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VII CE QU’ON PENSAIT AUTOUR DES TUSSAUD.

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Ç’avait .été, on le devine, un grand scandale dans le monde du bronze, que la tentative de Mlle Tussaud, préférant mourir que d’épouser celui qui passait pour avoir été l’amant de sa mère. Trop de gens avaient été invités à la noce et avaient assisté aux différentes scènes que nous venons de raconter, pour qu’on ne jugeât chacun des principaux acteurs. Tout le monde était d’accord pour reconnaître que Cécile avait courageusement et dignement agi; étant donné que le mariage satisfaisait son père et sauvait sa maison, que son refus en éloignant Houdard, en le fâchant avec son père, les ruinait tous, elle ne pouvait refuser brutalement, elle avait donc fait son devoir de fille bien élevée, soumise à la volonté de ses parents; mais l’homme qu’elle devait épouser lui répugnait, elle sentait qu’avec lui elle n’aurait pu vivre en honnête femme, et plutôt que d’accepter semblable situation, elle y échappait en se sacrifiant ainsi. Sa mort obligeait Houdard à un certaine réserve, il eût été indigne qu’après la mort dont il aurait été la cause involontaire, il abandonnât les malheureux parents. Pour cela, il fallait une victime, et la pauvre et brave Cécile s’était sacrifiée. Voilà le jugement porté sur son action.

Ceux qui avaient assisté aux terreurs du matin, qui avaient vu les malheureux parents, écrasés par la disparition de leur fille, qui avaient vu l’attitude au moins singulière d’Houdard, s’entendaient tous pour juger favorablement la mère; l’opinion revenait sur elle, on disait que le mariage de sa fille lui avait été imposé... Quelques-uns prétendaient qu’ayant bien observé dans ce moment douloureux l’attitude d’Adèle Tussaud et d’Houdard, ils étaient convaincus qu’on avait calomnié la femme; elle n’avait jamais été la maîtresse de la Rosse. Et elle le traitait même très sévèrement. Nous devons reconnaître qu’en l’accusant moins, la plupart, cependant, croyaient toujours aux relations anciennes de Mme Adèle Tussaud. Quant à Tussaud, tout le monde était d’accord, c’était un imbécile qui appartenait tout entier à Houdard la Rosse; il lui avait pris sa femme, il voulait lui prendre sa fille, et un jour il lui prendrait sa maison.

Tout cela avait été, pendant quinze jours, le sujet des conversations sur la place; cela s’explique naturellement au reste, puisque nous avons dit que le crédit de la maison Tussaud dépendait du mariage; or, après ce scandale, qu’allait-il devenir? Mlle Tussaud était toujours à la Pitié, entre la vie et la mort, ne reconnaissant pas ceux qui l’entouraient, c’est-à-dire sa mère et son père, qui avaient obtenu, ne pouvant faire transporter leur fille chez eux, qu’elle fût dans une chambre pistole où ils pourraient l’aller voir tous les jours.

Houdard paraissait peu chez Tussaud, venant seulement pour prendre des nouvelles de Cécile; il avait répondu à Tussaud, le surlendemain, lorsque celui-ci lui avait raconté ce qu’avait dit le docteur:

–Ce n’est pas tout ça, il ne faut pas que ce malheur fasse oublier la maison, les affaires; tu feras ton bordereau de fin de mois, et je te ferai les fonds… Ça clouera la langue à ceux qui disent que tu faisais une spéculation.

–Quel brave garçon tu es, avait dit aussitôt Tussaud en lui serrant affectueusement la main; si elle te connaissait comme moi, elle comprendrait que c’est son bonheur que je voulais.

–Sauve-la d’abord! Peut-être qu’elle réfléchira maintenant... Une petite histoire comme celle-là, quand on en revient, ça rend raisonnable.

–Espérons-le...

