Читать книгу Kurze Formen in der Sprache / Formes brèves de la langue - Anne-Laure Daux-Combaudon - Страница 33

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3 Quand la brièveté est fonctionnelle et rapide chez les linguistes

3.1 La valorisation dans le discours institutionnel

Les linguistes jugent de la brièveté en soupesant le rapport et l’équilibre entre les signifiants et les signifiés, comme I. Behr, qui, dans un article sur les propos oraux se complétant les uns les autres, estimait que cette économie était plus matérielle qu’opérationelle et devait être localisée au seul plan matériel1. Sous-jacente est l’idée qu’à un signifiant court peuvent correspondre des opérations longues en signifié, et qu’un locuteur bref nécessite un interlocuteur coopératif. L’économie de matériau langagier ne signifie pas économie de difficultés, car le bref, s’il sous-entend, démotive2, et contrecarre la facilitation cognitive attendue. On attend en effet quelque chose du bref, dont l’utilité potentielle devient principe d’explication : elle répondrait à un besoin, comme dans la Grammaire des fautes de Frei (1929), qui fait varier la langue en expressivité suivant les besoins ressentis par les sujets parlants face à ce qu’il appelle les déficits du français standard. Au nombre de ces besoins universaux du langage, le besoin de brièveté compte les phénomènes de brachysémie ou brièveté sémantique, mais aussi les représentants (pronoms personnels) ou les ellipses, dites répondre à un « besoin fort » :

 (7) Le besoin d’économie exige que la parole soit rapide, qu’elle se déroule et soit comprise dans le minimum de temps. De là les abréviations, les raccourcis, les sous-entendus, les ellipses, etc., que la langue parlée présente en si grand nombre. (Frei 1929 : 28)

 (8) L’économie linguistique se manifeste sous deux aspects opposés, selon qu’on la considère dans l’axe du discours ou dans celui de la mémoire. Le besoin de brièveté, ou économie discursive, cherche à abréger autant que possible la longueur et le nombre des éléments dont l’agencement forme la chaîne parlée. (Frei 1929 : 107)

La grammaticographie germanophone montre également ces valorisations du moindre nombre de mots pour réaliser soi-disant la même chose.J. Macheiner (1991 : 341–342) loue par exemple l’économie par l’infinitif d’une conjonction telle que dass, du sujet, et de la forme personnelle du verbe. La remarque sur la forme verbale est fausse dans la mesure où le morphème de l’infinitif compte autant de lettres que celui de la plupart des terminaisons de conjugaison. Cela n’empêche pas l’auteure de multiplier les jugements sur l’économie que réaliserait l’infinitif par ses raccourcis de structures : strukturelle Verkürzung, strukturelle Verdichtungen (Macheiner 1991 : 341, 342). La condensation de forme (Verdichtung) est au service d’un plus grand espace d’interprétation, dont le flou est caractérisé positivement (willkommene semantische Freizügigkeit) :

 (9) Dans la mesure où l’infinitif évite entre autres l’indication du mode, il laisse la modalité de la phrase non spécifiée. Son principe d’économie est ainsi au service d’une générosité sémantique bienvenue3.

On lit dans ces jugements l’implicite valorisation de la réduction par rapport au déroulé paraphrastique, une vision de la brièveté textuelle comme condensation au sens chimique du terme, condensation de la pierre philosophale et imaginaire du petit précieux. Ce topos, indéterminable du point de vue de la vérité, dépend des options intellectuelles et esthétiques du scripteur, comme ici la liberté de l’individu à interpréter.

3.2 L’économie linguistique comme principe d’évolution

Au-delà des rêveries épilinguistiques, la brièveté est économie pour la théorie du changement langagier. Que l’on regarde les termes utilisés par Paul dans ses Prinzipien der Sprachgeschichte, § 218 :

 (10) L’utilisation, tantôt économe, tantôt plus généreuse des moyens langagiers pour l’expression d’une idée dépend du besoin. On ne peut certes pas nier qu’il en soit fait parfois un usage dispendieux. Mais, dans l’ensemble, c’est plutôt une forme de principe d’économie qui caractérise l’usage langagier1.

