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IX HOUDARD EST INQUIET DE SON BONHEUR.

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Table des matières

On juge facilement de l’étonnement que produisit sur chacun des gens du quartier la nouvelle que le mariage de la charmante Cécile Tussaud avec la Rosse était repris à nouveau, et ce n’était pas un petit scandale après celui qu’il y avait déjà eu. Cette fois, tout. ce que la méchanceté, la jalousie peuvent mettre de venin aux lèvres des bavardes se répandit: «On savait bien que tout cela n’était qu’une comédie, et peut-être même Cécile l’avait-elle jouée pour se débarrasser de son ancien amant, et même rien ne prouvait que, depuis quelque temps, Houdard n’était pas l’amant préféré, que ce n’était pas lui, connu pour être capable de tout, qui avait combiné tout cela.»

Enfin Cécile épousait Houdard, et Cécile était jolie, et on savait qui Houdard était; non, cela était incroyable, et toutes les vieilles filles restées pour compte aux parents, et toutes les bossues, les borgnes, les bancales, tous les laiderons qui mouraient de consomption devant les étalages de marchands de fleurs d’oranger, clamaient une jolie chanson sur la belle et jeune épouse. La vérité était assez cruelle, elles l’ignoraient, et leurs inventions la dépassaient et bien au delà; si elles l’avaient sue, qu’auraient-elles dit?

La maison de la rue Saint-François avait repris l’allure qu’elle avait au début de cette histoire; ce n’était plus dans l’intérieur qu’un va-et-vient de couturières et de lingères… et cette fois, ainsi que le disait Tussaud:

–J’y vais tranquillement t; je bâtis sur du solide; je suis sûr de ma fille, un vrai caractère; c’est long à se décider, mais une fois que ça y est... c’est tout d’une pièce, et quand ça vous promet quelque chose on est certain de l’avoir.

Cécile était étonnamment changée, et seule, sa mère le remarquait; son charmant visage était toujours sévère, mais parfois un rayon de gaieté, gaieté singulière, déchirait le voile; éclat nerveux, saccadé, dont l’exagération vous stupéfiait; elle riait si largement de choses absurdes qu’on se demandait si la jeune fille qu’on avait jugée spirituelle dans son bagout de petite enfant gâtée, n’était pas une grande niaise imbécile. Seule, sa mère savait, et cette gaieté factice d’une heure à laquelle succédaient des journées de tristesse et des nuits d’insomnie, l’effrayait. Adèle était triste, mais on attribuait son état à la jalousie qu’elle éprouvait de voir Houdard adorer sa fille.

Houdard avait été souvent surpris de ces accès de gaieté, et, se souvenant des dernières phrases que lui avait adressées Cécile la veille de sa tentative de suicide, il devenait rêveur. Cécile, on s’en souvient, avait répondu le soir, au moment de quitter Houdard qui lui disait:

–Voyons, ma belle petite Cécile, tout est bien arrêté maintenant, demain nous nous marions... tu n’auras pas un sourire?

–Je vous ai dit, monsieur André, qu’habituée à l’obéissance envers mon père et ma mère, j’obéirai à tout ce qu’ils croient être le bien pour moi... Mais je vous ai dit, à vous, les sentiments que vous m’inspiriez; il vous plaît de passer outre, vous serez responsable de ce qui peut arriver.

Ces mots, dits avec calme, avaient amené un mauvais sourire sur les lèvres d’André Houdard; il avait eu un éclair menaçant dans les yeux, puis il avait haussé les épaules. Mais, à cette heure, la phrase revenait sans cesse lui rougir le front; est-ce que, vaincue par le sort qui dans sa tentative mortelle n’avait pas voulu la servir, acceptant stoïquement la situation que voulait son père, «habituée à l’obéissance,» elle ne se marierait pas pour en finir, mais avec l’idée d’exécuter sa menace: «Vous serez responsable de ce qui peut arriver?» Houdard était tourmenté par cette pensée à ce point que lorsque Cécile, tout à fait rétablie, assise près de la fenêtre, occupée à quelque travail de couture, ne le voyait pas, il la regardait avec admiration, , avec amour, puis peu à peu le front se plissait, il avait peur, et Tussaud, le surprenant ainsi, s’écriait:

–Ah ça, André, qu’est-ce que tu as? est-ce que tu deviens malade?

Cécile relevait la tête. Houdard lui souriait, elle lui rendait un sourire triste, et reprenait son travail.

Cela tracassait la Rosse, et la veille du mariage il résolut d’avoir une explication avec sa fiancée.

Cécile était dans l’embrasure de la fenêtre, Tussaud faisait la paye à ses ouvriers. Mme Tussaud préparait les toilettes du lendemain, Houdard embarrassé, gêné, prit un siège et vint se placer près de sa fiancée; un tressaillement qu’il ne vit pas, secoua le corps de la jeune fille… Il était très embarrassé pour parler. Cécile ne lui était pas familière, il était content près d’elle; amour puissant, mais mal venu, conscient de sa naissance immorale, il était honteux et n’osait se faire voir; l’homme n’avait donc que le côté matériel du fait, la passion ne l’animait pas, l’amour heureux ne l’exaltait pas, et il se sentait bête. Houdard fit un effort:

–C’est demain, Cécile... enfin... Si tu savais combien je voudrais que cette journée fût passée...

