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X CE QUI S’ÉTAIT PASSÉ CHEZ MAURICE LA NUIT DE JUIN ET LE MATIN.

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Table des matières

Maurice vivait, c’était vrai. Le lendemain matin du jour où commence notre histoire, il était étendu sur son lit, raidi, presque froid, lorsque sa sœur vint chez lui, –ainsi qu’elle le faisait chaque matin,–pour faire son ménage; elle avait, à cause de cela, une double clef; elle entra; croyant son frère indisposé, elle lui parla, il ne répondait pas ; alors elle se pencha sur lui et jeta un cri en voyant sa pâleur livide, ses yeux éteints, en touchant son front froid. Mais Amélie Ferrand, quoique fort jeune, était une fille sérieuse, logique, ne dépensant pas en cris et en plaintes stériles le temps qu’elle pouvait employer plus utilement. Elle devina une partie de ce qui s’était passé, c’est-à-dire qu’elle pensa, la fiancée adorée de son frère devant se marier le matin même, que le pauvre garçon n’avait pas voulu survivre à ce malheur. Amélie vit qu’il s’était suicidé par le poison. En mettant la main sur le cœur, elle n’avait pas. senti les battements, mais la poitrine était brûlante; le pouls était sans pulsations, mais les mains étaient chaudes et l’extrémité des doigts noire. Elle prit une bouteille sur la table et courut chez un pharmacien; celui-ci était heureusement chimiste expert; au récit que lui fit la jeune fille, il passa dans son laboratoire; dans les dernières gouttes, il avait reconnu le poison. Il rapporta à Amélie Ferrand le contre-poison, lui disant ce qu’elle avait à faire.

La pauvre enfant, affolée, courut tout d’une traite et commença l’énergique médication...

Quatre heures après, épuisé, sans force, Maurice reprenait connaissance; il regarda autour de lui avec égarement, ne s’expliquant pas comment il se trouvait ainsi, vivant encore. Sa sœur lui raconta ce qui s’était passé, qu’elle l’avait trouvé le matin presque mort, lorsqu’elle venait faire son ménage.

Maurice ne répondit pas, des larmes abondantes coulèrent de ses yeux, une affreuse pensée venait de lui traverser le cerveau. Maurice/ ne retrouvant pas celle qu’il aimait à ses côtés, se dit qu’il avait été dupe dans la comédie jouée; celle qu’il aimait avait feint de vouloir mourir pour se débarrasser de lui, de l’amant, pour se marier sans être inquiétée par le passé. Alors qu’il buvait le poison, elle feignait de boire. Puis, lorsqu’elle avait vu les premiers effets du poison sur son amant, elle s’était levée et habillée; elle avait attendu qu’il fût mort et était partie sans bruit. Comment expliquer autrement ce qui s’était passé? Si Cécile avait échappé miraculeusement aux atteintes du poison, en se retrouvant vivante à côté de lui, mourant, elle lui aurait porté secours; si quelqu’un était venu dans la chambre et avait sauvé Cécile, on se serait également occupé de lui. Rien de tout cela n’était. Or, c’était logique: Cécile s’était revêtue, était sortie, avait fermé la porte et était partie bien tranquille sur le passé, et le front encore humide de ses baisers, elle était retournée chez elle s’offrir aux caresses d’Houdard, son fiancé, et à cette heure la fourbe, tout de blanc vêtue, le bouquet virginal au sein, se mariait à celui qu’elle préférait.

Maurice ne voulut rien dire à sa sœurr; il garda pour lui sa douleur et son mépris, et lorsque le voyant pleurer elle l’interrogea, il se contenta de répondre qu’il souffrait horriblement. Amélie Ferrand dut reconnaître que si son frère était sauvé, il n’était pas guéri, bien au contraire; il allait falloir des soins assidus, et les deux pauvres enfants travaillaient tous les deux pour gagner le pain de chaque jourr; non seulement cela était insuffisant, mais encore cela obligeait Amélie à abandonner son frère pour aller gagner sa journée; il n’y avait que l’hôpital, ce qui épouvantait la jeune fille… Que faire?… Amélie se souvint alors d’une vieille tante restant à dix lieues de Paris, qui bien souvent les avait invités à venir passer quelques jours chez elle; le labeur quotidien les avait toujours obligés de refuser; n’était-ce pas bien le moment d’en profiter? Elle en parla à son frère:

–Ainsi, vois-tu? tu seras bien soigné par la mère Ferrand, qui sera très contente de nous voir, et puis tu n’as pas de frais à faire.

