là. Qu’est-ce qui arrive? Tu dis à ce brave garçon: «Claude, tu as cru que j’étais une honnête femme, tu as cru que la mère de ton enfant t’avait toujours été fidèle?... Tu n’étais qu’un imbécile... Ton ami André, ton plus intime ami, a été mon amant!…..» Et puis après?... tu crois qu’il m’en voudra?... Il pensera la vérité: c’est que tu n’es qu’une... tu me comprends, et que celui qui te désire… t’a facile…

–Oh! s’écria Adèle, misérable!….. gueux! tais-toi! tais-toi!

–Oh! à cette heure, tes cris ne m’effrayent plus, je suis décidé à tout. Et quand on saura que tu as été ma maîtresse, en quoi veux-tu que cela me gêne? Est-ce que le but de l’homme, indépendant, libre comme moi, n’est pas de chercher l’amour où il le trouve? L’homme attaque, il n’a pas mission de vertu et il n’a pas fait de serment de fidélité; celui de la femme est de se défendre. Et tu comprends que tes airs de Madeleine repentie n’attendriront personne.

–Ainsi vous ne respectez rien; après m’avoir séduite (et je dis ce mot qui n’exprime pas ta violence qui me fit votre victime), après m’avoir séduite, vous m’insultez et vous me menacez. Si votre cœur n’est pas assez haut pour comprendre le respect que l’on doit à la femme qu’on a flétrie, vous devriez avoir au moins de la pitié pour le malheureux honnête homme que vous voulez déshonorer; vous reculeriez devant l’infamie dont vous menacez celui que vous appelez votre ami.

–J’ai bien le droit de l’appeler ainsi, fit cyniquement Houdard, son amitié me coûte assez cher... Si vous vivez tous, je crois que vous me le devez bien un peu… C’était bien le moins que je trouve avec toi l’intérêt de cet argent-là...

–Vous m’épouvantez... Et la malheureuse, revenant à la cruauté de la situation, écrasée de honte et de mépris, fondit en larmes, s’écriant: Mon Dieu! faut-il que je vous bénisse de ce qui arrive, et n’était-ce pas un supplice plus terrible que la mort de la savoir aux mains d’un pareil homme?

–Il est bien temps de me juger! Mais je vois la comédie. Vous vous êtes dit, avec un petit scandale, il renoncera à ce mariage; vous avez joué la petite scène; on va retrouver Cécile, son père va la ramener, et alors on me fera des excuses, et elle épousera le petit chérubin de madame, l’ancien apprenti...

–Taisez-vous! taisez-vous! supplia Adèle qui se reprenait à l’espoir de retrouver sa fille et de voir l’odieux mariage rompu, en l’entendant lui-même le raconter.

–Mais ce n’est pas à la Rosse que l’on joue de ces tours-là, la belle Mme Tussaud... ainsi qu’on te nomme dans le Marais.

–Et que feriez-vous donc?

–Ce que je ferai!….. Lorsque ton mari va ramener ta fille, je lui prendrai la main, je la ferai monter en voiture, et à la mairie; et si quelqu’un s’y oppose, même Cécile, je monte dans la voiture de la mariée, je vais au tribunal de commerce et je fais déclarer la maison Tussaud et Ce en faillite...

Adèle ne répondait pas, elle se plaisait à ne plus penser qu’à sa fille; elle s’attachait à cette idée qu’on allait la lui ramener. En la voyant ainsi, André s’écria:

–Tu ne m’as pas entendu? Tu ne m’as pas compris?

–Si, parfaitement.

–Et tu ne dis rien?

–Je dis que, toute réflexion faite, le malheur de ma vie vaut bien le bonheur de mon enfant. Nous serons ruinés, mais Cécile épousera l’homme qu’elle a choisi.

–Que tu as choisi. Voilà bien le petit complot qui. commence.

–S’il est un moyen de racheter la paix, c’est en me sacrifiant à mon enfant… Je le ferai.

–Mais tu parles pour toi, continua Houdard avec un mauvais sourire, et lui, mon ami Claude, celui que tu appelles le malheureux homme, lorsqu’il saura que, si je lui prêtais de l’argent, c’est parce que...

–Parce que?... fit Adèle relevant la tête, les yeux brillants.

–Parce que je me contentais de certains intérêts que tu me payais.

–Vous lui diriez ça, vous! vous!

–Aussi tranquillement que je te le dis là...

–Eh bien, sur mon enfant, je vous le jure, je dirais à Tussaud: «Il ment, il ment, il se venge,» et mon mari me croirait, et, outragée devant lui, devant ma fille, je lui dirais: «Claude, si tu me respectes, si tu m’aimes, au nom de ton enfant, tue-le,» et monsieur Houdard, j’en jure Dieu, je connais mon homme, c’est moi qu’il croirait, et c’est à moi qu’il obéirait; il est bon, Tussaud, mais il est brave; il est doux, Tussaud, mais quand on touche à sa femme ou à son enfant, il devient féroce, et alors, s’il n’était pas assez fort, je l’aiderais, moi, entendez-vous, monsieur Houdard... Jamais, jamais je n’avouerai ma faute e; il en mourrait; et, mort pour mort, j’aime mieux qu’il finisse en homme outragé qui défend son honneur.