–Pourquoi? demanda Cécile calme, et sans lever la tête.

–J’ai tant souffert, il y a deux mois… j’ai peur maintenant.

–Mais, monsieur Houdard, je vous ai dit, cette fois, que vous aviez ma parole, et je vous l’avais refusée alors...

–C’est vrai! et je sais bien que tu n’as qu’une parole... C’est justement pour cela que je voudrais te parler.

Cécile releva la tête, son grand œil calme se fixa sur Houdard et l’embarrassa.

–Vous voulez me parler pour ça? dit-elle.

–Oui.

–Je vous écoute.

–Tu as été si sévère avec moi, si cruelle, l’autre fois, que je me demande si aujourd’hui ce n’est pas à une volonté que tu obéis en acceptant sans résistance ce que tu repoussais si durement avant.

–Oui, j’obéis à une volonté.

–Hein!

–La mienne! je vous ai dit tout cela, Houdard, le jour où je vous ai demandé pardon.

–Aujourd’hui rien ne te force?

–Non, rien que la raison...

–Mon Dieu! ma chère Cécile,–et en disant cela il cherchait à prendre sa main; la jeune fille feignit de ne pas voir le mouvement et se remit à coudre,–je sais bien que ce n’est pas l’amour qui t’entraîne vers moi, tu n’es pas à l’âge où l’on sait ce qu’est l’amour... l’amour des petites filles te fera rire plus tard.

–Ah! fit Cécile calme.

–Oui, ça n’est pas ça, l’amour.

Houdard sentit qu’il disait des bêtises, des niaiseries, et n’arrivait pas à demander ce qu’il voulait. Il y eut un silence, que Cécile se garda bien de rompre, devinant la gêne et l’embarras d’Houdard.

–Enfin, tu te maries aujourd’hui de ton plein gré?

–Absolument.

… Tu n’as pas de regret?

–Mais non; pourquoi me demandez-vous ça?

–Écoute, Cécile, parce que j’ai peur.

–Peur! et de quoi?

–Tu n’es plus la même... Tu es presque toujours sombre; puis tout d’un coup, pour la moindre des choses, tu deviens gaie, d’une gaieté qui fait mal...

–Oui, vous avez raison, c’est ma maladie qui est cause de cela; mais, ajouta-t-elle feignant de croire que c’était à propres de sa tenue le lendemain qu’il lui parlait, soyez tranquille, André, demain je ferai bien attention, je ne serai plus sombre, je serai gaie, bien franchement gaie.

–Enfin, tu ne feras pas d’efforts?

— Mais non!

–Je t’aime tant, Cécile, maintenant, je crains que tu ne sois tourmentée...

–Je vous assure, fit-elle encore avec son sourire singulier, que demain, je serai très gaie, très heureuse. J’aurai fait ce que je veux… Vous entendez, André, ce que je veux.

Et elle le regarda, et les yeux d’Houdard voulurent lire dans les siens si ces mots ne signifiaient pas autre chose; elle soutint le regard avec calme et en souriant, et Houdard se leva dépité, presque furieux, grognant entre ses dents:

–Qu’est-ce que ça veut dire?

Mais il se rassura bien vite; après tout, que pouvait-il advenir? Cécile était une brave et honnête fille, incapable de toutes vilenies; si un jour entraînée dans un amour de petite fille, elle avait été un peu loin, non seulement sauvée de la catastrophe, elle était vivement revenue à elle, mais au contraire, il semblait que cela lui avait servi de leçon, et l’avait rendue plus douce et plus souple. La réflexion le rassurait sur Cécile; il n’en était pas de même lorsqu’il voulait s’expliquer la conduite d’Adèle Tussaud: quelle raison avait pu transformer aussi radicalement ses idées? quel mobile la faisait agir après avoir été si sévère avec lui? d’où venait cette souplesse? Il se souvenait de la scène odieuse du matin du mariage; il se rappelait la fauve farouche qu’il avait eue devant lui, l’injuriant, le menaçant et ne baissant la voix presque que sous les coups. Il entendait encore ses déclarations lorsqu’elle disait préférer voir sa fille morte que la voir entre les bras d’un tel époux. A cela, il ne trouvait qu’une réponse, c’est que Cécile avait imposé sa volonté à sa mère; et cela lui plaisait à penser. Alors il se trouvait non gêné, mais tremblant de ne plus sentir la résistance accoutumée, comme le tireur à l’épée, ne sentant plus le fer de l’adversaire, craint à chaque seconde d’être touché. Il allait en aveugle, entraîné si doucement, si facilement, qu’il n’osait y croire.

Le lendemain, la rue Saint-François était littéralement impraticable, à cause de la foule qui stationnait devant la porte et autour des voitures, attendant pour voir monter en voiture «la jeune fille qui s’était jetée à l’eau;» et c’est là qu’il fallait en entendre de belles; c’est là que de nouvelles légendes couraient; il suffisait de les entendre pour être à jamais dégoûté du mariage. Au contraire de ce qu’on aurait pu croire, les invités étaient plus nombreux. Les Tussaud s’étaient bien promis de faire une noce intime après ce qui était arrivé, se bornant à inviter les proches parents et les vieux amiss; mais alors ils avaient été tourmentés par des réclamations, les demandes d’invitation venaient de tous les côtés, et il fallait accepter, car Tussaud disait:

–Quand on est dans les affaires, on est bien forcé de n’y pas regarder; et puis, vous savez, ça me fait plaisir de voir l’intérêt qu’on nous porte.