–Oui! et personne ne saura ce qui s’est passé... Je t’en supplie, Amélie, que tout le monde l’ignore.

–A qui veux-tu que je le dise, puisque je pars avec toi? Si tu veux, avant de partir, j’essayerai de voir Cécile...

–Jamais, jamais, exclama aussitôt Maurice. Jamais, je ne veux plus que tu me parles d’elle.

–Mais ce n’est pas sa faute...

–Tais-toi... Amélie... D’abord, sache bien une chose, je n’aime plus Cécile… Je la méprise... je la hais...

La jeune fille était bien un peu stupéfaite; mais, comprenant ce que devait souffrir son malheureux frère à la pensée que celle qu’il adorait en épousait un autre, elle se tut.

Et le pauvre garçon gémissait, se tordant dans son lit, grommelant entre ses dents avec des injures et des blasphèmes.

–Pourquoi, mon Dieu, ne m’avez-vous pas laissé mourir...? L’indigne, l’infâme, tant souffrir pour elle, la misérable! Et sa sœur, émue et effrayée par ses sanglots déchirants, revenait vers lui, l’embrassant, pour chercher à consoler cette âme qui ne voulait pas de consolation.

A un moment, Amélie l’entendit dire:

–Non, non, c’est impossible, je n’y survivrai pas, on ne se manque pas deux fois.

Amélie vint aussitôt se jeter au pied de son lit, et à genoux, suppliante:

–Maurice, Maurice, oh! c’est mal la pensée que tu as... tu ne m’aimes donc pas, moi... Quand notre père et notre mère sont morts, tu leur as juré de rester toujours près de moi; est-ce que j’ai mal agi pour que tu veuilles mourir...? Je ne suis donc rien pour toi… moi? je n’ai rien à aimer sur terre que toi… Maurice, non, tu ne chercheras pas à te tuer...; tu ne m’abandonneras pas, mon frère, au nom de notre mère... Si elle ne t’aime pas, elle, je t’aime, moi, mon frère... tu es toute ma famille… Oh non! tu ne me laisseras pas seule... mais, penses-y donc, si tu n’étais pas là, qu’est-ce que je deviendrais?...

Cette supplication bouleversa le jeune homme, qui prit sa sœur entre ses bras et, fondant en larmes, s’écria:

–Oh! Mélie, je suis bien malheureux.

Elle hoquetait de sanglots en lui disant:

–Oui, mon pauvre frère... je le sais bien, va… mais je ne te quitterai pas!….. Maurice, jure-moi que tu n’essayeras plus de te tuer?

–Mon Dieu! mon Dieu! gémissait Maurice.

–Je veux que tu le jures ici, sur les cendres de notre mère... Jure... sans ça, j’aurai toujours peur...

–Je te le jure... Mélie... Je te le jure, ma petite mère.

Et les deux enfants restèrent ainsi longtemps, pleurant dans les bras l’un de l’autre, évitant de prononcer le nom adoré et maudit t: Cécile!

Ils ne voulaient pas qu’on pût se douter dans la maison de ce qui s’était passé; après une tentative de suicide avortée, on se sent toujours un peu ridicule. Sans bruit, Amélie descendit avec son frère, le portant presque, car le malheureux, dévoré de fièvre, était sans force; ils marchèrent doucement; lorsqu’elle vit une voiture, ils y montèrent et se firent conduire à la gare Saint-Lazare.

Heureusement les deux sages jeunes gens avaient quelques économies. Amélie tira de son petit sac le prix de deux secondes, car Maurice aurait trop souffert sur les bancs rudes des troisièmes classes, et ils partirent à Triel, où demeurait la veuve Ferrand, la sœur de leur père.

C’est là que le pauvre garçon se rétablissait lentement, pendant que se passaient les différentes scènes auxquelles nous avons fait assister le lecteur.

