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III «ALLEZ-VOUS-EN, GENS DE LA NOCE!»

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Table des matières

Il n’était pas sept heures du matin que tout le monde était déjà debout chez Claude Tussaud. Lorsqu’on avait parlé de réveiller Cécile, Mme Tussaud avait dit:

–Non, non, laissez-la reposer; ses affaires sont prêtes: qu’elle s’éveille le plus tard possible.

Et on avait obéi; ç’a avait été alors dans la maison un remue-ménage indescriptible; les fournisseurs apportaient les derniers objets, le coiffeur bâtissait un monument avec les cheveux de Mme Tussaud, les meubles étaient encombrés d’objets de toilette et de bouquets envoyés par les invités à la jeune mariée. A la porte, les premières grandes voitures de louage étaient à la disposition du garçon d’honneur pour aller chercher les plus proches membres de la famille.

Claude Tussaud, en voyant tout sens dessus dessous dans sa maison, avait dit:

–Je n’attends pas le barbier, je vais chez lui.

Et il était parti se faire raser. Lorsqu’il revint, tout barbouillé de poudre de riz, et que sa femme réclama en minaudant l’étrenne de sa barbe, il refusa, disant que ce jour il la réservait à sa fille:

–A madame la mariée... Ah ça! où est Cécile?

–Elle dort, mon ami.

–Tu es donc folle de ne pas la faire éveiller?… Elle ne sera jamais prête, et les invités vont venir.

–Julie, dit Mme Tussaud à la bonne, montez donc dire à mademoiselle qu’elle se lève, que le coiffeur attend pour la coiffer.

Effectivement le coiffeur allait attendre; il terminait le monument érige sur la tête de la mère de la mariée, et Mme Tussaud se souriait dans la glace, demandant le plus naturellement du monde, en secouant légèrement la tête:

–Monsieur Renoult, vous me garantissez que ça tient bien; les cheveux ne tomberont pas?

–Soyez tranquille, madame, c’est solide; vous pourrez danser sans crainte.

La bonne redescendait et disait que mademoiselle ne lui avait pas répondu; cependant elle avait frappé trois fois.

–Comment, fit Tussaud, est-ce qu’elle est sortie ce matin?...

… Ce n’est pas possible... C’est qu’elle dort, et Julie n’aura pas frappé assez fort.

–Va donc voir un peu toi-même... et dis-lui de se dépêcher; les voitures sont là, et si nous n’arrivons pas les premiers à la mairie, nous ne pourrons pas déjeuner avant une heure.

–J’y vais; attendez une seconde, monsieur Renoult, elle va descendre.

Déjà quelques invités étaient arrivés, et Tussaud, qui les recevait, s’arrêta tout à coup, penchant la tête pour écouter, entendant le bruit des vigoureux coups de poing que Mme Tussaud frappait sur la porte de la chambre de Cécile.

–Cécile… Cécile… mon enfant, réponds-moi…

Une minute après, Adèle apparaissait tremblante, toute pâle, et elle disait à son mari:

–Tussaud, elle n’y est pas... J’ai peur...

–Tu es folle, peur de quoi?... Elle ne t’a pas répondu: elle dort, quoi!

–Non; j’ai regardé dans sa chambre par le trou de la serrure, je n’ai vu personne et son lit n’est pas défait.

–Ce sont des bêtises, c’est qu’elle est sortie...; elle a l’habitude de faire son lit en se levant, dit Tussaud visiblement inquiet, mais cherchant à rassurer les autres en se rassurant lui-même.

Tout le monde se regarda étonné, troublé. Mme Tussaud fondit tout à coup en larmes s’écriant:

–Ah! mon Dieu, mon Dieu! il est arrivé un malheur à mon enfant.

–Ah ça! Adèle, voyons, veux-tu être raisonnable?... Il y a du monde ici... Vois donc, tu dois avoir une double clef de sa chambre.

–Oui, oui, répondit Mme Tussaud, courant vivement fouiller dans le tiroir d’un meuble et bousculant tout. Tiens, Claude, voici la clef.

Tussaud prit la clef et grimpa vivement suivi par sa femme; il ouvrit la porte de la chambre et se précipita. Tout était en ordre... Sa femme le regardait effrayée, n’osant parler.

–Eh bien, tout est en ordre… Elle s’est levée de bonne heure ce matin. elle est allée à l’église... ou au bain...