La vérité, c’était que le mariage si rapidement renoué étonnait tout le monde; comme pendant la maladie de Cécile on avait été très discret, on flairait un mystère, on espérait qu’il se passerait quelque chose d’extraordinaire, on voulait voir, on prenait ses billets; on voulait, dans l’espérance d’un scandale, pouvoir dire plus tard: J’y étais.

Les voitures de grande remise étaient superbes; elles avaient presque des allures de voitures de maître, n’étaient les grands diables de chevaux, qui remplaçaient en hauteur la maigreur de leurs flancs; les oreilles étaient un peu tombantes, les dents usées jusqu’aux gencives, les genoux un peu fléchissants; mais quel harnais! que de fleurs d’oranger! et les cochers, comme ils flairaient bien le monde bon enfant, où l’on place à côté d’eux un bon jeune homme qui vous offre des cigares et fait passer le temps par une agréable conversation. Ils avaient des bonnes faces réjouies, qui tranchaient sur leur cravate blanche, comme des guignes sur de la crème.

Lorsque le garçon d’honneur fit avancer la voiture de la mariée, ce fut un brouhaha, une bousculade que contenaient à peine les mouvements et les piaffements des chevaux. Toutes les têtes se tendirent, les yeux guettèrent, les lèvres étaient tremblantes; on allait pouvoir médire, assurément, et c’est le fiel qui les rendait si luisantes.

Cécile parut, les yeux modestement baissés, sans embarras, gracieuse dans sa toilette d’un jour, éclatante de beauté dans son grand voile levé sur sa tête; le ton de sa chair était admirable dans ce blanc laiteux, ses cheveux semblaient d’un noir étrange, et de toutes ces lèvres, où pendaient la haine, la jalousie, l’envie, une seule exclamation s’échappa; un cri d’admiration:

–Oh! qu’elle est belle!

Cécile, élégante en chacun de ses mouvements, monta dans la voiture, paraissant n’avoir pas entendu et n’avoir rien vu autour d’elle; pour un observateur attentif, on eût pu croire qu’elle marchait dans un rêve, isolée, seule au milieu de ce monde; elle allait se marier avec un fiancé imaginaire, tops ceux qui l’entouraient étaient des comparses, elle seule voyait.

Ce cri d’admiration échappé, il serait payé, on pouvait en être sûr; ah! on ne pouvait pas l’attaquer au physique e! Laissez partir les voitures, et glissez-vous dans le groupe, et vous verrez ce qu’on dit du moral.

Les parents montèrent, et la voiture tourna au pas le coin de la rue pour attendre les autres, toujours enveloppée de curieux; les femmes seraient volontiers montées sur le marchepied, auraient passé leur tête par la portière pour mieux voir. ou pour essayer de mordre; les hommes regardaient la mariée; ils avaient de l’humidité dans le regard, et d’un clignement d’yeux significatif indiquaient une pensée que nous nous abstiendrons de traduire ici.

Quand le marié monta en voiture, ce fut encore, de la part des femmes, un petit cri admiratif, tout joyeux, que quelques-unes exclamèrent effrontément assez haut, avec l’intention d’être entendues et remarquées...

Enfin le cortège se mit en route vers la mairie; lorsque les deux fiancés placés devant le bureau du maire se levèrent pour la cérémonie, il y eut une petite bousculade parmi les invités; on espérait que le petit scandale allait avoir lieu; mais tout se passa pour le mieux, et on entendit très distinctement les deux: oui, des époux. Il y eut une petite désillusion; on n’espérait rien pour l’église; c’était donc le soir seulement qu’il y aurait quelque chose.

On se rendit à l’église; le prêtre unissait les deux époux lorsque tout à coup un mouvement se produisit; tout le monde se pencha pour regarder; plusieurs des invités sortirent même des rangs pour mieux voir. On n’entendait rien, mais assurément il se passait quelque chose. Et voyez quel guignon: à l’église, juste le lieu où décemment on ne pouvait quitter sa place pour se rapprocher des époux, les acteurs, à cette heure, de la comédie que les invités féroces venaient voir.

Il y avait un bruit incroyable dans l’église, que la voix de l’orgue couvrit heureusement; les frou-frou de soie, les heurtements de chaises, les livres de messe qui tombaient et le bourdonnement de cette phrase qu’on se disait à mi-voix:

–Qu’y a-t-il? qu’y a-t-il?

Il y en avait même qui, s’oubliant, disaient effrontément à leurs voisins:

–Ah! c’est maintenant; c’est maintenant!

Heureusement, nous l’avons dit, la voix puissante de l’orgue chantait le jour de l’heureux hymen.

Il se passait véritablement quelque chose, car les époux étaient debout devant le prêtre et celui-ci, semblant tout décontenancé, les regardait l’un et l’autre. André, droit devant Cécile, le front plissé, semblait l’interroger, et celle-ci, calme, ne paraissait, pas l’entendre.

