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CHAPITRE XVII
ОглавлениеDe l’instant ; identité et diversité constantes de l’instant ; idée qu’il faut s’en faire ; rapport de l’instant et du temps ; on ne peut les concevoir l’un sans l’autre ; c’est l’instant qui fait que le temps est continu et divisible, sans être d’ailleurs une partie du temps ; il est au temps comme un point est à la ligne.
De même que le mouvement est perpétuellement et perpétuellement autre, de même le temps l’est ainsi que lui, bien que le temps dans son ensemble soit éternellement le même ; car l’instant d’à présent est identiquement le même que celui qui était auparavant ; seulement son être est différent ; et c’est l’instant qui mesure le temps, en tant qu’il est antérieur et postérieur.
Ainsi, en un sens, l’instant est le même ; et, en un autre sens, il n’est pas le même. En effet, il est autre en tant qu’il est dans un certain temps et dans un autre temps, et c’était là précisément la condition inévitable de l’instant. Mais en tant qu’il est ce qu’il était dans un temps donné, il est identique ; car le mouvement, ainsi que je viens de le dire, suppose toujours la grandeur, et le temps, je le répète, suppose toujours aussi le mouvement ; de même que le corps qui se meut, le mobile qui nous fait connaître le temps, et dans le temps l’antérieur et le postérieur, suppose aussi le point. Or, ce mobile est bien à un moment donné tout à fait le même, que ce soit d’ailleurs un point, une pierre ou telle autre chose ; mais, rationnellement, il est différent. Cela, du reste, rappelle l’assertion des Sophistes qui prétendent que Coriscus dans le Lycée est autre que Coriscus dans la place publique ; et il faut reconnaître qu’il est autre, en ce sens qu’il est d’abord dans tel lieu, puis ensuite dans tel lieu différent. Mais l’instant est corrélatif au corps qui se meut, comme le temps est corrélatif au mouvement, puisque c’est par le corps qui se meut que nous percevons l’antérieur et le postérieur dans le mouvement ; et que c’est en tant que l’antérieur et le postérieur sont susceptibles d’être nombrés que l’instant existe. C’est là, sans contredit, l’idée la plus claire que l’on puisse se faire du temps. On perçoit le mouvement par le corps qui se meut, et le déplacement par le corps déplacé ; car ce corps qui est déplacé est matériellement quelque chose de réel et de distinct, tandis que le mouvement lui-même ne l’est pas. Ainsi, ce qu’on appelle l’instant est en un sens toujours identique et le même, et, en un autre sens il ne l’est pas ; et il en est de même du corps qui se déplace.
Il est clair d’ailleurs que s’il n’y avait pas de temps, il n’y aurait pas non plus d’instant ; et, réciproquement, s’il n’y avait point d’instant, il n’y aurait pas non plus de temps. Ils sont tous deux simultanés ; et de même que le déplacement et le corps déplacé sont simultanés, de même aussi le nombre du corps déplacé et le nombre du déplacement sont simultanés également ; car le temps est le nombre du déplacement ; et l’instant, ainsi que le corps déplacé, est en quelque sorte l’unité du nombre.
Il faut dire encore que c’est par l’instant que le temps est continu, et que c’est aussi par l’instant que le temps se divise. Du reste, cette propriété se retrouve dans le déplacement et le corps déplacé ; car le mouvement est un, ainsi que le déplacement, pour le corps déplacé, parce que ce corps est un et n’est pas tel autre corps quelconque ; car alors il pourrait y avoir une lacune clans le mouvement. Mais il est autre rationnellement, puisque c’est lui qui fixe et détermine l’antériorité et la postériorité du mouvement.
Cette propriété est aussi à certains égards celle du point ; car le point tout à la fois continue la longueur et la termine. Il est le commencement de telle longueur et la fin de telle autre.
Mais lorsque l’on prend le point qui est un, de telle manière qu’on le considère comme s’il était deux, alors il faut nécessairement un temps d’arrêt, puisque le même point est à la fois commencement et fin. Quant à l’instant, il est toujours autre, parce que le corps qui se déplace se ment d’une manière continue.
Ainsi, le temps est un nombre, non comme étant le nombre d’un seul et même point, parce qu’il serait tout ensemble commencement et fin, mais bien plutôt comme étant les extrémités et non pas les parties d’une même ligne. On vient d’en expliquer la raison : c’est que le milieu de la ligne peut être considéré comme double ; et qu’en ce point, le corps se trouvera nécessairement en repos. Mais il est clair en outre que l’instant n’est pas une portion du temps ; pas plus que la division du mouvement n’est une partie du mouvement ; pas plus que les points ne sont une partie de la ligne, tandis que les lignes, quand elles sont deux, sont des parties d’une même ligne unique.
Ainsi, en tant que l’instant est une limite, il n’est pas du temps ; et il n’est qu’un simple accident du temps. Mais en tant qu’il sert à nombrer les choses, il est nombre ; car les limites ne sont absolument qu’à la chose dont elles sont les limites, tandis que le nombre, par exemple le nombre dix, qui sert à compter ces dix chevaux qu’on regarde, peut tout aussi bien se retrouver ailleurs et compter autre chose.