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II LA FIN DE LA NUIT DE NOCES.

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Table des matières

Le vent, faible au commencement de cette nuit d’été, devenait plus fort; au calme succédait le bruissement des feuilles des arbres des quais, le heurt des lourds bateaux amarrés en amont du pont, attendant le jour pour s’engager dans l’écluse du canal Saint-Martin. L’orage allait succéder à la douce tiédeur de la nuit.

Dans la petite chambre de Maurice, la fenêtre, restée ouverte, était secouée par le vent; il était deux heures et demie du matin, tout était silencieux, Les deux enfants étaient étendus sur le lit, semblant dormir. Tout à coup des deux corps l’un se souleva languissant. C’était Cécile; assise sur le lit, elle passa sa main sur son front, en écartant ses beaux cheveux bruns et paraissant vouloir s’expliquer ce qu’elle éprouvait, sa tête était lourde et son cerveau rebelle; elle regarda autour d’elle sans comprendre, sans voir; était-elle en proie à un cauchemar? Elle voulut se lever, et sa main rencontra le corps de Maurice étendu près d’elle; à la sensation de froid qu’elle ressentit, elle voulut crier, mais la voix ne put sortir de sa gorge; elle prit son front à deux mains et eut un cri rauque; elle se souvenait... Comment se faisait-il qu’elle était vivante? que s’était-il passé? est-ce que Maurice l’avait trompée? Où il avait promis la mort, n’avait-il voulu donner que l’ivresse? C’était épouvantable. Elle se pencha aussitôt sur le corps de son amant et appela.

–Maurice! Maurice!

Rien ne bougea; elle lui prit la tête: la peau avait le froid moite de la mort. En tremblant, elle essaya de le relever et il retomba; elle jeta un cri épouvantable. Maurice était mort et elle vivait!

Elle était vivante, presque nue, sentant à chaque mouvement sur ses chairs brûlantes de fièvre le froid mortel.

Elle fit un violent effort et sauta du lit, échevelée, sentant que sa raison allait l’abandonner. Égarée, presque folle, elle se jeta à genoux, et, attirant la tête de Maurice, l’embrassant, elle disait:

–Maurice!….. non, tu n’es pas mort; entends-moi, réponds-moi... tu ne m’as pas trompée en voulant mourir seul. Maurice, oh! je t’en prie… mais réponds-moi...

Et des larmes abondantes coulèrent enfin de ses yeux.

–O mon Dieu! mon Dieu! mais je suis donc maudite! Vous me prenez le seul être que j’aime, et vous ne voulez pas de moi; mais je ne peux plus vivre maintenant... C’est impossible le! Maurice, mon homme, je ne veux pas que tu partes seul, il faut que je meure... Il le faut...

Elle l’embrassa encore, restant longtemps les lèvres collées sur ses lèvres comme si elle espérait y boire la mort qu’elle cherchait; puis, se redressant tout à coup, folle, égarée, elle dit:

–Je veux mourir!

Elle courut à la table et regarda les bouteilles; elles étaient vides; elle chercha du regard un couteau, une arme, et déjà sa main écartait sa chemise, découvrant ses seins jeunes et robustes… Rien! La fenêtre était ouverte, elle y courut; elle donnait sur un petit jardin, le derrière du bal, ce n’était pas la mort certaine. Le vent frais la fit frissonner, elle se regarda, et, se voyant nue, l’instinct pudique de la jeune fille lui revint aussitôt; elle recula dans la chambre et se hâta de se vêtir... Puis elle revint près du corps de son amant; elle regarda une minute en disant:

–Mon époux... car je suis mariée... maintenant je suis femme... Oh! je vais te rejoindre, va, mon homme.