Ce qui se passait était des plus simples, le prêtre accomplissait son œuvre, et on était au moment où les époux se glissent au doigt l’anneau nuptial. Cécile, toujours isolée au milieu de sa noce, se trouvant par sa volonté dans un mariage imaginaire où Maurice vivant était son fiancé, les yeux mi-clos, évoquait la mémoire de son cher mort. Lorsque Houdard dut lui passer au doigt l’anneau nuptial, sans tourner la tête elle tendit la main. Houdard, heureux depuis le matin, satisfait enfin dans son rêve, prit le bout des doigts de celle qui était désormais sa femme; souriant, il regardait la main blanche et fine de Cécile; il allait glisser l’anneau, lorsqu’il vit une large alliance; étonné, il lui dit tout bas:

–Cécile, retire cet anneau.

Cécile tourna la tête et le regarda d’une telle façon, avec un tel air de mépris, qu’il en eut un tressaillement.

Alors, le sourcil froncé, il prit le doigt et essaya d’en arracher l’anneau, en disant, d’une voix que Cécile. seule pouvait entendre:

–Qu’est cela?

Cécile retira vivement sa main, craignant déjà que l’alliance ne fût souillée par le toucher d’Houdard, et. elle ferma la main, en disant bas:

–C’est l’alliance de celui dont je suis veuve.

Houdard était stupéfait, comme pétrifié. Le prêtre, en voyant Cécile retirer sa main, en voyant un anneau brillant de neuf à son doigt, crut la petite cérémonie accomplie; et, avec la tranquillité indifférente de ceux qui se chargent de prier pour les autres, il continua… Heureusement, on s’asseyait; il était temps, André s’écroula sur sa chaise.

Anéanti, livide, dans la grande église pleine de monde, il ne voyait plus. Que voulait donc dire cette phrase qui bourdonnait à son oreille, et quel rôle comptait donc jouer dans son ménage celle qui lui avait répondu ainsi? Si c’eût été en tout autre lieu, une explication, immédiate aurait suivi; il tenait toujours dans ses mains gantées l’alliance et ne savait comment la cacher au regard de tous; il lui semblait que tout le monde regardait sa main. Il ne pouvait savoir combien les femmes étaient dépitées; car, effectivement, au moment de la remise de l’alliance, toutes s’étaient penchées afin de voir si l’anneau glissait plus bas que la dernière phalange, ce qui indique, paraît-il, que la femme sera la maîtresse à la maison. Et elles n’avaient rien vu et moins deviné encore, puis le petit scandale attendu ne s’était pas encore produit. Cependant on trouvait que monsieur le marié faisait une drôle de tête. Sentant les regards peser sur lui, André se dompta; en cherchant son mouchoir, il cacha l’alliance; il épongea son front où la sueur perlait, et, ne voulant pas ajouter le ridicule à sa situation anxieuse, il sourit et tourna la tète pour adresser un bonjour de tête aux quelques amis qui se trouvaient le plus près de lui.

La cérémonie était terminée; il prit le bras de sa femme et sortit de l’église, suivi de tous les invités, lesquels, sous le portique, lui adressaient leurs plus sincères (!) compliments et félicitations.

Il conduisit Cécile à la voiture et monta près d’elle, accompagné de la demoiselle d’honneur et d’Adèle Tussaud.

André n’était pas un niais; de plus, André était un fort qui savait, lorsqu’il le fallait, obliger les muscles de sa face a sourire quand son âme était en deuill; il affecta dans la voiture d’être l’homme le plus heureux de la terre, entièrement occupé de sa jeune femme, aux petits soins pour elle, soutenant son bouquet, disposant les plis de sa robe, s’informant si les émotions ressenties ne risquaient pas de la rendre souffrante e; il n’y avait pas si longtemps qu’elle était tout à fait convalescente!

Aussi, ceux qui étaient venus pour la première du scandale commençaient-ils à tout oublier et à prendre définitivement le parti de s’amuser. On trouva qu’Houdard valait beaucoup mieux que sa réputation, qu’il était très «comme il faut,» très galant auprès des dames, plein de passion et de réserve, de bon goût avec la jeune mariée. Cécile, de l’avis de tous, était adorable; elle avait eu un sourire aimable pour tout le monde. Il y en avait bien qui trouvaient que ce sourire, c’était bien un peu niaiss; mais enfin toutes ces dames avaient passé par là et connaissaient l’embarras de la situation. Adèle était visiblement mal à l’aise; on ne se gênait pas pour le remarquer et le faire remarquer. Tussaud était radieux; il avait déchiré deux paires de gants à force de donner des poignées de main, et s’était même enroué à force de raconter à tous la joie qu’il éprouvait; cela devenait presque une habitude.

André avait cherché à rencontrer le regard de Cécile; celle-ci ne l’avait pas évité, et ses grands yeux calmes avaient soutenu le regard d’Houdard, absolument étourdi et se demandant si elle n’avait pas conscience de ce qu’elle avait dit. C’était encore un caprice d’enfant, c’était probable!

Quand Maurice et Cécile s’étaient juré de mourir ensemble, alors peut-être ils avaient échangé un anneau d’or; le pauvre garçon n’existait plus, et n’était-il pas tout naturel qu’elle rendît à la mémoire de celui qui était mort pour elle le culte du souvenir. Et Houdard se disait alors qu’il était bien ridicule à elle d’avoir choisi ce jour pour mettre cet anneau à son doigt, car il en était absolument certain, Cécile n’avait ordinairement jamais de bague au doigt.