Et à la suite de cet entretien duquel Tussaud n’avait pas dit un mot à sa femme, il avait fait son bordereau, l’avait touché et avait payé sa fin du mois. Nous disons qu’il n’en avait rien dit à Adèle Tussaud, non parce qu’il craignait que celle-ci le blâmât, mais parce qu’Adèle n’y eût rien compris. A cette heure, pour la malheureuse mère, il n’y avait plus de maison, plus d’affaires, rien ne l’occupait que sa fille, au chevet de laquelle elle était sans cesse, guettant sur son visage le mieux qu’elle désirait. C’est qu’Adèle Tussaud s’attribuait tout ce qui était arrivé; c’est parce qu’elle avait connu Houdard, que celui-ci avait eu le droit d’agir ainsi qu’il l’avait fait; la faute commise, elle n’avait pu reculer; c’était le pied dans le crime, chaque pas en faisait commettre un nouveau. N’était-ce pas un crime que le consentement donné au mariage de sa fille, et le plus odieux, avec un homme qui avait été son amant; et le plus épouvantable, puisqu’à cette heure elle ne savait si son enfant n’en serait pas la victime... Oh! si ce malheur devait arriver, elle était résolue, elle n’y résisterait pas, elle irait en quittant l’hospice, après avoir une dernière fois demandé pardon au cadavre de son enfant, se jeter dans la Seine au même endroit où Cécile s’était jetée. Dans les longues heures qu’elle passait près de sa fille, lorsque sa pensée quittait son enfant, c’était pour évoquer son passé à elle, c’était pour rougir seule de sa vie, de sa vie la cause de tout, et elle se promettait, son enfant rétablie, de se jeter à ses genoux, de lui demander pardon en l’assurant d’obéir toujours à ses volontés, et son regard se dirigeait vers la malade. En voyant cet œil brillant de fièvre qui ne la reconnaissait pas, en entendant les mots sans suite qui échappaient de ses lèvres sèches, un frisson se glissait jusque dans ses moelless; elle pleurait et tombait à genoux, levant les mains vers le ciel, et suppliant:

–Mon Dieu! mon Dieu! je suis bien coupable... punissez-moi, mais pas dans mon enfant!

Si sa fille vivait, quoi qu’il pût arriver–c’était absolument arrêté dans son idée–Houdard ne remettrait jamais les pieds chez eux; sa fille se rétablirait doucement, elle choisirait son époux, Houdard, jamais!

Pour tout le monde, pour les parents, les invités, pour le fiancé même, ce qui était arrivé le matin du jour où devait avoir lieu le mariage s’expliquait le plus simplement du monde, et tout à l’avantage de la jeune fiancée restée pour tous la plus pure des femmes.

Rentrée chez elle à onze heures du soir, Cécile s’était décidée à mourir plutôt que de se marier avec Houdard; jusqu’au dernier jour, jusqu’à la dernière heure elle avait espéré que ce mariage ne se ferait pas, et elle ne s’était pas préparée. On était arrivé au jour, le mariage devait avoir lieu; que faire?... Mourir! Elle l’avait dit: Je mourrai plutôt que d’épouser cet homme; et on n’avait pas cru à ce qu’elle avait dit. C’était le matin qu’il fallait obéir; elle se décida et écrivit la lettre; mais, cela fait, comment mourir... sans donner l’éveil à personne à cette heure? elle avait alors attendu le petit jour; elle était sortie sans bruit, elle avait couru jusqu’à la Seine, et, enfiévrée par la nuit passée avec cette idée, elle s’était précipitée à l’eau.

Pour tous, c’est ainsi que la tentative de suicide avait eu lieu; la jeune fille pure, la fiancée qui avait voulu mourir, si miraculeusement sauvée peut-être, était toujours digne du respect et de l’estime de tous... Et si la malheureuse enfant, par les médisances, avait eu connaissance des accusations portées contre sa mère... alors, sa conduite, son sacrifice ne méritaient que des éloges, ne pouvant, ne voulant pas accepter cet inceste moral d’épouser l’amant de sa mère, ne pouvant dire les causes de son refus, fille trop respectueuse pour accuser sa mère, aimant trop ses parents pour amener le trouble dans le ménage, ne trouvant enfin que le sacrifice d’elle-même, la mort pour parer à tout.

Ce fut seulement au bout d’un mois que le médecin déclara que Cécile était sauvée. On attendit encore huit jours pour la faire transporter rue Saint-François. Heureuse de voir enfin sa fille hors de danger, Adèle Tussaud oubliait tout… Son enfant lui parlait, la reconnaissait elle lui demandait sans cesse:

–Souffres-tu encore, ma mignonne?

–Non, mère...

–Alors, souris-moi donc... Si tu savais combien cela m’ennuie, quand je suis si heureuse, de te voir si triste.

Cécile ne souriait pas ; elle se contentait de presser affectueusement la main dans laquelle sa mère tenait la sienne.

Adèle, croyant ramener un peu de gaieté sur son visage, lui disait:

–Maintenant, ma Zizille, sois sans crainte; tu as payé assez cher le droit de choisir toi-même ton époux. Houdard ne mettra plus les pieds chez nous… Nous ne l’avons plus revu depuis le jour que tu sais... Ma fille chérie, tu épouseras qui tu voudras, et, soulignant ces derniers mots, elle ajoutait:–Qui tu voudras, Zizille, tu me comprends?

Alors, Cécile mettait ses mains sur son visage et fondait en larmes. Et cette scène s’était renouvelée plusieurs fois sans que jamais Cécile voulût répondre, lorsqu’on lui demandait la cause de ses larmes.

