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PREMIÈRE PARTIE MARIAGE FORCÉ I DES ETRANGES ACTIONS D’UNE MARIÉE LA VEILLE DE SES NOCES.

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Table des matières

Lorsque, dans le vieux quartier du Marais, la nouvelle s’était répandue que la belle Cécile Tussaud, la fille unique de Claude Tussaud, le fabricant de bronzes de la rue Saint-François, allait se marier, épouser le grand Houdard, dit la Rosse, ça n’avait été qu’un cri de stupéfaction et de réprobation. On se refusait à croire à une semblable alliance.

Depuis dix ans, tout le monde, dans le quartier du bronze, savait qu’Houdard commanditait la maison Tussaud. On disait même que c’était à la légèreté de la brune Mme Tussaud que cette commandite d’une maison ruinée, discréditée, était due. Seul–assurait-on– Claude Tussaud ignorait cette honte.

Mais ce qui scandalisait tout le monde, c’est le bruit répandu que c’était Mme Tussaud qui voulait le mariage de sa fille.

On est bavard au Marais; on disait bien des choses. On disait que Tussaud allait être déclaré en faillite, et qu’il mariait sa fille pour s’associer son gendre et relever sa maison. On disait que la mère indigne mariait son enfant pour conserver près d’elle celui qu’elle aimait... une infamie enfin! On disait encore que la jeune et belle Cécile aimait avec passion un ancien apprenti de son père, son compagnon d’enfance, presque son frère de lait, le petit Maurice..., et, qu’ayant été obligé de renvoyer l’apprenti devenu ouvrier à cause de cela, on se hâtait, car il n’était que temps de marier Mlle Cécile... On disait bien des choses enfin... Mais nous allons raconter, nous, ce qu’on ne disait pas: la vérité.

C’était vrai, un mariage était décidé; André Houdard, dit la Rosse, devait, le lendemain du jour où commence notre histoire, épouser Cécile Tussaud.

Depuis la veille, les ateliers du fabricant de bronzes étaient fermés, les limes et les marteaux étaient au râtelier, les étaux dormaient, la forge était éteinte, la soudure était noyée dans le borax... On ne voyait dans la maison que couturières, cordonnier, tailleur; Mme Tussaud recevait les toilettes, examinait le trousseau; Claude disait gaiement à son ami et futur gendre:

–Enfin, c’est pour demain… Heureusement que je n’ai qu’une fille, j’en deviendrais fou.

Mme Tussaud, lorsqu’elle se trouvait seule près d’Houdard, lui disait tout bas:

–Enfin, vous avez réussi!….. Dieu vous pardonne ce que vous allez faire.

Et lui tout gai, souriant à la pensée du lendemain, répondait à haute voix:

–Votre fille, maman Tussaud, sera la plus heureuse des femmes.

Et la jeune fiancée, Cécile, froide, sévère, était calme. C’était une admirable enfant de seize à dix-sept ans, aux cheveux bruns lisses et luisants comme l’aile du corbeau; elle avait des yeux bleus, des cils bruns, le nez droit et fin, la bouche enfantine. Quand elle souriait–non à cette heure–elle montrait des petites dents laiteuses; elle était en somme adorable, belle... Semblant, ce jour, seule au milieu de ce monde, elle passait indifférente, ne voulant s’occuper de rien, répondant par monosyllabes et dédaigneusement à celui qu’elle devait épouser... et à chaque question des parents par ces mots:

–Faites ce que vous voulez... J’ai dit que je vous obéirai.

Alors le père Tussaud prenait sa fille dans ses bras, l’embrassait et lui disait gaiement:

… Pauvre petite…, va toujours, tu as jugé le mariage dans les romans; quand tu seras une vraie femme, tu riras de toi-même, et tu nous béniras.

Cécile levait les yeux vers le ciel, ne répondait que par un soupir et regagnait sa chambre.