«Enfin, le plus simple, concluait-il, est de me taire, de m’occuper absolument de nos invités, et rentrés chez nous, seuls, d’avoir quelques mots d’explication dans lesquels, tout en n’attaquant pas son culte des morts, je réclamerai le respect des vivants.»

Ceci une fois arrêté dans son cerveau, plus calme, il revint tout entier à ses invités, et ce ne fut, de la part des dames, qu’un concert de louanges.

–Mais il est charmant, M. André.

–Quel galant homme!

–Ce sera assurément le meilleur des maris.

La partie masculine de la noce, pendant que les voitures conduisaient les dames faire le tour du lac au bois de Boulogne, se répandit dans les deux ou trois cafés qui environnaient le restaurant, pour jouer l’absinthe en trente points au billard.

Aucun incident ne survint; les dames revinrent du bois; on envoya les enfants au rappel des époux, on se mit à table; et le repas terminé, on se prépara pour le bal. Décidément il ne devait y avoir aucun scandale, «il fallait en faire son deuil,» ainsi que le disait la charmante Mme Boulon, ancienne maison Rebord, la fabricante de mouvements de pendule, une petite blonde aux yeux bleus, la douceur même, qui en était à son troisième mari, et qui donnait des conseils sur le cérémonial, car elle avait passé par là, Dieu merci. Elle avait une page de son carnet pleine des adresses des gens dont on a besoin lors d’un mariage, et elle disait: «Il faut toujours conserver ça; on ne sait pas ce qui peut arriver.» On dansa. A mesure que l’heure avançait, Mme Tussaud souffrait visiblement; sans cesse autour de sa fille, elle lui parlait bas. Que disait-elle? Et chaque fois Cécile souriait et semblait la rassurer.

Pour ne pas troubler le bal, la blonde Mme Boulon, ancienne maison Rebord, conseilla de faire partir les mariés vers trois heures sans rien dire; cela se passe toujours ainsi, elle l’assurait, parce que lorsqu’on s’aperçoit qu’ils ne sont plus là, «ça jette un froid.» Tussaud approuva, et à trois heures du matin Mme Tussaud reconduisait sa fille à sa voiture.

Là encore Mme Boulon, ancienne maison Rebord, avait donné un conseil et elle dit à Adèle qu’elle avait tort de ne pas la suivre. Adèle devait accompagner sa fille jusqu’à la chambre nuptiale; la mère de la mariée et la mère du marié doivent assister à la toilette de nuit, afin de montrer à la famille de l’époux «qu’on a du beau linge;» Adèle avait laissé partir sa fille seule avec son mari: c’était une faute capitale. Adèle eut beau dire que sa fille l’avait exigé ainsi, Mme Boulon, de l’ancienne maison Rebord, son premier, n’avait jamais agi autrement dans cette heureuse circonstance de la vie...

C’était effectivement Cécile qui résolument avait dit à sa mère:

–Laisse-moi maintenant, mère... je veux être seule avec lui.

Et Adèle souffrante était remontée.

Une fois dans la voiture, seul avec sa femme, Houdard lui prit doucement la main. Cécile la lui abandonna, et attirant la jeune fille sur lui, il dit:

–Ma chère Cécile, j’ai bien souffert aujourd’hui; je me suis tu pour le monde qui nous entourait et pour le lieu où nous étions; maintenant, que nous sommes seuls, je crois que nous devons, à ce sujet, avoir une explication.

–Je suis de votre avis, André; vous voulez une explication, elle sera courte...

–Tu garderas cet anneau, si tu veux, non à ton doigt cependant; si tu...

–Ne continuez pas. Je garderai cet anneau, et je le garderai seul...

–Que dis-tu là, fit-il doucement... Maintenant nous sommes mariés, tu es ma femme.

–Pour le monde qui nous entourait, oui; mais seulement ainsi.

–Hein! Qu’est-ce que cela veut dire?

–Mon Dieu, ce que je veux dire est simple, je ne serai jamais la femme du misérable qui, par force, devint l’amant de ma mère.

–Oh! exclama André stupéfait, la regardant la bouche béante, le regard hébété.

Cécile était calme, elle avait parlé sans emportement, en appuyant sur chaque mot; André venait enfin de comprendre la docilité de la jeune fille, le changement opéré en elle; au ton dont elle avait parlé il avait compris un plan arrêté qu’on exécutait; on se vengeait. Il avait eu honte une minute, mais il revint aussitôt à la situation; il dit, les dents serrées:

–Ah! ta mère t’a raconté ça? Elle dirige bien ton éducation!….. Et enfin, arrivons vite au but, tu dis que tu ne seras pas ma femme; que comptes-tu faire?...

–Je n’ai pas besoin de m’expliquer pour que vous me compreniez. Nous sommes mariés pour tout le monde, cela suffit au but que je voulais atteindre.

–Enfin, si tu avais un si grand mépris de celui que ta mère t’a déclaré avoir été son amant, il ne fallait pas te marier; tu ne peux dire cette fois que je t’ai violentée...