Voyant l’effet douloureux que le souvenir de ce nom provoquait, Adèle Tussaud évita prudemment d’en parler. Cécile, transportée rue Saint-François, réinstallée dans sa petite chambre, entra tout à fait en convalescence. Jamais, au grand étonnement de sa mère, elle ne parlait de Maurice; nous venons de le dire, on imitait cette réserve; un jour que des amis de la famille, des invités de la singulière noce que nous avons racontée, étaient venus la voir et s’informer de sa santé, elle allait sommeiller, ils se retirèrent discrètement et descendirent dans la salle à manger, sur laquelle s’ouvrait le petit escalier conduisant à la chambre de la jeune fille. Mme Tussaud, craignant que sa fille n’eût besoin d’elle et ne voulant pas manquer de se rendre à son appel, laissa la porte ouverte.

Les amis étaient descendus et avaient quitté la chambre de la malade, nous l’avons dit, parce qu’elle paraissait vouloir sommeiller; croyant qu’elle dormait, certains qu’ils ne pouvaient être entendus, une fois seuls avec les Tussaud, on parla de la catastrophe; les amis, qui savaient l’adoration que la jeune fille avait pour Maurice, demandèrent naturellement si on avait eu depuis ce jour des nouvelles du jeune homme. En entendant prononcer ce nom, Cécile, avec l’ouïe particulière aux malades, tendit l’oreille et écouta. C’est son père qui répondit:

–Quand nous la cherchions, j’ai été jusque chez lui; on ne l’avait pas vu... Mais, depuis, j’ai appris qu’il y avait eu un malheur; quelques heures après nous, Cachard, d’Orléans, qui était venu aux recherches avec moi, regagnait le chemin de fer en voiture–vous vous souvenez, il est parti l’après-midi.–En passant devant la rue de Lacuée, il a vu un rassemblement considérable et des agents devant la maison; il était en retard pour son train, il n’est pas descendu; mais il s’est douté de ce qui était arrivé et il m’a écrit. Le pauvre petit Maurice se sera tué, ça devait être convenu entre eux... et, moins heureux que cette enfant, il n’a pas été secouru.

–Vous croyez qu’il est mort?...

–J’en suis certain... Depuis, nous n’avons pas revu sa sœur… Vous comprenez que je ne puis décemment chercher à voir cette famille; car c’est nous qui sommes la cause involontaire de ce malheur. Pauvre enfant! toute ma vie je me reprocherai ce que nous avons fait là… Adèle a bien raison, c’était un brave garçon, honnête travailleur… et j’ai été mal inspiré... enfin, il est trop tard pour pleurer.

–Et M. Houdard?

–Dame! le pauvre garçon, vous pensez qu’il est bien malheureux de ce qui est arrivé, car c’est la crème des hommes, vous savez... malgré ce qu’on dit; il vient presque tous les jours au magasin pour avoir des nouvelles… Qu’est-ce que vous voulez? il sait bien que ma femme ne peut pas le sentir, et, entre nous, Adèle, je ne m’explique pas ça, il a toujours été prévenant pour toi.

–Non... je ne veux plus le revoir...

–Mon Dieu, ma bonne, je comprends bien que sa présence te rappelle le jour cruel que nous avons passé, mais cela s’est fini heureusement.

–Heureusement, et Maurice?

–Je dis heureusement pour nous, Maurice n’était pas de la famille, dit Tussaud avec son naïf égoïsme.

Puis, s’adressant aux invités, il reprit:

–Comprenez-vous ça? voilà un homme très beau garçon, intelligent, vous le connaissez, qui nous est très dévoué, qui est riche.

–D’où lui vient sa fortune et quelle est-elle? dit Adèle.

–Je ne vais pas aller lui demander ça... Vous autres femmes, vous êtes toutes les mêmes; quand vous en voulez à quelqu’un, rien en lui n’est bien. Tu n’as rien à dire sur sa conduite, tu t’en prends à sa fortune... L’argent, ça ne pousse pas, n’est-ce pas? Pour en avoir, il faut toujours que ça sorte de la poche de quelqu’un; qu’est-ce que les affaires? C’est de faire sortir l’argent de la poche des autres pour le mettre dans la sienne. Lorsque le mariage a été pour être décidé, c’est toi qui as dit: nous nous sommes mariés sans notaire, notre enfant peut en faire autant; devant M. le maire on apporte chacun sa part, voilà tout. Tu avais raison, puisque notre enfant n’apportait rien et que, ainsi, elle était censée apporter la moitié de ce qu’ils auraient eu... Lui, il n’a pas sourcillé, il a dit: j’accepte. Je vous assure, on ne connaît pas la bonne nature que c’est cet Houdard; mais, ma femme, elle a toujours été comme ça, elle n’a jamais pu le voir seulement en peinture…

–Toi, pourvu qu’il ait de l’argent, tu donnerais ta fille au premier venu.