Le soir, après le dîner, auquel assistaient les témoins, Mme Adèle Tussaud dit d’un air sans façon à ses invités:

–Messieurs, nous nous sommes beaucoup occupés pendant la journée, nous sommes très fatigués, très fatigués, et nous vous demandons la permission de nous retirer. Vous le voyez, cette pauvre Cécile tombe de sommeil, elle n’a pas dit un mot de la soirée... et demain il faut que nous soyons prêtes de bonne heure.

Tout le monde se leva. Le père Tussaud, en passant ses pouces dans ses bretelles pour les remettre sur ses épaules, dit en riant:

–Croyez-vous qu’Adèle sait gentiment ficher son monde à la porte?

On rit, on se dit bonsoir très affectueusement, on s’embrassa bien fort, avec des lèvres lippeuses à la pensée de la noce du lendemain… Lorsque le grand Houdard, dit la Rosse, embrassa Cécile, elle le tint à l’écart de la main, redoutant qu’il ne la caressât trop familièrement; il dit:

–Voyons, Cécile, c’est bien arrêté maintenant... tu n’auras pas un sourire?

–Je vous ai dit, monsieur André, qu’habituée à l’obéissance envers mon père et ma mère, j’obéirai à ce qu’ils croient être le bien pour moi... Mais je vous ai dit, à vous, les sentiments que vous m’inspiriez; il vous plaît de passer outre... Vous serez responsable de ce qui peut arriver.

Ces mots amenèrent sur les lèvres de celui qui avait le singulier sobriquet de la Rosse un mauvais sourire; il y eut même dans ses yeux un éclair menaçant; mais, haussant aussitôt les épaules, il rit bêtement et dit avec affectation:

–Cécile, je te connais toute petite, je sais que t’as mauvaise tête; mais je ferai tant, tant pour ma belle petite femme... qu’elle regrettera ce qu’elle dit... et que tu m’aimeras.

A ce mot, la jeune fille eut un si singulier regard, que Houdard fronça le sourcil...

Cette courte scène s’était passée dans l’encoignure de la porte, de laquelle chacun s’était discrètement éloigné, croyant à l’échange de doux propos d’amoureux. André Houdard partit, ayant peine à cacher un mouvement de colère, et Cécile rentra.

Les époux Tussaud embrassèrent leur fille avant de gagner leur chambre, et la câlinant, le père lui dit:

–Cécile, ma mignonne, il faut être gentille, que cette dernière nuit enlève ta mauvaise humeur; tu ne vas pas nous faire cette figure-là demain, j’espère.

–Oh! non! non! je n’aurai pas cette figure-là, répondit-elle d’un ton singulier.

–Il faut être sérieuse, c’est un mariage de raison que tu fais. L’amour, ma pauvre chérie, si tu savais combien ça sert peu dans un ménage… Le bonheur, vois-tu, Zizille, est dans la quiétude, dans l’assurance d’une vie tranquille, sans misère… Tu ne connaîtras pas ça, toi, la misère! demande à ta mère, c’est la dot que nous nous sommes mutuellement apportée, et quelle vie!… S’il suffisait d’avoir de l’amour pour être heureux, il ne faudrait pas se marier, l’amour ne survit pas au mariage.

–Ton père a absolument raison, mon enfant, dit Mme Tussaud, en s’assurant que ses papillotes tenaient bien.

La jeune fille releva la tête, et, se plaçant devant ses parents, calme et parlant lentement, elle dit:

–Et si cependant je refusais? Si demain je disais: Non!

Claude et Adèle Tussaud se regardèrent tout bouleversés à cette idée, et le premier balbutia:

–Comment, malheureuse, si tu refusais... si tu refusais! mais je ne voudrais te revoir de ma vie..., mais je serais perdu..., mais je suis engagé avec André...

–Ainsi votre intérêt passe avant tout. Et d’un ton lugubre elle ajouta: J’en puis mourir!…..

