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II

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Ne l’ayant pas connu nous-mêmes, nous nous sommes promis de ne parler que peu de Zeus, l’ami du garçon.

Rapportons simplement ces quelques phrases.

INTERVIEW DU MIGLIONNAIRE

Le garçon: — N’est-ce pas que vous êtes très riche?

Le Millionnaire, à demi tourné vers Prométhée: —Je suis riche bien plus que l’on no peut imaginer. Tu es à moi; il esta moi; tout est à moi. — Vous me crovez banquier;jcsuis bien autre chose. Mon action sur Paris est cachée, mais n’est pas moins considérable. Elle est cachée parce que je ne la poursuis pas. Oui, j’ai surtout l’esprit d’initiative. Je lance. Puis, une fois une affaire lancée, je la laisse; je n’y touche plus.

Le Garçon: — N’est-ce pas que vos actions sont gratuites?

Le Miglionnaire: — Moi seul, celui-là seul dont la fortune est infinie peut agir avec un désintéressement absolu; l’homme pas. Delà vient mon amour du jeu; non pas du gain, comprenez-moi — du jeu; que pourrais-je gagner que je n’aie pas d’avance? Le temps môme... Savez-vous quel âge j’ai?

Prométhée et le garçon: — Monsieur paraît encore jeune.

Le Miglionnaire: Donc ne m’interrompez pas, Prométhée. — Oui, j’ai la passion du jeu. Mon jeu c’est de prêter aux hommes. — Je prête, mais c’est en me jouant. Je prête, mais c’est à fonds perdus; je prête, mais c’est avec l’air de donner. — J’aime qu’on ne sache pas que je prête. Je joue, mais je cache mon jeu. J’expérimente; je joue comme un Hollandais sème; comme il plante un secret oignon; ce que je prête aux hommes, cc que je plante en l’homme, je m’amuse à ce que cela pousse; je m’amuse à le voir pousser. L’homme sans quoi serait si vide! — Laissez-moi vous narrer ma plus récente expérience. Vous m’aiderez à l’observer. Ecoutez-moi d’abord, vous comprendrez ensuite. Vous comprendrez.

Je suis descendu dans la rue, cherchant le moyen de faire souffrir quelqu'un du don que j’allais faire à quelque autre; de faire jouir cet autre du mal que j’allais faire à cet un. Une gifle et un billet de 5oo francs me suffisent. A l’un la gifle, à l’autre le billet. Est-ce clair? Ce qui l’est moins, c’est la façon de les donner.

— Je la connais,interrompit Prométhée.

— Eli quoi! vous connaissez, dit Zeus.

— J’ai rencontré Damoclès et Coclès; c'est d’eux précisément que je viens vous parler: — Damoclès vous cherche et vous appelle; il s’inquiète; il est malade; — par pitié, montrez-vous à lui.

— Monsieur, brisons là— dit Zeus — je n’aide conseils à recevoir de personne.

— Qu’est-ce que je vous disais, dit le garçon.

Prométhée s’en allait, mais brusquement se ravisant encore: Monsieur, pardonnez-moi. Excusez une indiscrète demande. Oh! montrez-le, je vous en prie! J’aimerais tant le voir...

— Quoi?

— Votre aigle.

— Mais je n’ai pas d’aigle, Monsieur.

— Pas d’aigle? Il n’a pas d’aigle!! Mais...

— Pas plus que dans le creux de ma main. Les aigles(et Zeus riait), lesaigles, c’est moi qui les donne.

La stupeur de Prométhée était grande.

— Savez-vous ce qu’on dit? demanda le garçon au banquier.

— Qu’est-cc qu’on dit?

— Que vous êtes le bon Dieu!

— Je me le suis laissé dire, fit l’autre,

Oeuvres complètes de André Gide: Romans

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