Et il disait cela en regardant autour de lui, d’une voix lourde d’émotion, n’en croyant pas un mot. Tout à coup il dressa la tête, fronça le sourcil; son regard, en fouillant partout, venait de voir un papier placé bien en vue sur le marbre noir de la commode. Sur la feuille entière il n’y avait que deux lignes, signées. Il trembla en s’avançant pour le prendre. Sa femme, qui suivait tous ses mouvements, eut peur alors et dit en pleurant:

–Ah! mon Dieu! qu’y a-t-il?

Tussaud avait pris le papier; il avait reconnu l’écriture de sa fille; il était devenu livide et, comme s’écroulant, il était tombé sur une chaise; il n’avait pas jeté un cri, de grosses larmes avaient jailli de ses yeux, et quand Mme Tussaud, épouvantée, s’était précipitée sur lui pour le soutenir et lui avait demandé:

–Claude, Claude, , qu’est-ce qu’il y a? il avait sangloté.

–La malheure!….. Malheureux que nous sommes..., nous n’avons plus d’enfant...

Adèle Tussaud avait eu un cri rauque; elle avait arraché le papier des mains de son mari, affaissé sur sa chaise, comme abruti; elle avait vivement essuyé ses yeux et avait lu:

«Onze heures du soir.

» Pardonnez-moi comme je vous pardonne. Je vous avais dit: Je mourrai plutôt que d’épouser cet homme. Je vais mourir. Je vous pardonne. Adieu.

» CÉCILE.»

La mère resta quelques secondes comme hébétée; ses mains tremblantes secouaient le papier fatal; puis elle eut comme un râle et elle tomba inanimée sur le parquet aux pieds de son mari; rien ne saurait peindre l’état de ces malheureux, l’altération de leur visage; assurément, une pensée congestionnait le cerveau, une pensée épouvantable:

«C’est nous qui avons tué notre enfant.»

Au bruit de la chute du corps, les invités qui attendaient au rez-de-chaussée étaient montés aussitôtt; les uns relevaient Mme Tussaud, les autres s’empressaient autour du fabricant de bronzes.

–Qu’est-il arrivé, monsieur Tussaud? Qu’y at-il?

Il les regardait comme s’il s’arrachait à un rêve pénible, et l’œil hagard, la bouche bête, il dit:

–Cécile... ma fille... elle s’est tuée!…

–Ah! mon Dieu!…..

On fit descendre Tussaud, on relut avec lui la lettre, et on lui conseilla aussitôt de faire des recherches; il ne comprenait pas bien, tant il était écrasé par le coup inattendu qui venait de le frapper. Disons-le vite, c’était le père, le père seul qui souffrait; aucune autre pensée n’avait traversé son cerveau. Deux des invités l’accompagnèrent; il voulait aller à la préfecture de police; ils montèrent dans la grande voiture de noce, la voiture de la mariée, toute capitonnée de soie crème, avec deux chevaux blancs portant de petits bouquets de fleurs d’oranger en cocarde. Le cocher à figure réjouie se tenait droit sur le siège, ayant également des fleurs d’oranger et des rubans à sa boutonnière; ses mains immenses étaient cachées dans des gants de coton blanc. En voyant les deux invités et le père de la mariée ouvrir la portière, il donna un petit coup de guide qui fit piaffer les chevaux et il se pencha, le sourire aux lèvres, pour prendre l’ordre...

–Où allons-nous, messieurs?

Rien, non rien au monde ne peut exprimer le changement qui s’opéra dans sa physionomie lorsqu’il entendit un des invités lui dire à voix basse:

–A la Morgue... et de là à la préfecture de police.

Il dut se cramponner au siège pour ne pas tomber et faire un violent effort pour reprendre son équilibre.

La voiture partit au trot, au grand désappointement des curieux, ne s’expliquant pas pourquoi le père de la mariée partait avec ses témoins dans la voiture de sa fille et avant elle.

On avait relevé la malheurense mère, tombée presque sans connaissance dans la chambre de sa fille; on l’avait assise sur le lit de Cécile; étranglée, garrottée, sanglée dans le corset et la toilette de noce, elle allait étouffer.

La bonne et une couturière éloignèrent les hommes, et, à grands coups de ciseaux, on rendit la taille de guêpe de la pauvre femme à son état normal; ce fut sur la soie une inondation de chair; il était temps.

En quelques minutes, Adèle Tussaud reprit ses sens. Lorsqu’elle eut conscience de son malheur, ce fut une scène déchirante. A demi étendue sur le lit de sa fille, elle embrassait et couvrait de larmes l’oreiller où s’était posée sa tête; elle humait le parfum qu’y avaient laissé ses cheveux, mordait le petit bonnet de nuit que ses mains rencontrèrent sous l’oreiller, et elle gémissait, elle sanglotait, s’accusant, puis blasphémant.

