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VIII

Table des matières

Ici quelques applaudissements éclatèrent. Prométhée confus s’excusa:

— Messieurs, je mentais: pardonnez-moi: cela n’a pas été si vite: non je n’ai pas toujours aimé les aigles: j’ai préféré l’homme longtemps; son bonheur lésé m’était cher, car, y ayant touché, je m’en croyais devenu responsable, et chaque fois que j’y pensais, au soir, triste comme un remords venait manger mon aigle.

Il était en ce temps maigre et gris, soucieux, morose, il était laid comme un vautour. —Messieurs, voyez-le maintenant, et comprenez pourquoi je parle; pourquoi je vous assemble ici, pourquoi je vous supplie de m’entendre: c’est que j’ai découvert ceci: l’aigle peut devenir très beau. — Or chacun de vous a un aigle; je viens de bien vous l’affirmer. Un aigle? — Hélas! vautour peut-être!... non, non! pas de vautour, Messieurs! — Messieurs, il faut avoir un aigle...

Et maintenant je touche à la grave question: — pourquoi l’aigle?... Ah! pourquoi? — qu’il le dise. Voici le mien, Messieurs; je vous l’apporte... Aigle! répondras-tu, maintenant?...

Anxieux, Prométhée se tournait vers son aigle. L’aigle était immobile et demeura silencieux... Prométhée reprit d’une voix désolée:

— Messieurs, j’ai vainement interrogé mon aigle... Aigle! parle à présent: tous t’écoutent... Qui t’envoie? — Pourquoi m’as-tu choisi? D’où viens-tu? Où vas-tu? Dis: quelle est ta nature?... (L’aigle restait silencieux.) — Non, rien! pas un mot! pas un cri! — Je pensais qu’il allait vous parler, à vous autres; voilà pourquoi je l’amenais... Parlerai-je donc seul, ici? — Tout se tait! tout se tait! — Qu’est-ce à dire?... J’ai vainement interrogé.

Puis se tournant vers l’assemblée:

Oh! j’espérais, Messieurs, que vous alliez aimer mon aigle, que votre amour allait donner nue raison d’être à sa beauté. — Voilà pourquoi je me livrais à lui, le gonflais du sang de mou âme... mais je vois que je suis seul à l’admirer... Oh! ne vous suffit-il pas qu’il soit beau? — ou me contestez-vous sa beauté? Regardez-le du moins... moi je n’ai vécu pour rien d’autre — et maintenant je vous l’apporte: le voici! — Moi, je vivais pour lui — mais lui, pourquoi vit-il! — Aigle! que j’ai nourri de mon sang, de mon âme, que de tout mon amour j ai caressé... (ici les sanglots interrompirent Prométhée) — devrai-je donc quitter la terre sans savoir pourquoi je t’aimais?ni ce que tu feras, ni ce que tu seras, après moi, sur la terre... sur la terre, j’ai vainement... j’ai vainement interrogé...

La phrase s’étranglait dans sa gorge; les larmes empêchaient sa voix de porter.

— Pardonnez-moi, Messieurs — reprit-il, un peu plus calme; — pardonnez-moi de vous dire des choses si graves; mais si j’en savais de plus graves, c’est celles-là que je dirais...

En sueur, Prométhée s’épongea, but une gorgée d’eau, ajouta:

FIN DU DISCOURS DE TROMÉTllÉE

— Ce n’est que jusqu’ici que j’ai préparé...

... A ces mots il se fit un grand remous dans la salle; plusieurs qui s’ennuyaient trop voulaient sortir.

— Messieurs, s'écria Prométhée, —je vous en supplie, demeurez; ce ne sera plus très long-; mais le plus important reste à dire, si je ne vous ai pas encore persuadés... Messieurs! — de grâce... Allons! vite: quelques fusées; et je garde les plus riches pour la fin...

— Messieurs! rasseyez-vous, par pitié; regardez: croyez-vous que j’économise: j’en allume G à la fois. — D’ailleurs, garçon, faites fermer les portes.

Les fusées firent assez bon effet. Presque tous ceux qui s’étaient levés se rassirent.

— Mais maintenant où en étais-je? reprit Prométhée. — Je comptais sur l’élan acquis; votre mouvement l’a rompu...

— Allons, tant mieux, cria quelqu’un.

— Ah! je sais... continua Prométhée — je voulais vous dire encore...

— Assez! Assez!! — cria-t-on de toutes parts.

... Qu’il vous fallait aimer votre aigle.

Quelques « pourquoi » ironiques s’élevèrent.

— J’entends, Messieurs, qu’on me demande « pourquoi »: je réponds: parce qu’alors il deviendra beau.

— Mais si nous en devenons laids.

— Messieurs, ce que j’apporte ici, ce ne sont pas des paroles d’intérêt...

— On le voit bien.

— Ce sont des paroles de dévouement, Messieurs, il fautse dévouera son aigle... (Agitation; beaucoup se lèvent). Messieurs! ne vous levez donc pas: je vais faire des personnalités... Inutile de rappeler ici l’histoire de Coclès et de Damoclès. Vous tous ici la connaissez; eh bien! je le leur dis en face: le secret de leur vie est dans le dévouement à leur dette; toi, Coclès, à ta gifle; toi, Damoclès, à ton billet. Coclès, il te fallait creuser ta cicatrice et ton orbite vide,ô Coclès; toi, Damoelès, garder tes cinq cents francs, continuer de les devoir sans honte, d’en devoir plus encore, de devoir avec joie. Voilà votre aigle à vous; il en estd’autres; il en est de plus glorieux. Mais je vous dis ceci-.l’aigle, de toute façon, nous dévore, vice ou vertu, devoir ou passion, cessez d’être quelconque, et vous n’y échapperez pas. Riais...

(Ici la voix de Prométhée disparut presque dans le tumulte) — mais si vous ne repaissez pas avec amour votre aigle, il restera gris, misérable, invisible à tous et sournois; c’est lui qu’alors on appellera conscience, indigne des tourments qu’il cause; sans beauté. — Messieurs, il faut aimer son aigle, l’aimer pour qu’il devienne beau; car c’est parce qu’il sera beau que vous devez aimer votre aigle.. A présent j’ai fini, Messieurs, mon aigle va faire la quête; Messieurs, il faut aimer mon aigle. — Cependant je lance quelques fusées............

Grâce à la diversion pyrotechnique, la réunion s’acheva sans trop d’encombre; mais Damoclès prit froid en sortant de la salle.

Oeuvres complètes de André Gide: Romans

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