L’historiolinguistique, quand elle manie la notion d’économie linguistique, est traversée par l’idée qu’une recherche de la commodité par un locuteur indolent, voire paresseux, lui ferait rechercher le mot plus petit, la phrase plus courte, le phonème abrasé parce que moins fatiguant à articuler, car :

 (11) L’évolution linguistique peut être conçue comme régie par l’antinomie permanente entre les besoins communicatifs de l’homme et sa tendance à réduire au minimum son activité mentale et physique. (Martinet 1961 : 182)

Cette idée d’effort à réaliser pour faire long au lieu de court, qu’il s’agisse d’un effort articulatoire (physikalischer Aufwand, Siever 2011 : 1) ou d’un effort mental de décodage, sous-tend une expression telle que :

 (12) libérer les formes de leur surplus pondéral2.

Une pareille formulation repose sur l’idée d’une fatigue et d’une difficulté liée à la parole ou à l’écriture, et suggère d’en réduire la production quantitative, afin de s’épargner. Cette vision économiste de la langue conduit à des calculs de gain linguistique sous la forme de pourcentages comme l’économie de 57 % des graphèmes par réduction des composés à un mot central (Siever 2011 : 386). Elle est sous-tendue par la représentation que la parole serait une quantité finie dont il faudrait économiser la dépense énergétique (alors qu’elle est renouvelable…). Les mots axiologiquement positifs sont en rapport avec la faible quantité, überschaubar, geringe Zahl, Vereinfachung, Entlastung, titres de sous-parties chez Siever (2011 : 8–9). L’idéal est celui de la compression.

L’analogie entre la langue et un moyen technique qui, comme chaque outil, peut être délibérément amélioré, est une rêverie fréquente de linguiste. La dimension brève est valorisée épistémologiquement dans le changement linguistique, ce que révèle un terme comme celui d’optimisation. Une explication circulaire montre que l’impression première n’est pas problématisée :

 (13) L’économie langagière sert d’hyperonyme à l’optimisation linguistique, qui s’essaye à améliorer la langue. Les variables ‘effort’ et ‘résultat’ y sont de première importance, et peuvent se mesurer avec les notions d’‘efficacité’ et d’‘efficience’3.

Une telle valorisation relève d’une psychanalyse des attitudes des linguistes, dans lesquelles le temps serait un bien à économiser parce que trop rare. Il est logique alors qu’à la brièveté s’associe l’idée de rapidité tandis que la longue durée au sens de Braudel serait la caractéristique des morceaux longs. C’est ainsi que Fritz vante les textes courts en modèle textuel pour la communication scientifique en établissant un lien entre le format bref du texte et la rapidité de publication. En citant quelques revues électroniques spécialisées dans les formats courts comme la revue snippets de langue anglaise (qui veut dire Schnipsel, soit rognure, petit morceau), Fritz explique que l’urgence à publier, intrinsèquement liée à la reconnaissance de la priorité de la découverte essentielle à la science contemporaine globalisée, exigerait ces communications brèves (Fritz 2016 : 94). Par l’intermédiaire de textes plus courts, on accélérerait, et donc optimiserait la communication scientifique, alors que les rares études cherchant à vérifier l’impact de la modernisation de la forme sur la diffusion du savoir concluent à l’effet contraire (Münch 2007 : 273, 337). À nouveau, la réflexion qui sous-tend la présupposition de Fritz est que l’énoncé court et l’énoncé long diraient effectivement la même chose, seraient donc synonymes. Cela relève d’une conception exclusivement cybernétique de la communication, celle d’une information factuelle ou logique qui parvient au récepteur sans valeur, sans connotation, ni réseau sémantique associé dans la cognition. Les réflexions métalangagières sont uniquement quantitatives et tangibles, et non qualitatives et inférentes.

Conclusion

La qualité attribuée à la brièveté relève d’une bipolarisation entre le positif et le négatif. Les auteurs légitiment la supériorité de la parole brève et son imaginaire positif par des arguments tels qu’une plus grande rapidité de dénotation : la formule brève ou le mot court permettraient de réaliser cet idéal d’univocité maximale, effet qui serait d’autant mieux réalisé qu’on a affaire à une quantité réduite de signifiants. Les exemples illustrent le jugement épi- et métalinguistique d’une progression qualitative, en urbanité, en esthétique, en moyens matériels et humains par une économie de signes. La raison en serait-elle à chercher dans le cours du monde et la lutte contre l’infobésité contemporaine, comme le suggère Siever (2011 : 13) ?

Non : les raisons invoquées sont difficiles à justifier objectivement, et cet imaginaire découle d’une idéologie positiviste qui fusionne les mots avec les choses, découlant d’une vision instrumentale de la langue. C’est ainsi que dans l’imaginaire langagier franco-allemand, la brièveté est polie, belle, et efficace.

Kurze Formen in der Sprache / Formes brèves de la langue

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