En vain, les deux femmes qui la soignaient cherchaient à la consoler; elle refusait de les écouter, et elles l’entendaient répéter:

–Ma Zizile..., ma fille. Oh! je suis maudite... Oui, c’est moi qui t’ai tuée. je suis une misérable… je suis... et elle s’appliquait de grosses injures, pour redire d’une voix déchirante: Ma Zizile! mon enfant! je ne te reverrais plus... Ça n’est pas possible!

Et elle sanglotait plus fort, se tordant de douleur, écrasée par le remords. Tout à coup, on entendit un bruit singulier en bas. Elle écouta... Elle devint livide, et ses yeux eurent des lueurs farouches; elle avait reconnu la voix d’André Houdard; elle entendit son pas précipité: on venait de lui apprendre la catastrophe, et il montait près de la mère, refusant d’y croire. Quand il parut, Adèle s’était redressée, sans penser au négligé dans lequel elle se trouvait. Elle avait d’un geste fait signe aux deux femmes de se retirer. Houdard était entré; elle avait poussé la porte derrière lui, et quand celui-ci, l’air bouleversé, lui demanda:

–C’est donc vrai?

Elle ne répondit pas à sa question; elle s’élança vers lui les mains crispées, et, montrant les dents comme pour le déchirer et le mordre, elle rugit:

–Gueux, misérable, coquin, lâche..., c’est toi qui as tout fait, c’est toi qui as assassiné mon enfant, c’est toi qui, en mettant les pieds ici, as amené la honte et le malheur... Je serai perdue, mais je veux te perdre. Je le dirai à Claude, à tous, on te chassera, on te huera, on te méprisera…, gueux! Je vengerai un peu mon enfant.

Houdard s’attendait si peu à cette réception que d’abord, véritablement effrayé, il avait levé ses coudes pour se protéger et il avait reculé; Adèle le poursuivait toujours menaçante, et il se trouva accoté à la porte; elle avançait toujours, l’injuriant; il s’était remis peu à peu de la secousse, et la saisissant brutalement par le bras en disant:

–Ah! mais en voilà assez, hein!

Il la traîna et la jeta sur le lit.

–C’est ainsi que tu m’as eue, lâche: par la force! dit-elle en se redressant.

–C’est ainsi que je te ferai taire toujours.

–Bats-moi donc, misérable... Ce ne sera pas la première fois, lâche!…..

–Ah! tu vas te taire, fit-il en lui mettant la main sur la bouche, si violemment qu’elle retomba, et que voyant le poing levé sur elle, elle eut peur... et se tut.

Houdard courut aussitôt à la porte, l’ouvrit, regarda si personne n’avait écouté et entendu, et tranquille, laissant avec intention la porte ouverte, il revint vers elle et lui. demanda:

–Madame, montrez-moi la lettre de la pauvre enfant.

Adèle fondit en larmes et ne répondit pas.

Les dents serrées, les poings fermés, bouleversé par la disparition de celle qu’il venait épouser, la bile secouée par les imprécations qu’il venait d’entendre, la rage dans les yeux, la colère sur le front, André était forcé de se contenir; celui qu’on appelait la Rosse faisait de difficiles efforts pour reconquérir son calme; il se promena deux minutes dans la chambre. Ayant été regarder de nouveau dans le petit escalier si personne ne pouvait l’entendre, il revint se placer devant Adèle, qui, les mains sur son visage, pleurait toujours, soulevant à chaque sanglot sa gorge robuste, mise à nu par les femmes lorsqu’elle s’était évanouie. André ne savait comment entamer de nouveau l’entretien; il dit enfin:

–Adèle, regarde donc dans quel état tu es... Si quelqu’un entrait, il pourrait tout penser...

Mme Tussaud ne répondit pas; mais, hâtivement, avec des épingles, elle rattacha son corsage.

–Parlons raison, reprit André. Que s’est-il passé ici, hier, après mon départ?.

–Est-ce que je sais, moi!….. fit Adèle se levant impatiente et se disposant à se retirer; je pense à mon enfant.

–Tu ne vas pas descendre ainsi, commanda-t-il, en l’obligeant à se rasseoir.

Alors Adèle s’accouda, et, la tête sur son bras, elle sanglota plus fort, disant entre ses halettements:

–Mon enfant..., mon Dieu, mon Dieu..., ma pauvre enfant.

