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CHAPITRE IV
ОглавлениеL’espace est le lieu absolu où sont les choses ; Platon dans le Timée, a tort de confondre la matière et le lieu. L’espace n’est ni la matière ni la forme des choses.
De même que l’être peut être considéré ou en soi, ou relativement à un autre être, de même l’espace, dans son acception commune, est celui où sont tous les corps que nous voyons ; mais dans son acception propre, c’est celui où ils sont primitivement. Je m’explique. Par exemple, vous êtes actuellement dans le ciel, puisque vous êtes dans l’air, et que l’air est dans le ciel ; et vous êtes dans l’air, puisque vous êtes sur la terre ; et semblablement, vous êtes sur la terre, parce que vous êtes dans tel lieu de la terre qui ne renferme absolument plus rien que vous.
Si donc l’espace est ce qui, primitivement, renferme chacun des corps, il est une limite ; et, par suite, le lieu pourrait être considéré comme la forme et la figure de chaque chose, qui détermine la grandeur et la matière de la grandeur ; car la forme est la limite de chaque corps. Donc à ce point de vue, l’espace, le lieu, est la forme des choses.
Mais en tant que l’espace semble aussi la dimension et l’étendue de la grandeur, on le prendrait pour la matière des choses ; car la matière est différente de la grandeur même, et elle est ce qui est enveloppé par la forme et ce qui est déterminé par la surface et par la limite. Or, c’est là précisément ce qu’est la matière et l’indéterminé ; car si vous enlevez à une sphère sa limite et ses diverses conditions, il ne reste plus rien que la matière qui la composé une limite. - Si vous enlevez, rationnellement plutôt encore que réellement.
Aussi Platon n’hésite-t-il pas dans le Timée, à identifier la matière des choses et la place des choses ; car le récipient, capable de participer à la forme, et la place des choses, c’est tout un pour lui. Bien que Platon, dans ce même traité, emploie ce mot de récipient en un autre sens qu’il ne le fait dans ce qu’on appelle ses Doctrines non écrites, cependant il a confondu l’espace et la place des choses. Ainsi, pendant que tous les autres philosophes se contentent d’affirmer simplement l’existence de l’espace, Platon est le seul qui ait essayé d’en préciser la nature.
À s’en tenir à ces considérations, il pourrait paraître difficile de se rendre compte de ce qu’est exactement l’espace, si on le prend indifféremment ou pour la matière on pour la forme des choses ; car il n’y a guère de recherche plus haute que celle-là ; et il n’est pas aisé de comprendre la matière et la forme isolément l’une de l’autre.
Voici toutefois ce qui fera voir sans trop de peine que l’espace ne peut être ni la matière ni la forme : c’est que la forme et la matière ne se séparent jamais de la chose, tandis que le lieu, l’espace peut en être séparé. Là où il y avait de l’air vient plus tard de l’eau, ainsi que je l’ai dit, l’air et l’eau permutant l’un et l’autre de place, comme peuvent aussi le faire bien d’autres corps.
Par conséquent, l’espace n’est ni une partie, ni une dualité des choses, et il est séparable de chacune d’elles.
L’espace nous apparaît donc comme jouant en quelque sorte le rôle de vase ; car le vase est, on peut dire, un espace transportable ; et le vase n’est rien de la chose qu’il contient.
Ainsi, l’espace, en tant qu’il est séparé de la chose, n’en est pas la forme ; et en tant qu’il embrasse les choses, il est tout différent de la matière.
Mais il semble bien que ce qui est quelque part est toujours lui-même quelque chose de réel, et que toujours aussi il y a quelqu’autre chose en dehors de lui.
Cependant, Platon aurait bien dû dire, si l’on nous permet cette digression, pourquoi les Idées et les nombres ne sont pas dans l’espace, puisque selon lui le récipient c’est l’espace, que d’ailleurs ce récipient qui participe aux Idées soit le grand et le petit, ou qu’il soit la matière, comme Platon l’a dit dans le Timée.
En outre, comment un corps serait-il porté dans le lieu propre qui lui appartient, si l’espace était la matière ou la forme ? Car il est bien impossible qu’il y ait un lieu qui n’ait point de mouvement ni en haut ni en bas ; or, c’est dans les différences de ce genre qu’il faut chercher l’espace.
Mais si l’espace est dans l’objet lui-même, et il le faut bien, si l’on en fait la forme ou la matière des choses, l’espace alors sera dans l’espace ; car la forme et l’indéterminé, c’est-à-dire la matière, changent et se meuvent en même temps que la chose, sans rester toujours dans le même lieu, mais allant où est aussi la chose ; et, par conséquent, il y aurait un espace pour l’espace, un lieu pour le lieu.
Enfin, il faudrait dire encore que, quand la place de l’air survient de l’eau, l’espace disparaît et périt, puisque le corps qui arrive n’est pas dans le même lieu. Mais qui pourrait comprendre cette destruction prétendue de l’espace ?
Voilà donc de quels arguments on peut tirer nécessairement la preuve que l’espace est réellement quelque chose, et conjecturer aussi quelle en est la nature essentielle.