–Je sais que j’étais le prix d’un immonde marché; c’était la ruine de mon père, si après avoir commis l’infamie vous n’aviez pas eu la fille.

On luttait contre la Rosse; aussitôt il se redressait, et sa mauvaise nature reprenait le dessus; il dit en riant cyniquement:

–Et maintenant, ma petite, tu penses que si tu n’es ma femme que pour te ficher de moi, je vais aider la maison Adèle Tussaud et Cie-à se relever?

–Aujourd’hui j’ai, de par la loi, autant de bien que vous.

–Tu crois ça?

–Je le sais.

–Mais dis donc, pour une jeune fille, tu sais bien faire tes petites affaires… En somme, voici ce que ton petit cerveau a arrêté: en raison de ce que maman m’a conté qu’André était un misérable qui avait abusé d’elle, moi je vais venger maman; je me marie avec lui, je n’ai rien que ma famille à ma charge, lui a de l’argent; le lendemain de mon mariage, je suis aussi riche que lui, et je peux disposer du bien que mon mari m’apporte en faveur des parents qui ont comploté avec moi cette petite affaire bien délicate. Maintenant, moi, je suis trop honnête fille pour avoir des relations avec un monsieur qui a été l’amant de maman... Donc je me marie, et le soir de mes noces mon mari rentrera chez lui et moi chez moi...

–Vous venez absolument de dire ce que j’ai arrêté.

–Et tu t’es dit naturellementt: cela va aller tout seul, Houdard est un grand dadais dont on a peur, mais moi, je le dompterai, je le mènerai...

–Je me suis encore dit cela, fit tranquillement Cécile...

–Ah! mais tu as oublié une chose, Cécile, c’est que lorsque les petites filles ne sont pas sages, on leur donne le fouet, quand elles ne veulent pas marcher on les conduit…, et je vais être obligé de te conduire ainsi... Tu ne crois pas que cela va durer; mon Dieu, tout cela est très original, c’est jusqu’à un certain point amusant...; mais, avant d’en venir aux choses sérieuses, je te prie de m’écouter.

–Je vous écoute.

–Il a plu à ta mère de te raconter une chose qui, même si elle était vraie, n’aurait jamais dû sortir de ses lèvres, surtout pour s’adresser à toi; je ne sais à quel but elle tend, mais cela est faux, je n’ai jamais été l’amant de ta mère...

Cécile le regarda et haussa imperceptiblement les épaules; puis elle dit:

–Vous avez encore un sentiment de pudeur que j’apprécie... mais je sais, monsieur Houdard, que vous n’avez pas été l’amant de ma mère, vous avez été un misérable, vous en avez fait votre victime...

–Elle a raconté…

–Ma mère ne m’a rien dit; c’est moi qui vous ai surpris un jour la torturant, l’outrageant, pour obtenir d’elle son consentement à l’union honteuse que nous avons contractée aujourd’hui...

–Allons, c’est bon! si tu as vu, tant pis; finissons cette comédie, il est trop tard maintenant, c’est ce matin qu’il fallait réfléchir... et, s’il le faut, mademoiselle ma femme... vous aussi vous serez ma victime...

Cécile ne répondit pas; elle semblait calme, absolument tranquille, et c’est ce qui exaspérait Houdard; elle paraissait certaine de le dompter; celui-ci haussa les épaules, disant:

l s–Mais elle serait très drôle celle-là, si j’y voulais souscrire... Tuas lu ça dans un roman, la jeune fille mariée, restant sous le toit de son mari, chaste et pure... C’est donc la raison de cette insistance à avoir deux chambres, moi qui croyais voir là le rêve d’une petite bourgeoise que le mariage enrichit, qui, voulant en garder toute la poésie, craint que son mari ne la surprenne dans un négligé qui l’enlaidirait... Ce n’était pas un caprice d’enfant, c’était un plan, la chambre de mademoiselle-madame Houdard... Ma pauvre Cécile, il faut descendre des nuages où tu rêves, il faut venir dans la lourde réalité. Tu seras madame Houdard, une bonne femme de ménage qui s’endormira chaque soir dans les bras de son époux, tu feras comme tout le monde...

La voiture s’arrêtait, il lui dit en se moquant d’elle:

–Nous sommes arrivés au lieu du supplice, veux-tu descendre?...

Cécile haussa dédaigneusement les épaules en se disposant à descendre, et elle dit:

–Faites-moi la grâce de ne pas mêler le cocher à notre explication...

Il se tut et lui tendit la main; elle descendit s’enveloppant dans la grande pelisse dont sa mère l’avait couverte en sortant du restaurant, et elle prit un petit sac de cuir qui, sans doute, contenait quelques objets habituels. Elle s’appuyait sur sa main, et, la tête près de la sienne, elle dit tout bas.

–Je vous ai dit que pour le monde je veux être la femme que vous rêviez.

Houdard haussa les épaules, éclata de rire et lui tendant le bras, qu’elle prit:

–Allons, viens, Zizille...

Le concierge de la maison avait veillé pour attendre le retour des mariés; il avait mis des tapis dans l’escalier jusqu’à la porte des époux, et avait éclairé luxueusement. Il salua les deux nouveaux époux qui montaient, Cécile appuyée sur le bras d’Houdard et un peu penchée sur lui; lorsqu’ils furent au premier étage, la concierge dit à son mari:

–Elle est très jolie et elle a l’air de bien l’aimer... Ça fera un bon ménage.

