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CHAPITRE VIII
ОглавлениеLa nature agit toujours en vue d’une fin ; intervention de la nécessité dans la nature ; objection ; hypothèse d’Empédocle sur les premiers êtres. Analogies de l’art et de la nature ; l’une et l’autre se proposent toujours une fin. La fin est manifeste dans les animaux ; elle l’est même dans les plantes. - Anomalie des monstres ; la nature se trompe comme l’art ; antériorité des germes. - Croire au hasard, c’est nier la nature ; le moteur n’en est pas moins réel pour être invisible.
D’abord, il faut bien expliquer comment la nature est une des causes qui agissent en vue d’une certaine fin ; puis ensuite, nous montrerons comment la nécessité entre pour une part dans les choses de la nature. C’est en effet à la nécessité que tous les philosophes ramènent la cause des phénomènes, quand, après avoir exposé ce que sont dans la nature le chaud, le froid ou tel autre fait de cet ordre, ils ajoutent que ces choses sont et se produisent de toute nécessité ; et même, quand ils ont l’air d’admettre une cause différente de celle-là, ils ne font que toucher cette autre cause et ils l’oublient aussitôt ; celui-ci, l’Amour et la Discorde ; et celui-là, l’Intelligence.
Mais ici l’on élève un doute. Qui empêche, dit-on, que la nature agisse sans avoir de but et sans chercher le mieux des choses ? Jupiter, par exemple, ne fait pas pleuvoir pour développer et nourrir le grain ; mais il pleut par une loi nécessaire ; car, en s’élevant, la vapeur doit se refroidir ; et la vapeur refroidie, devenant de l’eau, doit nécessairement retomber. Que si ce phénomène ayant lieu, le froment en profite pour germer et croître, c’est un simple accident. Et de même encore, si le grain que quelqu’un a mis en grange vient à s’y perdre par suite de la pluie, il ne pleut pas apparemment pour que le grain pourrisse ; et c’est un simple accident, s’il se perd. Qui empêche de dire également que dans la nature les organes corporels eux-mêmes sont soumis à la même loi, et que les dents, par exemple, poussent nécessairement, celles de devant, incisives et capables de déchirer les aliments, et les molaires, larges et propres à les broyer, bien que ce ne soit pas en vue de cette fonction qu’elles aient été faites, et que ce soit une simple coïncidence ? Qui empêche de faire la même remarque pour tous les organes où il semble qu’il y ait une fin et une destination spéciales ?
Ainsi donc, toutes les fois que les choses se produisent accidentellement comme elles se seraient produites en ayant un but, elles subsistent et se conservent, parce qu’elles ont pris spontanément la condition convenable ; mais celles où il en est autrement périssent ou ont péri, comme Empédocle le dit « de ses créatures bovines à proue humaine. »
Telle est l’objection qu’on élève et à laquelle reviennent toutes les autres.
Mais il est bien impossible que les choses se passent comme on le prétend. Ces organes des animaux dont on vient de parler, et toutes les choses que la nature présente à nos regards, sont ce qu’elles sont, ou dans tons les cas ou dans la majorité des cas ; mais il n’en est pas du tout ainsi pour rien de ce que produit le hasard, ou de ce qui se produit spontanément, d’une manière fortuite. On ne trouve point en effet que ce soit un hasard ni une chose accidentelle qu’il pleuve fréquemment en hiver ; mais c’est un hasard, au contraire, s’il pleut quand le soleil est dans la constellation du chien. Ce n’est pas davantage un hasard qu’il y ait de grandes chaleurs durant la canicule ; mais c’en est un qu’il y en ait en hiver. Si donc il faut que les phénomènes aient lieu soit par accident soit en vue d’une fin, et s’il n’est pas possible de dire que ces phénomènes sont accidentels ni fortuits, il est clair qu’ils ont lieu en vue d’une fin précise. Or, tous les faits de cet ordre sont dans la nature apparemment, comme en conviendraient ceux-là, même qui soutiennent ce système. Donc il y a un pourquoi, une fin à toutes les choses qui existent ou se produisent dans la nature.
J’ajoute que partout où il y a une fin, c’est pour cette fin qu’est fait tout ce qui la précède, l’antérieur, et tout ce qui le suit. Ainsi donc, telle est une chose quand elle est faite, telle est sa nature ; et telle elle est par sa nature, telle elle est quand elle est faite, toutes les fois que rien ne s’y oppose. Or, elle est faite en vue d’une certaine fin ; donc elle a cette fin par sa nature propre. En supposant qu’une maison fût une chose que fit la nature, la maison serait par le fait de la nature ce qu’elle est aujourd’hui par le fait de l’art ; et si les choses naturelles pouvaient venir de l’art aussi bien qu’elles viennent de la nature, l’art les ferait précisément ce que la nature les fait ; donc l’un est fait pour l’autre. En général, on peut dire que tantôt l’art fait des choses que la nature ne saurait faire, et tantôt qu’il imite la nature. Or, si les choses de l’art ont un pourquoi et une fin, il est de toute évidence que les choses de la nature doivent en avoir une également. D’ailleurs, dans les produits de l’art et dans les produits de la nature, les faits postérieurs sont avec les faits antérieurs dans une relation toute pareille.
