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III

Table des matières

Prométhée alla voir Damoelès; puis l’alla voir souvent. Il ne lui parlait pas chaque fois; mais du moins le garçon lui donnait des nouvelles. Un jour il emmena Coclès.

Le garçon les reçut.

— Eh bien! comment va-t-il? demanda Prométhée..

— Mal. Très mal, répondit le g’arçon. Depuis trois jours le malheureux n’a rien pu prendre. Le sort de son billet le tourmente; il le cherche partout et ne le revoit nulle part; il croit qu’il l’a mangé, se purge et pense le trouver clans scs selles. Lorsque la raison lui revient, qu'il se souvient de l’aventure, c’est pour se désoler encore plus. Il vous en veut à vous, Coclès, parce qu’il prétend que vous compliquez sa dette cl qu'il ne s’y reconnaît plus. La plupart du temps, il délire. La nuit nous sommes trois à veiller, mais il fait des bonds sur son lit, qui nous empêchent de dormir.

— Est-ce qu’on peut le voir? dit Coclès.

— Oui, mais vous le trouverez changé. L’inquiétude le dévore. Il est maigri, maigri, maigri. Le reconnaîtrez-vous seulement? — Et lui, vous reconnaîtra-t-il?

— Sur la pointe des piedsils entrèrent.

LES DERNIERS JOURS DE DAMOCLES

La chambre à coucher de Damoelès était empuantie par les remèdes. Elle était basse de plafond et très étroite. Elle était éclairée lugubrement'par deux veilleuses. Dans une alcôve, sous un amas affreux de couvertures, on voyait confusément Damoelès s’agiter. Il s’adressait à quelqu’un au hasard, bien qu’il ne fût écouté de personne; sa voix était rauque et voilée. Pleins d’horreur, Prométhée et Coclès se regardèrent; lui, ne les entendant pas approcher, continua, comme s’il était seul,son histoire:

— Et de ce jour-là, disait-il, il me sembla tout à la fois et que ma vie prenait un sens, et que je ne pouvais plus vivre! Ces cinq cents francs, haïs, exécrés, je croyais les devoir à tous et n’osais les donner à aucun — j’en aurais privé tous les autres. Je ne songeais qu’à m’en débarrasser — mais où? — La caisse d’épargne! c’était là grossir mon ennui; ma dette s’aggravait de tous les intérêts de ma dette; et l’idée d’autre part de laisser stagner cette somme m’était intolérable; de sorte que je croyais devoir faire circuler cette somme; je la portais toujours sur moi; régulièrement tous les huit jours je changeais le billet contre des pièces,les pièces contre un autre billet. On ne perd ni ne gagne au change; c’est une folie circulaire, simplement.

Et s’ajoutait à cela cette torture: c’est grâce à la gifle d’un autre que je tiens là ces cinq cents francs!

Un jour, vous le savez, je vous rencontre au restaurant...

— C’est de vous qu’il parle, dit le garçon .

— L’aigle de Prométhée brise une devanture, crève l’œil de Coclès... Sauvé!! — Gratuitement, fortuitement, providentiellement, vais-je glisser ma somme dans l’interstiec de ces événements. Plus de dette! Sauvé! — Ah! Messieurs! quelle erreur... C’est de ce jour que j’agonise. Comment vous expliquer ceci? Comprendrez-vous jamais mon angoisse? Ces cinq cents francs, je les dois toujours et je ne les possède môme plus!

J’ai tenté lâchement de me débarrasser de ma dette, mais je ne l'ai pas acquittée. Dans les cauchemars de mes nuits, je me réveille en sueur, m'agenouille, crie à voix haute: « Seigneur! Seigneur! à qui devais-je? — Seigneur! à qui devais-je? » Je n'en sais rien, mais je devais. — Le devoir, Messieurs, c'est une chose horrible; moi, j'ai pris le parti d’en mourir.

Et maintenant ce qui me tourmente le plus, c’est que cette dette, je vous l'ai passée: à toi Coclès... Coclès! il ne t'appartient pas, ton œil, puisque ne m'appartenait pas la somme avec quoi je te l’ai donné. « Qu’as-tu donc que tu n’aies reçu », dit l’Ecriture... reçu de qui? de qui?? de Qui?? — Ma détresse est intolérable.

La voix du malheureux se hachait, se mouillait, s’étranglait dans les hoquets, dans les sanglots et dans les larmes. Anxieux, Prométhée et Coclès écoutaient; ils s’étaient pris la main et tremblaient. Damoclès disait, paraissant les voir:

— Le devoir est horrible, Messieurs..., mais combien plus horrible le remords d’avoir voulu se décharger d'un devoir... Comme si pouvait exister moins la dette puur être endossée par un autre... — Mais ton œil te brûle, Coclès! — Coclès!! j’cn suis sur, il te brûle, ton œil de verre; arrache-le! — S’il ne te brûle pas, il devrait le brûler. — Mais il n'est pas à toi, ton œil... Et s’il n’est pas à loi, il est donc à ton frère... il est à qui? à qui?? à Qui?? —

Le malheureux pleurait; il perdait tète et forces; parfois fixait Coclès et Prométhée, semblait les reconnaître et leur criait:

— Mais comprenez-moi donc, parpilié! La pitié que je réclame de vous ce n'est pas une compresse sur mon front, un bol d’eau fraîche, une lisane; c’cst de me comprendre. Aidez-moi donc à me comprendre, par pilié! — J’ai ceci, qui m’est venu je ne sais d’où et que je doiscà qui? à qui?? à Qui?? — et pour cesser un jour de le devoir, croyant le pouvoir, je vais avec ceci faire des dons aux autres! Aux autres!! — à Coclès, la charité d’un œil!! mais il n’est pas à toi cet œil, Coclès! Coclès!! rends-le. Rends-le à qui? à qui? à Qui??

— N’y tenant plus, Coclès et Prométhée sortirent.

Oeuvres complètes de André Gide: Romans

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