–C’est un si bon garçon... Toutes les femmes que nous lui avons vues en raffolent.

André avait ouvert l’appartement, ils étaient entrés, et il dirigeait sa femme vers sa chambre. Lorsqu’ils y furent, Houdard s’assit dans un fauteuil et dit en riant:

–Maintenant, voici ta chambre, et sérieusement ma Zizille, tâche de me mettre à la porte.

–Oui, fit-elle simplement, c’est la première et la dernière fois que vous y entrez.

Houdard la regarda, se demandant si décidément il ne lui était pas resté quelque chose de sa maladie. Enfin il lui dit avec douceur:

–Voyons, Cécile, il faut parler raisonnablement, maintenant que nous sommes seuls, libres et chez nous. Je me suis marié pour avoir une bonne femme de ménage, et, je l’espère, une bonne mère de famille.

Cécile était devant sa glace et détachait sa couronne; elle tourna nonchalamment la taille, adorable dans ce mouvement qui levait au-dessus de sa tête ses bras nus, et elle répondit avec un calme stupéfiant sans se presser, doucement–un couteau qu’on enfonce lentement, elle répondit:

–Pour le monde, je serai tout cela. Voyez-vous, André, j’ai juré sur le corps du seul homme que j’aie aimé et que j’aimerai, de n’être qu’à lui; je suis veuve, André, et, dans six mois, je serai mère...

Le visage d’André s’était tout à coup transformé; menaçant, effrayant, il bondit vers elle en s’écriant:

–Que dis-tu là?... Tu mens?...

Cécile se dressa, et, regardant résolument Houdard, elle répondit:

–Mais, non, je ne mens pas ; je suis veuve... L’anneau que vous avez voulu m’arracher du doigt est l’alliance que m’a donnée Maurice la nuit de notre union. Il y a trois mois, lorsque je vous quittai, vous disant: «Ne vous en prenez qu’à vous de ce qui adviendra,» j’avais juré que je ne serais qu’à Maurice. Je sortis le soir, j’allai le retrouver chez lui et je me donnai à lui. Vous savez le reste... Dans six mois, je vous le répète, je serai mère!

Devant ce calme effronté, devant cette transformation de la petite fille qu’il connaissait en femme audacieuse, Houdard restait pétrifié. Il s’était élancé furieux, menaçant, presque la main levée, et il restait à sa place, sans force, écrasé par ce qu’il venait d’entendre. On s’était moqué de lui! Il était maintenant uni à tout jamais avec une fille qui apportait à son foyer l’enfant d’un autre.

–Et tu as pensé que je ne me révolterais pas; tu as pensé que j’accepterais cette situation?

–Il le faut bien!

–Tu ne t’es pas dit qu’aujourd’hui ma femme, ma chose à moi, j’abuserais des droits que j’avais sur toi?

–Je suis certaine que vous n’en ferez rien...

–Je t’étranglerai, toi, entends-tu... et si cet enfant doit voir le jour, je lui briserai le crâne sur le mur.

–Vous me respecterez, monsieur Houdard... Et en disant ces mots elle ouvrait le petit sac de cuir qu’elle avait apporté avec elle.

–Tu es ma femme et puisque je n’ai plus de respect à avoir pour toi, puisque je puis te traiter comme une fille que tu es, allons, allons, déshabillons-nous, arrache cette robe, ce bouquet... Tu payeras en mépris cette honte... Allons, vite, dépêchons.

Houdard s’était redressé, la bouche méchante, l’œil allumé; il avait d’un coup arraché sa cravate blanche et les boutons de son col qui l’étranglait; les poings serrés, la tête en avant, il avançait sur Cécile; il levait déjà la main, lorsque celle-ci tirant de son sac un petit revolver, lui en plaça le canon devant les yeux en disant, d’un ton qui ne permettait pas de se faire illusion:

–Si votre main me touche je vous brûle la cervelle.

Houdard eut un mouvement de corps en arrière; dix secondes au moins il resta sous la menace de l’arme, puis ses bras tombèrent le long de son corps et sa tête pencha sur sa poitrine. Cécile dit encore:

–Monsieur Houdard, vous avez amené chez nous le malheur et la honte, je vous le rends aujourd’hui. Vous avez brisé ma vie, eh bien! j’ai brisé la vôtre; nous sommes attachés l’un à l’autre, et là où vous vouliez l’affection, vous ne trouverez que la haine; je serai votre remords de chaque heure, votre châtiment de chaque jour... Votre orgueil sera abaissé, je vous savais lâche, puisque vous vous attaquez aux femmes, et j’étais sûre de vous dompter, moi, qui ai le courage qui vous manque, moi, qui ai le mépris de la vie... C’est à cause de vous que Maurice est mort, que son enfant se serait trouvé sans père; il est bien juste que vous lui rendiez la famille et le nom que vous lui avez retirés, fils légitime quand même et quoi que vous puissiez dire. Si vous avez le courage, ou plutôt le cynisme, de plaider en séparation, mon enfant sera le vôtre, nous sommes mariés en communauté et vous serez forcé de lui donner une part de votre fortune... C’est vous qui avez fait chasser Maurice de chez mon père et vous serez forcé de vous occuper de son fils, de faire son éducation… Maintenant, monsieur Houdard, il est tard, je vous prie de vous retirer chez vous...