–On ne meurt pas de ça, reprit sévèrement Tussaud, rouge de colère... et puis au fait, partons franchement, il faut en finir. Eh bien, je te déclare que, si les rêves que tu caresses devaient se réaliser, assurément j’aimerais mieux ta mort...

–Tais-toi, Claude, tu deviens fou! exclama bien vite Mme Tussaud, épouvantée par ce que disait son mari, qui mentait, au reste.

–Je dis la vérité, continua le fabricant de bronzes emporté par sa mauvaise humeur; j’ai élevé ma fille en honnête femme, pour l’établir comme une honnête femme, j’ai sacrifié tout pour elle; celui qui m’a aidé à me relever m’honore en la choisissant... et il lui plaît à elle de préférer un vaurien, qui était ici, un sans-le-sou, un...

–Ne t’emporte pas, père, interrompit Cécile, calme. Je ne dirai rien demain.

Tussaud, tout interdit par le ton étrange avec lequel sa fille l’avait interrompu, par la façon dont elle le regardait, se tourna visiblement troublé et inquiet vers sa femme e; celle-ci lui fit un signe de l’œil et lui dit à mi-voix:

–Laisse-la, puisqu’elle sera raisonnable.

Et après l’avoir embrassée, pendant qu’elle se retirait, Mme Tussaud continua:

–Tu conçois bien, Claude, qu’il est pénible pour la pauvre chérie de renoncer à tout jamais au rêve qu’elle avait fait..., et tout ira pour le mieux! Au reste, elle ne résiste pas, la pauvre belle, elle le dit bien, notre volonté sera la sienne.

–Oui, mais tout cela aurait été évité, si tu n’avais pas laissé cette enfant se bâtir un avenir avec Maurice.

–Est-ce que je pouvais prévoir ce... qui arrive... hélas!

Et en disant ces mots, Adèle Tussaud leva les yeux vers le ciel.

–Ah ça, ma parole d’honneur! on croirait que tu regrettes ce mariage.

–Non, non, mon ami.

–Et puis, ce qui a le plus entretenu cette idée qu’elle avait de se marier un jour avec Maurice…, c’est encore ta faute. Tu n’aurais pas dû la laisser fréquenter la sœur de ce gamin-là.

–Mais, mon ami, elles sont amies de pension, pouvais-je me douter de ça?... J’ai fait ce que tu as dit, j’ai défendu à la pauvre petite de venir...

–Il était temps!… Elle ne venait que pour lui apporter des lettres de son frère...

–Ne te fâche pas, Claude, puisque tout est fini, et que demain elle sera mariée avec... ton ami.

Les époux rentrèrent dans leur chambre pour se reposer.

Cécile, en quittant ses parents, était remontée chez elle; seule dans sa petite chambre, elle s’était assise sur son lit; là, pensive, elle était restée une grande heure, les mains jointes entre ses genoux, les yeux fixes sans regard, poursuivant une sombre idée, à en juger par le pli à peine visible qui traversait son front pur. Puis tout à coup, prenant une résolution subite, elle s’écria:

–Jamais... non, jamais... lui, surtout...

Et elle frissonna, comme à un contact répulsif.

Elle marcha sur la pointe des pieds dans sa chambre, prit un manteau qu’elle jeta sur ses épaules, sans s’inquiéter comment elle était coiffée, oubliant toute coquetterie; le cerveau occupé tout entier par une grave pensée, et évitant de faire le moindre bruit, elle sortit doucement de chez elle, descendit l’escalier, passa par les ateliers et se trouva rue Saint-François...

Elle se sauva hâtant le pas; arrivée rue de Turenne, elle regarda l’heure à la pendule d’une boutique de marchand de vin.

–Onze heures! fit-elle. Il doit m’attendre...

Et elle se mit à courir, descendant la rue de Turenne; elle traversa la place Royale et arriva bientôt sur la place de la Bastille, au coin du quai Bourdon. Aussitôt un jeune homme vint vers elle et lui tendit la main, en lui disant:

–Eh bien?