On était assuré, dans la famille Tussaud, que Maurice était mort. Des circonstances que le lecteur connaîtra dans la seconde partie de notre histoire avaient aidé à propager cette erreur. D’un mot on pouvait être absolument renseigné; mais Tussaud, se sentant un peu l’auteur du suicide, se serait bien gardé d’y aller, et s’il avait dû, dans ses courses, passer de ce côté, il aurait fait le double du chemin pour ne pas voir la rue. Un seul homme savait, c’était Houdard; il avait trop intérêt à savoir ce que devenait celui qui était aimé de sa fiancée pour ne pas se renseigner.

Il apprit, le jour même où Cécile avait parlé de renouer l’union rompue, que le jeune homme, désespéré dans ses amours, était parti dans sa famille. Si Cécile avait su Maurice vivant, peut-être serait-elle revenue sur sa décision; aussi se garda-t-il bien de le lui apprendre. Nous avons vu comment cette nouvelle, qui aurait dû être un bonheur, était devenue un châtiment.

En sortant de la chambre de Cécile pour gagner la sienne, André Houdard était heureux; pendant quelques minutes, il oublia avec quel mépris il avait été traité, avec quelle facilité il avait été joué. Tout entier à ce qu’il venait de faire, il était heureux, il avait fait du mal. Lorsque Cécile croyait se venger, lorsqu’elle croyait écraser sous sa haine et sous son mépris celui qu’elle épousait, au contraire c’était lui, André Houdard, le galant respectueux, le doux mouton pendant tout un long mois, qui reprenait son nom: la Rosse. Elle avait tout préparé contre lui, le passé, le présent, l’avenir; dans le passé, l’éternel remords d’une conduite indigne; dans le présent, le refus de se prêter à l’inceste moral, en n consentant pas à cohabiter avec lui, et enfin, dans l’avenir, l’enfant de l’autre qui venait dans le foyer, qui prendrait tous les droits d’un enfant légitime, qu’il était mal gré tout...

Un mot de la vérité dit à quelqu’un, et la médisance s’en emparant, c’était pour le beau Houdard la honte et le ridicule; la Rosse, qui se moquait de tout le monde était joué par une petite fille; en se mariant, il amena chez lui toutes les hontes qu’il avait portées ailleurs Assurément, c’était plus qu’il n’en fallait pour boulevele ser un homme plus fort que lui. Mais Houdard pouvait être frappé, abattu, non vaincu aussi facilement; le premier coup passé, il se redressait et revenait à l’attaque, et cela avait été terrible. Il remontait chez lui pensant qu’il disait à Cécile: «Celui que tu veux venger est vivant, et tu viens de le perdre à tout jamais; tu es maintenant mariée, tu m’appartiens et il vit. Vivant, il ignore quelles circonstances t’ont amenée à ce que tu as fait, et, voyant que tu as trahi tes serments, il t’accusera. Si, par impossible, tu lui révélais que ton enfant est le sien, cet enfant étant le mien, il n’aura aucun droit sur lui et je pourrai me venger sur lui de la faute de sa mère. L’amour pour toi est sans espérance, tu as mis au foyer la haine et le mépris; ce sont de vilaines herbes qui emplissent tout dans l’endroit où on les a semées. Plus d’affection dans la maison, par cela plus de famille, et tu ne retrouveras rien là-bas, car tu seras surveillée, et celui qui se moquait tant de l’honneur des autres sera sévère pour le sien. Tu ne reverras jamais ton ancien amant, tu sauras qu’il te méprise et tu apprendras un jour qu’il en aime une autre et qu’il l’épouse; c’est la vie sans horizon, le malheur sans issue et la maternité avec la peur, car tu adoreras l’enfant que je vais haïr... Et, maintenant, ce n’est pas tout t; il n’est pas nécessaire d’avoir une femme pour la touver jolie; on passe de belles nuits d’amour au côté de créatures abjectes que l’on méprise moralement en les admirant physiquement; parfois des bandits souillent, après l’avoir assassinée, le corps de leur victime... et Cécile, tu es bien belle, adorablement belle; il arrivera un jour où nous nous éveillerons deux dans ton alcôve; toi, la rage au cœur; moi, la joie dans l’âme; je me serai vengé… On se garde bien huit jours, un mois; je saurai attendre... Aujourd’hui, je suis suffisamment heureux, je t’ai mis la douleur dans l’âme. Celui que tu aimes est libre et tu appartiens à un autre.»