–Ça ne prouve qu’une chose, ça, c’est que je ne veux pas que mon enfant soit malheureuse... Une jolie chose d’écouter des caprices d’enfant...

–Il vaut mieux les écouter que de risquer de le tuer.

–Bon! tu vas me dire des méchancetés… Est-ce qu’on pouvait se douter de ça?... Cette enfant qui a l’air doux, elle a tout mon caractère, emporté, ne raisonnant pas, pauvre petite… Tu vois aussi ce que je fais maintenant, je ne lui en parle même pas… Mais ça n’empêche pas qu’il vaut mieux, c’est mon avis, un homme sérieux, bien occupé de son intérieur, qui s’occupe de ses affaires, qu’un gamin qui sera tout le temps à se mirer dans les yeux de sa femme, et qui, lorsqu’il sera rassasié d’elle, courra après le premier nez en l’air qu’il verra;–Houdard, au moins, avait vécu.

–Oui, avec qui? fit avec dégoût Mme Tussaud...

–Voilà bien les femmes sévères... On ne va pas s’amuser avec des mères de famille... Tu vas trouver mauvais qu’au lieu de courir les ménages, les familles, pour troubler ceux-là, déshonorer celles-ci, il ait préféré avoir des cocottes, des femmes entretenues, comme tu dis... Chacun son goût; lui, il aime le chic... Et puis, quoi, il ne s’en cache pas: il a été la coqueluche de ces dames, et c’est ce qui prouve sa force, son bon sens, pour s’amuser il a choisi les plus jolies des filles de Paris, des femmes faites pour l’amour, embaumant, couvertes de batiste, de soie, tout le diable et son train... et en avant la folie... Mais, lorsqu’il s’agit de mariage, il recherche une famille honnête et une jeune fille sage, et tu ne diras pas que c’est l’intérêt qui le guide, puisque nous ne donnons rien à notre enfant.

–Nous lui donnons une part dans la maison, la moitié de ce que nous avons.

La réponse stupéfia un instant Claude Tussaud, mais il y avait du monde, il se contenta d’appuyer:

–Oui, oui, c’est vrai, il devenait notre associé... Enfin, de tout ça, vous le voyez, il y a une chose surtout, c’est que ma femme n’a jamais pu supporter Houdard.

Les déclarations et les affirmations de Claude Tussaud semblaient gêner énormément ceux auxquels il s’adressait; ils se regardaient entre eux, puis observaient Mme Tussaud, que la conversation de son mari n’embarrassait nullement.

–En somme, dit un des amis avec la cruelle indifférence bourgeoise, votre position est maintenant plus nette, Houdard ne vous tourmente pas, il a rendu sa parole à cette chère Cécile, et d’un autre côté vous êtes débarrassés de ce petit Maurice qui risquait dans un coup de tète de compromettre votre enfant?

–Absolument.

–Allons, tout est pour le mieux et je vous en félicite sincèrement, ajouta-t-il en lui prenant la main et en se levant...

Les dames l’imitèrent, tout le monde souriait; une des dames dit:

–Ma chère madame Tussaud, nous sommes bien heureux du rétablissement de Cécile.

–Je vous dis, sans ses maux de cœur qui sont les restes de son mal–elle irait tout à fait bien.

–Ce ne sera rien, et il faut espérer que bientôt elle nous fera danser et pour de bon.

–Oh! ça ne serait pas long si elle voulait me comprendre, dit Tussaud.

Adèle lui lança un coup d’œil furieux; on se fit des révérences, et les Tussaud reconduisirent les amis jusqu’à la porte.

Dans la chambre, Cécile avait écouté; en entendant raconter la constatation de la mort de son Maurice, elle pleura, et quand ses larmes cessèrent, malgré elle, elle entendit, elle écouta la fin de la conversation. Un rire amer vint sur ses lèvres, et elle répéta:

–C’est vrai, on est débarrassé et je leur dois un bal.

Quand les Tussaud rentrèrent, le fabricant de bronzes allait se diriger vers ses ateliers lorsqu’il lui sembla que sa fille l’appelait; il monta aussitôt:

–Tu m’appelais, ma Zizille?

–Oui, père... je voulais te demander si M. Houdard n’était pas venu savoir de mes nouvelles?

–Mais si, mon enfant… Seulement il n’ose pas monter te voir...

–Lorsqu’il viendra, père, tu le feras monter... que je le remercie…

Mme Tussaud, étourdie, n’osait croire ce qu’elle entendait, et les deux époux se regardèrent stupéfaits.

La grande Iza

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