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III

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Son premier maître avait été un jeune homme de son âge, que des succès précoces avaient mis en évidence dès 1812, et que, en 1817, le prix de paysage historique obtenu au premier concours avait presque illustré : Achille Etna Michallon. A voir la Mort de Roland du musée du Louvre, on aurait peine à comprendre les espérances que ses maîtres et ses contemporains avaient fondées sur lui. Mais on connaît d’autres tableaux plus intimes et plus clairs, surtout des études franches et lumineuses qui font pressentir un paysagiste de race. M. Émile Michel veut bien m’en signaler une (chez M. Eugène Thirion) peinte à Tivoli, à l’endroit même où Corot devait venir un peu plus tard planter son chevalet. «Le dessin en est très fin et scrupuleux, l’exécution très habile, la tonalité charmante; un effet de plein soleil par un temps très doux avec des nuages légers, flottant dans un ciel pâle. Les valeurs sont très exactement rendues: les colorations de détail respectées, mais bien dans la masse. L’étude poussée à fond dans les parties faites n’est même pas couverte au bas de la toile...» On voyait à Lyon, dans l’atelier d’un vieux professeur de dessin, plusieurs autres études de Michallon, remarquables par les mêmes qualités. Il serait intéressant de les retrouver; on y lirait clairement quelle influence le jeune professeur put exercer sur son élève. Que savait celui-ci et de quoi était-il capable quand il franchit pour la première fois le seuil de son maître? que valaient ces études faites au Bois-Guillaume près de Rouen ( où il avait été boursier au lycée impérial), plus tard sur la berge de la Seine, au bout de la rue du Bac, tout près du magasin de modes de sa mère, sous les yeux des jeunes ouvrières curieuses de voir peindre «monsieur Camille» ? Nous ne saurions le dire. On peut présumer en tout cas que ce qu’allait chercher ce jeune homme dans ses premiers tête-à-tête avec la nature, ce n’étaient pas des paysages historiques; «l’innocente clarté du jour» avait ravi ses yeux; un instinct mystérieux l’attirait vers ce qui «devait faire à jamais le charme de sa vie».

Michallon, dès ses premiers essais, le jugea capable d’aller sur le terrain et lui donna pour tout viatique le conseil «de bien regarder la nature et de la reproduire naïvement avec le plus grand scrupule». Corot avait conservé le plus reconnaissant souvenir de ce maître qui fut pour lui un camarade et un ami; avec sa nature enthousiaste et simple, prompte à la confiance et à l’abandon, son empressement à écouter et à provoquer les conseils, il profita beaucoup en peu de temps. Parmi les plus anciennes esquisses retrouvées dans son atelier, je remarque à côté d’Études de toits el cheminées à Montmartre, des Vues des Alpes au soleil «copiées d’après Michallon » et de nombreuses Études de plantes et d’architecture également «copiées d’après Michallon». Il devait malheureusement être bientôt privé de ce guide excellent. A la fin de l’année 1822, Michallon mourut subitement, à peine âgé de vingt-six ans; — et Corot se mit en quête d’un autre professeur.

Il alla chez Victor Bertin. C’était un des chefs reconnus de l’école; il régnait sur le paysage classique; l’histoire romaine et la fable n’avaient pas de secrets pour lui. Le temps était loin où un critique, l’auteur des Lettres d’un Danois sur la situation des Beaux-Arts en France, pouvait lui reprocher «de ne connaître que les environs du pays qui l’a vu naître, de s’être engagé trop tôt dans l’hymen pour acquérir le titre honorable de père» et de n’avoir pas visité l’Italie! Les paysages italiens servaient de fond à tous ses tableaux, où de Numa Pompilius à Cicéron défila tout le De Viris.

Corot fut pendant trois ans l’élève respectueux de Bertin; il se pénétra de toutes les lois du paysage historique; il apprit à disposer noblement dans le rectangle d’une toile les architectures, les mouvements de terrain, les masses de feuillage; et s’il put lui arriver par la suite de dire ou de laisser entendre qu’il ne retira pas de cet enseignement tout le profil qu’il eût voulu, du moins ne prit-il jamais vis-à-vis de son ancien maître l’altitude d’un révolté. C’est de lui vraisemblablement qu’il reçut le sujet de son premier tableau d’exposition. Dans son voyage en Italie, Bertin s’était plus d’une fois arrêté à Narni, où les ruines d’un pont romain sur la Nera lui fournissaient un motif selon son esthétique. En 1810 et 1827, il avait exposé des Vues des environs de Narni; c’est par le Pont de Narni qu’au Salon de 1827 Corot fit ses débuts.

Regardons le tableau: entre deux rives encaissées au premier plan, un cours d’eau se dirige vers la plaine, qui s’élargit à l’horizon el fuit dans la lumière; un pont en ruine dresse sur le ciel ses arches démantelées; un chemin sablonneux court à gauche, animé d’un troupeau de chèvres blanches et va se perdre sous de grands arbres qui arrondissent noblement le dôme un peu métallique de leurs sombres frondaisons. Des paysans en costumes de lazzaroni sont assis en avant. L’aspect général est d’une netteté rigide, la facture sèche; l’arrangement un peu mécanique des premiers plans fait penser aux «paysages ajustés» de Walelet; mais le grand ciel lumineux — qui emplit tout le fond du tableau, se dore à la ligne d’horizon, bleuit au zénith et se reflète aux eaux basses de la Nera — sollicite plus doucement l’œil. Jusqu’au bord du cadre, la marche décroissante de la lumière et son action sur les choses ont été suivies et indiquées avec une application et une timidité également sensibles; sur les piles et les morceaux de tablier encore debout du pont romain, sur la masse des feuillages, sur les blanches toisons des chèvres, sur le sable du chemin et les accidents du terrain, enfin sur les vêtements des paysans, des rappels de tons de lumière ont été posés après coup, par petites Louches «comme on met de la nonpareille sur un gâteau bien cuit», aurait pu dire Delacroix.

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