Et, en parlant, Cécile jouait avec son petit revolver. La tête basse, les yeux grands ouverts et ne voyant pas, Houdard restait au milieu de la chambre; c’est à peine s’il pouvait comprendre; il sentait de grosses gouttes de sueur couler sur son visage. Une chaleur lourde montait de sa poitrine et envahissait le cou. Il était gêné pour respirer et son cerveau s’enveloppait; c’était comme une congestion. Il était absolument écrasé; il s’appuya au dossier d’un fauteuil et se recula à petits pas. Il répétait sans cesse tout bas les mêmes mots:

–Maurice était son amant...

Cécile lui dit encore:

–Bonsoir, André!

En titubant, Houdard sortit. Lorsqu’il fut dans la pièce qui précédait la chambre de sa femme, il s’accota à la porte et desserra ses vêtements; il étouffait; peu à peu il se remit; alors il s’accouda au mur et pensa...

Cécile, restée seule dans sa chambre, en avait laissé la porte ouverte, écoutant si Houdard s’éloignait. Ne l’entendant pas marcher, elle ne se déshabilla pas ; elle se décoiffa seulement, se tenant toujours sur ses gardes, ayant devant elle, au milieu des objets de son nécessaire de toilette, le petit revolver. Houdard avait reculé, mais il n’était pas vaincu, et Cécile le connaissait, elle craignait qu’il ne revînt. Ne voulant pas être surprise, elle laissait la porte ouverte.

Houdard, nous l’avons dit, était accoudé sur le mur, la main crispée dans ses cheveux, s’apaisant seul, se relevant de son écrasement. Ce qui venait de se passer était extraordinaire dans la petite enfant qu’il avait fait sauter sur ses genoux, dans la jeune fille respectueuse; il s’attendait si peu à rencontrer cette femme impitoyable qu’il n’en pouvait revenir à lui. Cet ange, cette petite fille sainte était la maîtresse de Maurice. et Maurice vivait toujours en elle.

Tout à coup, en pensant à Maurice, il se redressa et répéta encore:

–Elle aime Maurice, toujours!…..

Il eut un mauvais rire et, se dirigeant vers la chambre de Cécile, il frappa discrètement sur le chambranle de la porte:

–C’est moi, Cécile, dit-il avec douceur...

Cécile, étonnée, se tint aussitôt sur ses gardes, approchant le revolver de sa main.

–Entrez! dit-elle.

Il entra et vainement la jeune femme chercha à lire ce qu’il pensait sur son visage. André dit doucement:

–Cécile, mon enfant, tu comprends facilement que le coup a été rude; je ne m’attendais pas à être si cruellement puni. Enfin tu aimais, tu aimes... Mieux vaut vivre ainsi que tu le dis. Après ce qui s’est passé, ce que nous savons l’un de l’autre, il est impossible de vivre autrement; tu seras ma femme, et mon Dieu, voilà tout, ton enfant sera mon fils, il aura ce que j’ai, mais il sera à moi; je serai pour lui ce que la loi me donne le droit d’être, son maître. Pour toi, tu vivras seule, c’est entendu, nous n’aurons ensemble que les relations fraternelles auxquelles le monde nous oblige. Cependant, ma chère, si, ainsi que tu le disais, j’ai porté le déshonneur dans ta maison, je veillerai à ce que cela n’arrive pas chez moi.

–Pour qui me prenez-vous?

–Permets-moi, à mon tour, d’établir nos conventions... Je t’ai écoutée, je t’obéirai; je demande la réciprocité.

Cécile le regardait avec inquiétude, se demandant où il voulait en venir, cherchant à deviner le piège caché sous ce verbiage.

Houdard continuait:

–Ainsi donc, si je te touchais, tu me tuerais... C’est entendu... Mais, si jamais un autre homme entrait ici, ce serait, sois-en certaine, la mort pour lui... Nous verrions pour toi...

Cécile se contenta de hausser les épaules.

–C’est bien entendu; maintenant, ma chère Cécile, dans tes accusations il y en a une que je n’accepte pas: tu dis que j’ai été la cause de la mort de Maurice!

–Eh bien?

–Tu es ma femme absolument; tu m’as choisi de ton plein gré, cette fois: c’est toi-même qui l’as voulu... Ma chère, tu t’es trompée: Maurice n’est pas mort, il vit... et tu ne pourras plus l’épouser.

Cécile, étourdie à son tour, exclama:

–Maurice vivant, c’est impossible!

–Ma chère Cécile, Maurice est vivant, je te le jure... et même j’aurai le plaisir de lui envoyer demain une lettre de faire part de notre mariage.

Et, en souriant, Houdard dit:

–Bonsoir, Cécile... Bonsoir, ma belle.

Et il sortit en fermant la porte.

Cécile était devenue livide; elle passait la main sur son front comme pour chasser le nuage qui voilait ses regards; elle se soutenait à son lit... Mais c’était trop; elle voulut marcher, tituba et répétant:

–Maurice! vivant!…..

Elle tomba raide sur le tapis.

La grande Iza

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