–C’est fini!….. répondit-elle d’une voix hoquetante.

–Et qu’as-tu décidé? demanda le jeune homme avec émotion.

–Oui. oui... je veux bien! fit-elle en tombant dans ses bras, et les deux malheureux jeunes gens fondirent en larmes.

Ils restèrent quelques minutes sans parler, cherchant à contenir leurs sanglots. Puis la jeune fille, semblant se dompter, s’arracha des bras du jeune homme et, essuyant vivement ses yeux, elle dit:

–Allons, Maurice, il faut maintenant avoir du courage, et ce n’est pas en pleurant que nous en trouverons. Ne restons pas ainsi, déjà des gens nous regardent.

La grande place était déserte à cette heure, et les rares passants pouvaient justement s’étonner de voir des amoureux pleurer ainsi. Cécile prit le bras de Maurice, en lui disant:

–Ce soir, j’ai encore parlé à mon père: ils veulent absolument ce mariage; je le sais bien, je puis dire non! Mais la vie ne serait pas possible chez nous... Il faudrait que je quittasse la maison.

–Tu sais que tu retrouves aussitôt une demeure.

–Non, Maurice, non, cela ne se peut pas... La nuit est douce, c’est pour nous la dernière, dit-elle d’un accent fiévreux, promenons-nous et parlons bien sincèrement… Je ne veux pas me marier parce que je t’aime d’abord.

–Ma chère Cécile, fit le jeune homme avec émotion, en l’attirant sur sa poitrine et en l’embrassant avec passion.

–Oui, ce n’est pas l’heure de voiler ce qu’on pense; pour faire ce que nous devons faire, il faut s’aimer, s’aimer follement... Écoute, Maurice, depuis hier j’ai longuement pensé, et lorsque je t’ai écrit pour te donner ce rendez-vous, j’avais épuisé tous les moyens vis-à-vis d’eux...

–Cécile, je suis effrayé de ce que je t’ai proposé... Je souffre, je ne puis vivre sans toi... Que je meure! cela est normal, je ne laisse personne derrière moi, et l’avenir que j’ai devant moi n’a rien qui puisse me faire reculer... Mais je t’entraîne dans ce crime… et, à cette heure, je recule.

–Je le veux, moi, je veux mourir, entends-tu?…

–Et pourquoi?...

–Parce que je t’aime, parce je t’ai promis que tu serais mon époux... tu seras mon époux et nous mourrons...

–Je suis épouvanté de ce que je t’ai conseillé.

–Je vais te donner du courage.–Écoute-moi, Maurice, nous nous sommes connus enfants, toi presque sans famille, tu n’avais que ta sœur, mon amie Amélie, ma famille fut la tienne; élevés comme frère et sœur, sans nous en apercevoir nous-mêmes, une affection plus vive vint en nous, nous étions tous les deux d’honnêtes enfants, et nous nous estimions trop l’un et l’autre pour mal l’aire. Nous avions rêvé de nous unir, toi en t’appliquant à être un bon ouvrier, ce que tu es, moi en m’appliquant à être une vraie femme de ménage, ce que j’aurais été... Mes parents, car tu les considérais comme les tiens... nos parents, enfin, à l’époque n’avaient pas d’ambition et ils entretenaient chez nous cette idée... Ceci, Maurice, nous justifie tous les deux: nous nous aimions et nous avions le droit de nous aimer.

