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II
ОглавлениеCes premiers tâtonnements du paysage naturaliste furent rejetés dans l’ombre par la conception de l’art que l’esthétique de Winckelmann et de Raphaël Mengs, l’autorité de David, firent, pour un temps, triompher dans la pédagogie. L’esprit de système qui régnait en maître absolu sur la peinture d’histoire admettait malaisément la légitimité des genres secondaires. «L’art de peindre est un et ne devrait à la rigueur comporter qu’un seul genre, qui est la peinture d’histoire», écrivait un paysagiste, Valenciennes lui-même. Le paysage n’aurait pas dù exister. Du moins s’efforçait-on de le relever en dignité. Ceux qui s’y étaient exercés autrefois, Ruysdaël et ses compatriotes, «n’avaient travaillé que pour des hommes dont l’esprit et l’âme étaient engourdis... L’idéal leur était absolument inconnu.» Il fallait donc que l’idéal vînt au secours du genre méprisé :
Si canimus sylvas, sylvæ sint consule dignæ !
C’est à quoi Valenciennes employa sa plume et ses pinceaux. L’an VIII de la République, paraissaient en un vénérable in-4° les Éléments de perspective pratique à l’usage des artistes, suivis de réflexions et conseils sur le genre du paysage. Si l’on veut comprendre les ravages que la raison raisonnante peut exercer sur un honnête esprit, il faut lire ces conseils. Les principes y sont déduits avec une sorte de fureur. Claude Lorrain lui-même ne trouve pas grâce aux yeux de Valenciennes; il a «trop sacrifié au genre». Sans doute, il «a rendu avec la plus exacte vérité et même avec intérêt le lever tranquille ou le brûlant déclin de l’astre du jour; il a peint admirablement l’air atmosphérique; personne n’a mieux fait sentir que lui cette belle vapeur, ce vague et cette indécision qui fait le charme de la nature et qu’il est si difficile de rendre». Mais il n’a pas su «affecter l’imagination; vous chercheriez en vain dans ses paysages un seul arbre où elle puisse soupçonner une hamadryade, une fontaine d’où elle voie sortir une naïade;.... les dieux, les demi-dieux, les nymphes, les satyres, sont trop étrangers à ses beaux sites...»
Le devoir du peintre de paysage n’est pas de nous donner «le froid portrait de la nature insifiante et inanimée», mais de la faire parler à l’âme «par une action sentimentale». Il doit lire, comparer, «s’enthousiasmer à la lecture des poètes qui ont décrit et chanté la nature» ; la voir à travers Sapho ou Théocrite — descendre «au Tartare avec Ixion ou Sisyphe», — gravir les rochers avec Ossian... On se demande parfois, quand on parcourt la liste des concours de paysage historique ou les livrets des salons de la première moitié du siècle, dans quels recueils innommés, dans quels dictionnaires de la Fable les peintres du temps puisèrent leurs sujets: c’est Valenciennes qui est responsable de ces débauches d’érudition. En «établissant» qu’aux quatre parties du jour correspondait «un choix de sujets propres à embellir le paysage», il a fait sortir de tous les manuels toutes les variétés de demi-dieux, nymphes, dryades, hamadryades, ægipans, satyres et sylvains; — il a réveillé au fond de l’histoire romaine des héros justement oubliés. Au matin, «moment où la riante Aurore sortant des bras de son vieil époux répand des herbes et des fleurs sur la surface de la terre», le paysagiste ne perdra pas son temps à représenter «les habitants de la campagne se dirigeant à leurs travaux rustiques, pendant que leurs fidèles et innocentes compagnes s’occupent de la troupe intéressante des volatiles qui les suit battant de l’aile et demandant, par des sons variés et perçants, la graine préparée pour son premier repas». Il se plaira plutôt à évoquer les Fêtes de Delphes, les Heures attelant au char du soleil quatre coursiers fougueux. Pour le Soir, il pourra aller chercher jusque chez les «modernes» Tarsis et Zélie dans la vallée de Tempé ; pour la Nuit, Phrosine et Mélidor seront des sujets convenables. Quant à l’histoire romaine, elle peut être mise en tableaux, aussi bien qu’en sonnets; elle offre au paysagiste des ressources infinies. Victor Bertin, élève et continuateur de Valenciennes, ne trouvera-t-il pas un sujet de paysage dans l’épisode de Tanaquil prédisant à Lucumon sa future élévation au moment où un aigle lui enlève sa coiffure?
C’est à l’école de Valenciennes, il ne faut pas l’oublier, que se formèrent tous les paysagistes qui, pendant la première moitié du siècle, devaient diriger les ateliers, régenter l’école, composer les jurys, proscrire des salons les hérétiques dangereux, fonder et distribuer le prix de paysage historique, créé en 181G comme une consécration solennelle de la bonne doctrine et un moyen de résistance aux velléités de naturalisme çà et là persistantes. C’est aux plus fidèles élèves de Valenciennes que Camille Corot allait innocemment demander des leçons.