Et comme le vent agitait les rideaux du lit, elle replaça le corps de Maurice au milieu du lit, accrocha les rideaux et se disposa à fermer la fenêtre; un coup de sifflet strident de machine à vapeur lui fit lever la tête; elle regarda et vit dans les buées du jour naissant, à cent pas devant elle, un bateau remorqueur. Elle jeta un cri joyeux x! La Seine, c’était la Seine qui se trouvait en bas de la maison... Cette fois elle n’en reviendrait pas; à cette heure, presque la nuit encore, le pont et les quais étaient déserts. Cécile laissa la fenêtre ouverte et revint près du corps de Maurice.

–je vais te rejoindre, mon homme, nos âmes vont se retrouver bientôt… Au revoir, au revoir...

Et, l’ayant encore embrassé, elle se sauva et descendit rapidement l’escalier. Deux minutes après, elle s’arrêtait devant la porte de la rue; obligée de s’appuyer au mur pour se soutenir, le poison agissait encore sur elle, il lui sembla qu’elle allait défaillir; le cœur lui manquait, ainsi qu’on dit familièrement; des pieds aux cheveux un froid mortel glissa dans son sang, elle ferma les yeux et crut qu’elle allait tomber; mais cela ne dura qu’une minute à peine; elle se redressa et regarda autour d’elle; la rue, les quais et le pont étaient déserts.

Le vieux quartier de la Râpée n’est rien moins que parisien, surtout à cette heure; on eût pu se croire dans un village bordant un fleuve. Le vent d’orage avait passé, le brouillard du matin des chaudes journées engrisait tout; plus de vent dans les feuilles; à peine entendait-on les roues du remorqueur battant l’eau. Une ligne bleuâtre éclaire à peine l’horizon. Sans voir, on entend de l’autre côté de l’eau, sur le chemin de halage, les grelots sonnant au poitrail des chevaux qui remontent des péniches; on entend le choc des fers des chevaux, les coups de fouet et les jurons des charretiers. Le jour va bientôt venir; ces buées sur l’eau ravissent Cécile en servant son projet.

Remise de sa syncope subite, elle se hâte de traverser la chaussée; elle court et regarde la berge; il faut descendre jusqu’à l’eau; elle dit entre ses dents:

–Là, c’est trop près de la rive, le courant pourrait, si je me débats, me ramener au bord.

Elle remonte alors et s’engage sur le pont d’Austerlitz, passant d’un bout à l’autre. Arrivée au milieu du pont, elle s’arrête et regarde. C’est là; dans le brouillard, c’est à peine si on voit l’eau; elle regarde autour d’elle, personne! Alors, elle franchit le parapet, doucement, prenant des précautions, ramenant pudiquement ses jupes sur ses jambes; elle est debout sur la margelle extérieure, son regard se tourne vers le côté où est la petite chambre nuptiale, où a eu lieu le mariage mortel; elle sourit et dit:

–Mon Maurice, me voici.

Et, couvrant son visage de ses mains, elle se laisse tomber en avant, sans un mot, sans un cri. En même temps que le choc dans l’eau le brouillard s’évapore, le corps est disparu et à la place où la jeune fille est tombée des disques nombreux se forment en bouillonnant. Comme si le jour et la vie n’attendaient que cet instant pour paraître, tout s’anime: les oiseaux chantent, le coq beugle, les arbres se dégagent du brouillard et dressent leurs longues silhouettes dans les gris de l’aube. Peu à peu la Seine apparaît, avec ses matineux mariniers sur les bords. Ciel, terre, arbres, fleuve se dégagent ternes et brumeux... Enfin, crevant l’horizon, miroitant sur l’eau, scintillant à travers les feuilles, le soleil paraît. Un cri a retenti de l’autre côté de l’eau, et des cabarets, des bateaux, des gens, invisibles tout à l’heure, s’élancent vers le pont, d’autres se hâtent de détacher leurs barques et gagnent à force de rames le milieu du fleuve. C’est un brouhaha général; on entend crier:

–C’est là, là, sous la troisième arche...

Et un homme s’est jeté tout habillé d’un bateau, nageant vers l’endroit qu’on désigne.

La grande Iza

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