Houdard se frottait les mains. Arrivé dans sa chambre, il retira son habit, son gilet de soirée; il sentit l’anneau que la jeune fille avait repoussé le matin et le serra soigneusement dans un écrin, en disant:

–Un jour tu t’éveilleras en l’ayant au doigt... Non, non, mademoiselle Tussaud, vous vous appelez Mme Houdard, vous serez Mme Houdard... Oui, j’ai du courage avec les femmes, vous le verrez bientôt… Vous m’avez trompé... avant... mais je ne serai pas ridicule après... D’abord, je m’attaquerai à la femme... après à la mère et...

Il n’acheva pas sa pensée, il se mit une minute à la fenêtre, et ayant bruyamment respiré, pris à plein poumon l’air rafraîchissant de la nuit, il rentra dans sa chambre, se parlant à lui-même:

–Ce serait trop bête de passer ainsi ma nuit de noce... Ça peut se savoir, il faut mettre le cynisme de mon côté... Ce ne sera pas elle, c’est moi, viveur effronté, qui aurai négligé d’aller rejoindre ma femme dans la chambre nuptiale.

Et Houdard se dirigea vers la chambre où se trouvait sa garde-robe; il choisit un vêtement lui-même, ne voulant pas réveiller son domestique, auquel la veille, et pour d’autres raisons, il avait recommandé d’être rentré dans sa chambre avant son retour. Il s’habilla lui-même avec soin, riant avec ses pensées, et se parlant, tout en coupant ses phrases comme s’il répondait à quelqu’un.

–Tout se sait un jour ou l’autre, et il est bien évident que je suis absolument absurde; on rirait de moi. Non, aussi j’aurai le bon rôle et les rieurs de mon côté... Sans compter qu’il est probable que la première chose que Cécile fera demain, ce sera de s’informer de moi; notre conversation ne peut en rester là, elle a des renseignements à me demander assurément... et devant les gens nous verrons la tête qu’elle fera... d’autant que, d’après nos conventions, elle feindra d’avoir été quittée quelques minutes avant...

Et il glissait ses boutons de manchettes...

–Et c’est la tête d’Adèle, qui ne manquera pas demain de venir voir sa fille!….. Car il n’y a pas de noce sans lendemain... Adèle sait; ça devait être convenu entre elles; mais Tussaud va être scandalisé... Il va consoler sa fille. et les invités!….. Je les entends; mon nom va fleurir sur leurs lèvres: Quelle rosse!… Le curieux, ce sera le maintien de Cécile.

Et, il éclata de rire. Il fouilla dans un tiroir, y prit une poignée d’or; puis, ennuyé de sentir le poids dans sa poche, il la remit et fouilla dans un tiroir secret, ne gardant que quelques louis. Il prit une liasse de billets de banque. Obligé de déplacer, pour la prendre, un paquet de valeurs différentes, il les regarda une seconde et grommela:

–Il faudra que je fasse un voyage pour me débarrasser de ça; c’est imprudent de garder ça ici.

Il referma le meuble, et, après s’être. soigneusement observé dans sa tenue, il sortit de chez lui, évitant de faire du bruit. Une fois dans la rue, il sauta dans une voiture, donna l’adresse au cocher et s’étendit sur les coussins, en allumant un cigare. Quelques minute? après, la voiture passait devant le restaurant où la noce continuait. Houdard mit la tête à la portière et regarda les fenêtres illuminées. A l’une d’elles, il reconnut Adèle Tussaud accoudée sur la coudière, et tenant un mouchoir. Elle pleurait. Il haussa les épaules et rentra dans la voiture, en disant:

–Quel effet, mes enfants? Si je montais là-haut leur souhaiter le bonjour?

Et il rit plus fort, en ajoutant:

–Ça ne fait rien, ça se saura demain, et on la trouvera drôle quand je dirai: «Que voulez-vous? J’avais parié que je passerais la première nuit de mes noces chez la grande Iza…» J’entends le concert: «Oh! la Rosse! qu’il mérite bien son nom!»

Et la voiture se dirigea vers les Champs-Elysées.

La grande Iza

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