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IV CE QUI ARRIVA A UN BRAVE GARÇON AIMANT A VOIR LEVER L’AURORE.

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Table des matières

Laissant les gens invités à la noce se regarder tout déconfits dans leur toilette, Houdard et les témoins à leurs recherches, Claude à sa douleur et la mère coupable à son désespoir et à ses remords, nous ramènerons nos lecteurs sur le bord de la Seine, près du pont d’Austerlitz, du Côté du quai de la Gare, à l’heure où le soleil se débarbouille, à l’heure, disions-nous lorsque nous l’avons quitté, où tout s’éveillait, où mille bruits confus arrivaient, où les coqs beuglaient, les grelots sonnaient sur le poitrail des chevaux qui hennissaient, où les fouets claquaient, les chiens aboyaient, se révélant seulement par le bruit dans les buées du matin.

On se levait; le maître du bateau de lessive, où les bateaux de plaisance sont en garage, allait voir si la bosse qui les amarre les attache toujours à son bateau. Les mariniers et les charretiers étaient au cabaret, attendant «qu’ça s’débarbouille;» les peaux tannées, les mains rudes, les têtes coiffées d’une marmotte, qui tient chaudes les oreilles frileuses, torses solides que des blouses bleues enveloppent, les pieds engloutis dans des bottes immenses et le fouet passé sur le cou; ils juraient, buvaient, riaient; le jaune luisait dans les verres, et courant au milieu de ces hommes, chaste d’impudeur, la servante en jupons courts, les yeux vifs, la bouche riante, les joues rouges, les bras rouges, les mains rouges, la taille épaisse, la poitrine immense, les pieds perdus dans des chaussons sans forme, sur lesquels, comme des guêtres, retombent des bas en vrille... Elle jure aussi plus grossièrement que les autres, et c’est en riant qu’elle répond par des coups de poing aux caresses peu discrètes des habitués. Le jour piquait; l’eau seule était encore couverte de brouillards, lorsqu’un jeune homme, mis comme un ouvrier, et qui paraissait être connu des habitués, l’arrêtant par le bras, sans qu’elle s’en défendît cette fois, lui dit:

–Jeanne, vite, sers-moi un petit verre et donne-moi la clef du cadenas...

–Voilà, monsieur Aristide, répondit-elle en servant et en lui donnant la clef. Est-ce que vous venez demain?

–Oui, nous faisons le tour de Marne, et j’ai promis aux amis que je viendrais nettoyer le bateau; en sortant de l’atelier, ce soir, nous remonterons le bateau pour écluser demain matin. Nous coucherons à Saint-Maurice.

–Tiens, voilà Chadi le canotier! Payes-tu une tournée? demanda un tireur de sable.

–Je veux bien, mais vite. Allons, Jeanne, sers-nous.

–Tu travailles donc pas? Si le père Leblanc savait ça!…..

–Moi? mais si, je travaille. Est-ce que vous croyez qu’on va à l’atelier à cette heure-ci? Je me suis levé matin pour laver notre bateau, et je vais à l’atelier après. Allons, vite, vite, Jeanne, je n’ai pas trop de temps.

Ils trinquèrent, burent, et celui qu’on avait appelé Aristide et Chadi, portant une éponge et une écope, traversa le quai et descendit la berge; il passa sur le plat-bord qui conduit au bateau à lessive, où tout était muet à cette heure; il longea le bordage du bateau, et, arrivé à son canot, il descendit dedans; il ouvrit le cadenas qui fermait le coffre où les agrès du canot étaient déposés, et, se mettant à son aise pour barboter dans le bateau, c’est-à-dire retirant son paletot, son gilet, ses chaussettes, restant nu-pieds et le pantalon relevé jusqu’aux genoux, les manches de chemise relevées jusqu’aux coudes, il détacha le bateau, le dirigea vers le pont. Chadi voulait être à son aise, et, comme le soleil allait se lever, il voulait avoir l’ombre de l’arche pendant son nettoyage.

Aristide Leblanc, dit Chadi, était ciseleur en bronze; son père était un marinier; il demeurait chez ses parents, quai de la Gare, c’est pour cela que ses amis l’avaient chargé de faire la toilette de leur canot la Brise; c’est pour cela qu’il était connu au cabaret du Rendez-vous de la Marine, où nous l’avons vu.

Son portrait ne sera pas long: c’était un robuste gaillard, plutôt petit que grand, bâti comme un chêne, aux épaules larges, au cou nerveux, aux jambes d’acier, pas très gentil garçon, mais l’air bon, sympathique; des cheveux blonds, des yeux bleu clair, presque gris et à fleur de tête, le teint frais. Tous les matins, se levant pour le travail, par tous les temps courant à l’atelier. Du matin au soir, il est debout à son étau. Ce n’est pas un ouvrier artiste, il travaille dans la camelote, et le travail est plus pénible, les bras troussés ont une teinte verte, à cause de la sueur sur laquelle s’attache la limaille, son linge a des teintes verdâtres; mais bah! il est habitué à ça; il quitte le marteau pour le riffloir avec joie; il aime à faire de la limaille; il a des grattoirs à longs manches qui épouvantent le bronze lui-même. C’est ce qu’on nomme un masseur, ou pour mieux dire un abatteur. Quand il rentre chaque soir, il est las, épuisé, fourbu; il ne se plaint jamais; mais il met au plaisir la même ardeur, et le plaisir, la toquade d’Aristide, c’est le canotage.

Oh! le canotage! Aussi à cette heure, dans la Brise, faut-il le voir soulever les planchers, et, écopant et épongeant, frottant, et il a la gaieté sur la figure et la chanson aux lèvres.

Oui, il va chanter; il commençait même:

En avant la rigolade,

La rigolade en avant...

lorsqu’il entendit derrière lui un grand fracas dans l’eau; la chanson s’arrêta sur ses lèvres, il sursauta et regarda autour de lui; le brouillard se levait, mais en tout cas le bruit s’était produit trop près de lui pour qu’il pût en être gêné; il vit alors seulement de grands disques et des bouillonnements sur l’eau. Chadi était né sur le bord de l’eau, il l’adorait, il était comme les chiens de Terre-Neuve, dès qu’il la voyait, il lui fallait aller dessus ou dedanss; aussi rien ne lui plaisait-il comme l’occasion de prendre un bain; il se dressa sur l’avant du bateau et dit:

–Pour avoir fait ce chahut-là, il faut que ce soit un bonhomme qui s’y soit jeté... Mon petit père, je vais t’empêcher de prendre une si grosse goutte que ça... aïe donc, là!

Et Chadi se précipita. C’était un vrai nageur, un flotteur, comme on disait sur le port; il resta bien une grande minute sans reparaître. Il reparut, seul, mais ce n’était que pour reprendre haleine; il avait reconnu la place et connaissait son chemin, car il repiqua aussitôt pour reparaître en tenant d’une main devant lui le corps de Cécile; en trois brassées il atteignit son canot; il se cramponna alors au bordage; les clains gémissaient sous le poids; il essaya vainement de remonter ou de monter le corps. Efforts inutiles es! C’est alors qu’il fit entendre ce cri, si saisissant sur les bords d’eau:

–Au secours! au secours!

On l’entendit des deux côtés, et nous avons vu que les gens couraient, que les barques se détachaient pour se porter à leur secours...

Ah! c’est que c’était un brave gars que Chadi.

La grande Iza

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