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VII

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Pendant que Corot, sans renier ses origines classiques, se libérait de sa manière froide et officielle pour atteindre à la libre et large expression de son véritable génie, une bataille mémorable se livrait dans l’école française. Un groupe de paysagistes, plus jeunes que lui d’une quinzaine d’années, avait levé contre les ateliers académi .ques l’étendard de la révolte. Encouragés par des exemples venus d’Angleterre et par les vieux maîtres hollandais, par Bonington qui exposait pour la dernière fois en 1827 et dont Corot n’ignorait pas les aquarelles, par Constable et par Ruysdaël, — ils osèrent négliger l’Italie et opposer aux paysages ajustés et aux nobles mythologies de fidèles et ardents portraits de la terre natale. C’étaient, disait-on dans le camp ennemi, «des sites arides et sans charme, dont les lignes sont pauvres et la végétation desséchée et rabougrie». Delécluze, un peu effaré mais s’efforçant de résumer le débat avec impartialité, écrivait: «On devait bien s’attendre à trouver dans les paysagistes la même anarchie de goût que chez les peintres d’histoire et de genre. Ce sont encore les homéristes et les shakspeariens qui, sous la forme de Tityres et de pêcheurs de morues, se disputent la gloire de plaire. Les uns s’appellent ennuyeux, les autres dégoûtants!» Corot restait en dehors de ces querelles. Il ne prit jamais ouvertement parti contre ses anciens maîtres; et s’il ne se fit pas faute, plus tard, avec quelque affectation peut-être, de proclamer son admiration pour Théodore Rousseau, qu’il comparait tantôt à un aigle et tantôt à un lion, lui, Corot, n’étant qu’une alouette! — par son âge pas plus que par ses origines, il n’appartint au groupe des révolutionnaires.

Mais comment n’eût-il pas été frappé de tant de paysages intimes que la jeune école produisait d’année en année avec un succès croissant? Comment toutes ces interprétations exactes et passionnées de la nature maternelle n’auraient-elles pas touché son cœur? Pourquoi n’eût-il pas dit lui aussi l’amour qu’il avait pour elle, et fait, comme les autres, des «tableaux» avec les études qu’il rapportait de ses promenades dans les provinces? Au Salon de 1848, profitant de la liberté alors accordée pour la première fois aux exposants, il en envoyait une demi-douzaine, et désormais, de plus en plus nombreuses, à côté de ses paysages où les nymphes et les ægipans venaient encore errer, il montra des vues de pays, où, sans qu’on puisse dire que les préoccupations ethnographiques aient été jamais dominantes ni que les «géographes » aient le droit de le revendiquer pour l’un des leurs, il sut exprimer le charme propre de chaque région. Ses études de Suisse et de Hollande sont à ce point de vue aussi intéressantes que généralement peu connues. Dans ses fréquents séjours aux environs d’Arras et de Douai, en Artois, en Picardie, dans ses villégiatures à Ville-d’Avray, à Compiègne, à Fontainebleau, dans ses visites en Saintonge, en Poitou, en Limousin, il renouvela le fonds déjà si riche de son œuvre. A Marcoussis comme à Castel-Gandolfo, à Ville-d’Avray comme au lac de Garde, au pont de Mantes comme au pont Saint-Ange, à la Rochelle comme à Civitta Vecchia, dans les saulaies de l’Artois comme dans les bois de chênes-liège de la campagne romaine, dans les rues des villages de Picardie ou de l’Ile-de-France comme sur les voies sacrées de la Rome antique, ce qu’il trouvait d’ailleurs, ce qu’il aimait, c’était encore et toujours la nature, et, dans cette nature, ce qui de plus en plus charmait ses yeux, c’étaient les accords délicats des choses dans l’air mélodieux. On a vu quel peintre d’architecture il avait été et quel parti il avait tiré de ces «fabriques» éclairées par les rayons obliques, dont la tradition lui était venue de l’école et dont il avait fait, par la grâce de son génie, en les égrenant comme des notes de lumière, un des éléments de l’harmonie de ses tableaux. Il fit servir, dans les horizons plus voilés de la France septentrionale, les plus humbles chaumières, tapies dans la verdure ou étagées sur les coteaux modérés, à une même œuvre d’enchantement. Sans qu’on y sente jamais la «composition», la mise en place systématique, tout se dispose naturellement pour le plus heureux effet; les plus humbles motifs s’ordonnent dans un doux rayonnement pour la plus reposante satisfaction des yeux.

On a parlé de sa monotonie. On n’a donc voulu voir dans cette œuvre si variée que les seuls «brouillards argentés», le tableau type que le public adopta, que les marchands demandèrent, et qu’il fut entraîné à produire en ses dernières années, trop souvent et trop vite... Mais regardez! Voici de claires matinées et de fins crépuscules, dont la mélancolie légère semble avoir retenu le meilleur et le plus apaisant de la lumière du jour; voici des bords paisibles de rivière peints à côté de son cher Daubigny, dont les graves verdures s’enlèvent largement sur le ciel moite et humide; voici des chemins creux qui se perdent sous bois et gagnent sans se presser le village prochain, s’arrêtant devant une maison de garde, avec çà et là la surprise d’un rayon, l’aménité d’une note de lumière ménagée à quelque tournant, comme une invitation au repos et un appel ami; voici des villages éparpillés dans la verdure et s’éveillant ou s’endormant comme au son d’une musique invisible; voici le Pont de Mantes aussi noble en sa lumière virginale que les viaducs de Rome et combien plus charmant que le pont de Narni! — voici la Rochelle, le blond chef-d’œuvre, la perle précieuse, claire et discrète, transparente et profonde, si française et si belle sous les caresses du ciel natal! Voici, enfin, des intérieurs de bois, des clairières au crépuscule ou au clair de lune qui prennent dans le mystère de la nuit des airs de forêts enchantées; — voici, près d’Avon, à Fontainebleau de grands horizons de verdures moutonnantes, dont les larges ondulations se déroulent majestueusement, pareilles à un sombre océan apparu soudain du haut d’un monticule, entre deux troncs d’arbres élancés comme les colonnes d’un temple debout sur quelque promontoire... De l’intimité la plus humble, il s’élève sans effort au style le plus émouvant — et ce «style» alors n’est plus l’étroite et impersonnelle application d’une recette, l’art de disposer sur une toile des fragments d’études, c’est l’expression libre et large, persuasive et animée d’un profond sentiment de nature.

Notes sur l'art moderne

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