Ceci est surtout manifeste dans les animaux autres que l’homme, qui ne font ce qu’ils font ni suivant les règles de l’art, ni après étude, ni par réflexion ; et delà vient que l’on s’est parfois demandé si les araignées, les fourmis et tous les êtres de ce genre n’exécutent pas leurs travaux à l’aide de l’intelligence ou d’une autre faculté non moins haute. En faisant quelques pas de plus sur cette route, on voit que dans les plantes elles-mêmes se produisent les conditions qui concourent à leur fin ; et que, par exemple, les feuilles sont faites pour garantir le fruit. Si donc c’est par une loi de la nature, si c’est en vue d’une fin précise que l’hirondelle fait son nid, et l’araignée sa toile, que les plantes portent leurs feuilles, et qu’elles poussent leurs racines en bas et non en haut pour se nourrir, il est clair qu’il y a une cause du même ordre pour toutes les choses qui existent, ou qui se produisent, dans fa nature entière.
Mais la nature peut se comprendre en un double sens : d’une part, comme matière ; et d’autre part, connue forme. Or, la forme étant une fin, et tout le reste s’ordonnant en vue de la fin et du but, on peut dire que fa forme est le pourquoi des choses et leur cause finale.
Mais il y a chance d’erreur même dans les productions de l’art ; et, par exemple, le grammairien peut faire une faute d’orthographe, ou le médecin peut donner une potion contraire. De même évidemment l’erreur peut se glisser aussi dans les êtres que produit la nature. Si dans le domaine de l’art, les choses qui réussissent sont faites en vue d’une certaine fin, et si dans les choses qui échouent, l’art a seulement fait effort pour atteindre le but qu’il se proposait sans y parvenir, il en est de même dans les choses naturelles ; et les monstres ne sont que des déviations de ce but vainement cherché. Ainsi donc, dans ces organisations primitives, les créatures bovines que nous rappelions tout à l’heure, si elles ne pouvaient arriver à un certain but et à une fin régulière, se produisaient par suite d’un principe corrompu, comme aujourd’hui les monstres se produisent par la perversion de la semence et du germe.
Encore faut-il nécessairement que le germe ait été le premier ; et les animaux n’ont pas pu naître tout d’un coup ; et c’est « la matière indigeste et universelle » dont on nous parle, qui a été le germe primitif.
Dans les plantes elles-mêmes, il y a bien aussi un pourquoi ; seulement, il est moins distinct ; et puisque dans les animaux il y avait « des créatures bovines à proue humaine, » pourquoi n’y aurait-il point eu dans les plantes « des espèces de vignes à proue d’olivier ? » Dit-on que c’est absurde ? Je ne le nie pas ; mais il fallait admettre des plantes de ce genre, puisqu’il y avait alors dans les animaux les anomalies qu’on prétend.
Enfin, il fallait aussi que la même confusion se retrouvât dans les germes.
Soutenir un pareil système, c’est nier toutes les choses naturelles ; c’est nier absolument la nature ; car on entend par choses naturelles toutes celles qui, mues continûment par un principe qui leur est intime, arrivent à une certaine fin. De chacun de ces principes, ne sort pas pour chaque espèce de chose un résultat identique, de même qu’il n’en sort pas un résultat arbitraire ; mais toujours le principe tend au même résultat, à moins d’obstacle qui l’arrête.
Mais, dit-on, le pourquoi des choses et le moyen employé en vue de ce pourquoi, peuvent venir aussi du hasard. Un hôte, pour citer cet exemple, est venu par hasard chez vous ; et il y a pris un bain, absolument comme s’il était venu tout exprès pour se baigner ainsi. Cependant ce n’est pas dans cette intention qu’il est venu, et ce n’a été qu’un hasard et un pur accident ; car le hasard, ainsi que nous l’avons dit plus haut, doit être rangé parmi les causes accidentelles. Mais quand c’est toujours ou du moins le plus ordinairement qu’une chose arrive, ce n’est plus ni par accident ni par hasard ; or, dans la nature, les choses se produisent éternellement de la même façon, si rien ne s’y oppose.
D’ailleurs il serait absurde de croire que les choses se produisent sans but, parce qu’on ne verrait pas le moteur délibérer son action. L’art non plus ne délibère point ; et si l’art des constructions navales était dans l’intérieur du bois, l’art agirait tout comme la nature. Par conséquent, si l’art se propose un but, la nature s’en propose un aussi ; et c’est ce qu’on peut voir manifestement, lorsque quelqu’un se sert à soi-même de médecin, image assez exacte des opérations de la nature.
Donc, en résumé, la nature est une cause évidemment, et une cause agissant en vue d’une fin.