Le jeune homme pleurait et Cécile reprit avec un triste sourire:

–Sois courageux, Maurice... c’est la nuit de notre union à cette heure... Un jour, un misérable, un malhonnête est entré chez nous, c’était l’ami de mon père. c’était… c’était, tu le sais... l’ami de ma mère... tu sais combien j’ai souffert de voir cette honte... mais c’est lui qui a prêté à mon père l’argent pour se rétablir, c’est lui qui doit sauver la maison… Qu’y a-t-il à faire? Dire à mon père le prix de l’argent qui lui a été prêté...; mais alors c’est ma mère répudiée, chassée, et à l’heure où elle se repent du passé... Il y a une chose épouvantable, c’est que ma mère consente à me livrer à cet homme... Eh bien, Maurice, j’ai tout entendu, il y a un mois, ma mère m’avait promis de refuser; le lendemain, je rangeais des robes dans le petit cabinet derrière sa chambre. Houdard vint, il avait reçu une lettre de ma mère qui lui déclarait qu’il n’aurait pas son consentement pour l’infamie qu’il exigeait... Si tu savais ce que j’entendis... Écoute, Maurice: si coupable que soit ma mère..., ce jour je l’ai plainte. Oh! la pauvre femme, être l’esclave de ce misérable, quel châtiment!… Ma mère, il l’exigea, s’engagea à se taire... C’est de ce jour que je t’écrivis qu’il ne fallait plus espérer... Mon père est une dupe… et il ne voit qu’une chose, sa maison relevée et mon établissement immédiat... Comment rompre? Dire la vérité à mon père, c’est le malheur de sa vie et la ruine de la maison... Dire à ma mère ce que je sais, c’est plus affreux encore… Ma mère s’humiliant devant moi, parler à ce... monsieur, cela m’est impossible, il me fait horreur, son regard est sale, ses gestes sont sales… Il m’inspire un dégoût profond, il n’y a pas de pureté, de jeunesse pour lui. il parle à toutes les femmes comme à des filles... Plutôt qu’appartenir à cet homme, je ne sais ce que je ferais… Tu le vois bien, Maurice, notre situation est sans issue...

–Tu reviens toujours à cette idée que la folie de la douleur m’a fait te proposer.

–Maurice, je ne puis être à toi devant les hommes, je le serai devant Dieu... je viens à toi ce soir... je suis ta fiancée, tu me conduiras chez toi, je serai ta femme... mais demain nous ne nous réveillerons pas...

Maurice s’était arrêté, il tenait les deux mains de Cécile et la regardait bien en face.

–Et cela, sans regrets, sans remords?...

–Au contraire, avec amour...

–Tu ne faibliras pas?...

–Je t’aime!….

–La souffrance ne fera pas que tu me maudiras, quand tout espoir sera perdu!

–lie t’aime...

Et avec une fièvre de passion, se penchant sur lui, l’enveloppant de ses bras, elle lui dit en l’embrassant:

–Maurice, je veux mourir dans tes bras en te disant: Je t’aime!

Et elle ajouta plus bas, en appuyant sa tête sur son épaule et en se disposant à marcher:

–Viens vite, Maurice, allons chez toi... j’ai peur de faiblir.

Il ne répondit pas ; son bras pressa le sien et l’entraîna, marchant plus rapidement vers l’extrémité du quai Contrescarpe. Il se sentait fort, résolu, mais lui aussi avait hâte d’être au but.

Il faisait une de ces belles soirées d’été où la tiédeur de l’atmosphère est fraîchie doucement par la brise de nuit. Entre les deux rangées d’arbres qu’ils suivaient, on voyait le ciel tout constellé d’étoiles; l’air sur les bords de l’eau avait des fraîcheurs pleines de senteur de goudron et de bois flotté; il faisait doux à se promener en ce lieu à cette heure, il faisait bon vivre par ce temps… Ils marchaient tous les deux, accrochés fortement l’un à l’autre; parfois ils se regardaient, leurs yeux avaient des lueurs étranges, ils se souriaient et ne parlaient pas… Après un grand effort, Cécile lui dit d’une voix sourde:

–Est-ce que tu as ce qu’il faut chez toi?

–Oui...

–Cela nous fera beaucoup souffrir?

–Non… On s’endort… pour ne s’éveiller jamais.

Maurice sentit les tressaillements de sa compagne, et elle l’entraîna en répétant:

–Vite, vite, marchons.