André Houdard, furieux, grinçait des dents; contre cette douleur il se sentait impuissant, et il était plus réservé, car c’était à cause de lui que le malheur était arrivé. Enfin, il haussa les épaules, paraissant décidé à attendre une accalmie dans la douleur de la mère. Il alla vers la fenêtre, l’ouvrit et s’accota, regardant le grand jardin sur lequel elle s’ouvrait. Il s’accouda sur le bord de la fenêtre et s’y appuya la tête dans sa main, pensant à ce qui venait de se passer. Les rayons du soleil de juin glissaient dans les arbres, illuminant le vert des feuilles et dorant les grappes des ébéniers jaunes; c’était un de ces grands jardins de vieux hôtels, comme il en reste encore quelques-uns dans le Marais, pleins d’ombre et de mystère.

En ouvrant la fenêtre, il entra dans la chambre une bouffée de parfums qu’exhalaient les seringas, les clématites en fleur et le foin des pelouses fraîchement coupé. Houdard aspira bruyamment et sembla plus calme, comme si ces senteurs chassaient les sombres idées de son cerveau; en glissant à travers les feuilles, les flèches du soleil venaient jouer sur son visage et l’illuminaient de lueurs fantastiques André Houdard, dit la Rosse, est un des principaux personnages de notre histoire, et nous profitons de cette minute de calme pour le peindre rapidement.

André Houdard était un solide et grand garçon, qui comptait trente-cinq ans, mais qui pouvait facilement cacher cinq ans Bien fait, vigoureusement et gracieusement bâti, l’habit de cérémonie du marié qu’il portait à cette heure lui seyait à merveille. Le buste était large et robuste, les bras nerveux; les jambes se dessinaient élégantes et fortes; les attaches étaient peut-être un peu épaisses, mais les mouvements étaient souples, agiles; il était tout à fait à son aise dans la toilette de cérémonie, chose rare dans la classe bourgeoise.

Houdard, dit la Rosse, étaient certainement un beau garçon: le visage, d’un ovale un peu long, était bien encadré par des cheveux bruns qui retombaient en boucles fines sur son front osseux; il portait la barbe, une barbe brune, mais légère, douce, qui se divisait sous le menton en deux pointes; la bouche était grande, mais admirablement garnie; cependant ses dents, en se montrant dans le rire, semblaient prêtes à mordre; les lèvres, d’un pur dessin, étaient épaisses, lourdes; une petite moustache d’un roux brun les couvrait en rapetissant la bouche; les yeux, fendus en amande, très bruns, étaient peut-être un peu trop enfoncés sous l’arcade sourcilière; mais ils avaient un regard étrange, cruel, lueur de fauve que l’ombre des cils adoucissait un peu.

Le teint était mat, l’aspect du visage fatigué. Les femmes disaient: «Il est beau, mais c’est un homme qui a vécu.» Les hommes qui le voyaient disaient: «Un solide gaillard, qui n’a pas l’air naïf…» Les gens du quartier, qui le connaissaient, répondaient, lorsqu’on parlait de lui: «Houdard, un beau gars, mais quelle rosse!…..» Les femmes qui l’avaient connu répondaient: «Oh! ne me parlez pas de cet homme; quel misérable!» Enfin, ce concert se terminait par le jugement de son ami Claude Tussaud, qui disait:

–André, c’est le meilleur garçon que je connaisse; toujours la main ouverte. C’est à lui que je dois d’être ce que je suis.

Le lecteur a déjà pu se faire une vague idée de celui dont nous parlons; nous l’avons peint du mieux que nous avons pu; les faits qui suivront lui permettront de le juger tout à fait.

André Houdard se disposait, après quelques minutes de réflexion, à venir interroger Mme Tussaud, qui, ayant cessé de pleurer et la tête inclinée, les bras inertes, le regard fixé à terre, hoquetait sous les sanglots, lorsque le bruit de plusieurs voix, qui disaient en bas: «Les voilà! les voilà!…..» lui fit tendre l’oreille. André se précipita aussitôt; il descendit juste au moment où Tussaud et ses deux témoins rentraient; il vit à leur physionomie qu’ils n’avaient pas de bonnes nouvelles; en apercevant son futur gendre, Tussaud vint lui tendre la main et, fondant en larmes, il dit:

–Ah! mon pauvre André, tu sais le malheur qui nous frappe?... Ma pauvre enfant morte, dit-on!

–Voyons, Claude, il faut avoir de la raison, et d’abord, si Cécile est partie, cela ne veut pas dire qu’elle soit morte!

Claude Tussaud releva la t$ete et il sembla reprendre espoir.

La grande Iza

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