Tout cela avait été dit sans éclat, sans cri, d’une voix sourde, et chaque phrase frappait comme un coup de poing. Lorsqu’elle eut fini de parler, Houdard s’était levé; il était pâle, il avait compris qu’elle n’avait pas menti, et, un moment, il regardait ses mains, redoutant déjà d’y voir une arme; il voulut cacher l’émotion ressentie et il reprit du même ton gouailleur, mais plus doux:

–Tu dis toujours que tu fus ma victime. C’est comme ça qu’il aurait fallu te défendre alors.

–Alors est-ce que je savais qu’on avait besoin de se défendre: je n’avais connu que des gens qui respectaient le foyer où ils étaient reçus. Je vous croyais un honnête homme, puisque vous veniez chez nous pour nous sauver. Il a suffi d’une heure pour vous connaître... Cette heure a pesé toute ma vie sur moi. Enfin, monsieur Houdard, sachez-le: c’est le dernier entretien que nous aurons ensemble; vous pouvez nous ruiner, mais n’essayez pas de nous déshonorer... ou alors!…..

–Alors? fit-il, clignant de l’œil en la regardant.

–Alors, c’est moi et Tussaud qui vous étranglerons.

Il haussa les épaules; mais Adèle vit qu’il était dompté. On entendit la voiture qui s’arrêtait à la porte. Houdard descendit, Adèle jeta un châle sur ses épaules et se précipita, le bousculant, pour arriver en bas espérant voir sa fille. Tous les invités attendaient dans la grande salle à manger, se regardant les uns les autres, se demandant l’explication de ces retards; car, dans l’espérance que rien de grave n’arriverait, on n’avait rien dit aux invités, on s’était borné à dire la vérité aux deux ou trois intimes...

C’est Tussaud qui parut le premier. En le voyant, la malheureuse perdit tout espoir; elle courut vers lui, se jeta dans ses bras, et sanglotant lui demanda:

–Eh bien, Claude?

Il fondit en larmes en répondant:

–Rien... Nous avons été chez Maurice, elle n’y a pas été, on l’a entendu rentrer hier à l’heure habituelle, il est parti à son travail, sa fenêtre était ouverte comme toujours... Ma pauvre Adèle..., c’est fini va, nous n’avons plus d’enfant.

Et les deux malheureux pleuraient.

Houdard, accoté dans le coin de la pièce, sur le chambranle de la porte de l’escalier, regardait la scène de désolation, en mordillant ses moustaches, et se demandant ce que signifiait tout cela; il se refusait à croire à la réalité du suicide. Cécile se tuant plutôt que de l’épouser, lui, cela était impossible; et il n’avait pas dit un mot; il était gêné par ce qui s’était passé quelques minutes avant. La résistance de Mme Tussaud l’avait étonné, son audace, son courage, sa franchise l’avaient stupéfié. Il croyait être le maître de cette femme, à cause de son passé, et au contraire elle s’était redressée farouche, menaçante, et c’était lui qui avait été accusé, c’est lui qui avait été menacé.

Dans son coin, sombre, il observait la scène, un tableau triste et qui faisait ressembler la noce à un enterrement. Tout le monde pleurait et s’empressait autour des parents, cherchant à leur donner une assurance qu’il n’avait pas.

La malheureuse mère se trouvait sans force et sans énergie pour résister au résultat négatif des recherches de son mari; c’était fini, sa fille était perdue, elle n’avait plus d’enfant. Épuisée par la lutte qu’elle venait de soutenir contre Houdard, lorsque son mari, qui la soutenait dans ses bras, l’abandonna une seconde, elle s’écroula et tomba tout de son long par terre. C.’était trop, la mère était terrassée.

De son côté, Claude Tussaud, qui, au fond, s’accusait d’être la cause de la mort de sa fille, tomba sur un siège, abattu, épuisé, presque hébété, pleurant comme un enfant, disant des niaiseries sentimentales qui déchiraient le cœur de ceux qui les entendaient.

Seul, Houdard restait debout, froid, calme, accoté au mur, écoutant et observant, et tous les invités étaient si occupés des malheureux père et mère qu’ils ne le voyaient pas, qu’ils ne remarquaient pas que seul le marié semblait indifférent à la disparition de sa future.

Ce fut la couturière qui vint vers lui et dit:

–Monsieur Houdard, ça ne vous fait donc rien, à vous?

Il haussa les épaules en répondant avec un mauvais sourire:

–Ça n’est pas pour rien qu’on m’appelle la Rosse; je justifie mon nom...

La grande Iza

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