Ils passèrent devant un petit bal qui se trouve à l’extrémité du quai; on entendait la musique de l’orchestre. Cécile eut un rire nerveux et elle dit:

–Nous avons l’illusion de nos noces… Ils dansent…

–Je demeure derrière le bal, ce bruit va nous tourmenter...

–Au contraire, cela me semble drôle...

Il y eut encore un long silence; ils marchèrent sans rien dire, tournèrent une rué qui donne sur le quai, presque en face du pont d’Austerlitz. Arrivés devant la deuxième maison, Maurice lui dit:

–C’est là.

Ils entrèrent et montèrent deux étages; le jeune homme ouvrit la porte, la chambre était éclairée; elle entra et regarda surprise autour d’elle.

–Tu le vois, dit-il, j’avais tout préparé.

–Qu’est-ce que ça? dit-elle en montrant une table sur laquelle étaient deux bouteilles, des verres et quelques biscuits...

Il eut un triste sourire en disant:

–Notre repas de noce, Cécile...

–Ah! c’est ça... et elle montra une bouteille en frissonnant.

–Oui!

Elle s’assit sur une chaise devant la table, et il vint se mettre à ses genoux.

–Ma pauvre Cécile, quand nous étions enfants, était-il possible de penser que nous finirions ainsi?

–Le regrettes-tu?

–Oh non!

–Je t’ai dit, Maurice, ils feront ce qu’ils voudront, je ne serai qu’à toi... Mais je suis trop honnête fille pour consentir à n’être que ta maîtresse... C’est la mort qui nous marie.

Et ce fut elle qui prit la bouteille et en versa dans les verres... Elle prit son verre, y trempa ses lèvres et dit:

–Ça n’est pas répugnant à boire, c’est sucré…

Il but à son tour et ils s’embrassèrent; il était toujours à genoux, il s’accouda sur elle et elle passa la main dans ses cheveux blonds, puis, ce mouvement lui levant la tête, ils se regardèrent bien en face en souriant, les petits braves... Évidemment ridée de la mort n’était pas du tout dans leur cerveau... ils ne rêvaient que d’amour, car elle dit:

–Comme je t’aime!…..

–Et moi donc, fit-il simplement, en promenant ses lèvres sur sa main.

La fenêtre était entrouverte et donnait sur le jardin du bal dont nous avons parlé. L’orchestre venait de préluder et la voix du crieur qui vendait les cachets criait:

–En place, messieurs les danseurs, en place pour la dernière.

Cécile reprit:

–Il le dit, tu vois... la dernière...

Elle but encore et dit:

–Il me semble que ça grise...

–Oui, c’est exprès…

–Buvons vite, alors…

Ils trinquèrent et burent; panas, crânement, Cécile dit à Maurice:

–Lève-toi.

Il obéit. Elle le conduisit près de la fenêtre e; là, mettant sa main dans sa main et levant les yeux vers la voûte étoilée, elle dit gravement:

–Par-devant vous, monseigneur Dieu, devant qui nous allons bientôt paraître, convaincue que j’insultais au sacrement du mariage en acceptant celui qu’on voulait me faire faire..., je prends pour époux Maurice Ferrand que j’aime...

Maurice dit les mêmes mots… Elle sentit qu’il lui glissait une alliance au doigt... elle la baisa... puis, crânement et comme ayant hâte d’en finir, elle serra...

–Maintenant que nous sommes unis... buvons...

Ils burent deux fois, et elle s’écria avec un soupir:

–C’est fait maintenant, Maurice, laisse-moi seule une minute, et reviens vite; je t’attends, mon mari.

Maurice sortit, obéissant. Seule, Cécile éteignit la lumière, se déshabilla et se coucha... elle entendit le jeune homme rentrer...

–C’est toi?...

–Oui, ma Cécile.

–Viens vite… j’ai peur maintenant de mourir sans toi.

Dans le bal, l’orchestre s’arrêta une minute, et on entendit la voix du crieur:

–En avant deux, messieurs les danseurs!

La grande Iza

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