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CHAPITRE XX
ОглавлениеDernières considérations sur le temps ; tout changement a lieu dans le temps. - Sens différents des mots antérieur et postérieur, selon qu’il s’agit du passé ou de l’avenir. - Rapport de la pensée au temps ; le temps existe-t-il sans l’âme qui le perçoit ? - Identité du temps ; ses rapports avec le mouvement et avec le nombre. - Fin de la théorie du temps
Après l’énumération que nous venons de faire, il est clair que nécessairement tout changement et tout mobile sont dans le temps ; car tout changement est ou plus rapide ou plus lent ; et c’est là ce qu’on peut observer dans tous les cas. Je dis d’une chose qu’elle se meut plus rapidement qu’une autre, quand elle change antérieurement à cette autre pour arriver à l’état qui est en question, tout en parcourant la même distance, et en étant douée d’un mouvement uniforme : par exemple, lorsque dans le mouvement de translation, les deux choses que l’on compare se meuvent circulairement, ou se meuvent en ligne droite ; et de même pour tout le reste. Mais Antérieurement est dans le temps ; et antérieur et postérieur ne se disent que par rapport à leur éloignement, de l’instant présent. Or, le présent, l’instant, est la limite du passé et de l’avenir. Par conséquent, le présent étant dans le temps, l’antérieur et le postérieur y seront aussi ; car là où est le présent, là est aussi l’éloignement par rapport au présent. Mais Antérieurement s’entend d’une manière inverse, selon qu’il s’agit du temps passé ou du temps futur. Ainsi dans le passé, nous appelons antérieur ce qui est le plus éloigné du présent, et postérieur ce qui s’en rapproche davantage. Pour le futur, au contraire, l’antérieur est ce qui est plus rapproché du présent ; le postérieur ce qui en est le plus loin. Donc, l’antérieur étant toujours dans le temps, et l’antérieur étant toujours aussi une conséquence du mouvement, il est clair que tout changement ou tout mouvement est dans le temps.
Une chose bien digne d’étude, c’est de rechercher quel est le rapport du temps à l’âme qui le perçoit, et comment il nous semble qu’ il y a du temps en toute chose, la terre, la mer et le ciel.
Est-ce parce que le temps est une propriété, ou un mode du mouvement, dont il est le nombre, et que toutes ces choses sont mobiles ? Car tout cela est dans l’espace ; et le temps et le mouvement coexistent toujours l’un à l’autre, soit en puissance soit en acte.
Mais si l’âme par hasard venait à cesser d’être, y aurait-il encore ou n’y aurait-il plus de temps ? C’est là une question qu’on peut se faire ; car lorsque l’être qui doit compter ne peut plus être, il est impossible également qu’il y ait encore quelque chose de comptable ; et par suite évidemment, il n’y a plus davantage de nombre ; car le nombre n’est que ce qui a été compté ou ce qui peut l’être. Mais s’il n’y a au monde que l’âme, et dans l’âme l’entendement, qui ait la faculté naturelle de compter, il est dés lors impossible que le temps soit, si l’âme n’est pas ; et par suite, le temps n’est plus dans cette hypothèse que ce qu’il est simplement en soi, si toutefois il se peut que le mouvement ait lieu sans l’âme. Mais l’antérieur et le postérieur sont dans le mouvement, et le temps n’est an fond que l’un et l’autre, en tant qu’ils sont numérables.
On peut encore se demander de quelle espèce de mouvement le temps est le nombre. Ou bien est-il le nombre d’un mouvement quelconque ? Ainsi c’est dans le temps que les choses naissent, périssent et s’accroissent ; c’est dans le temps qu’elles changent et qu’elles se meuvent. Le temps est donc le nombre de chacune de ces espèces de mouvement en tant que chacune d’elles est mouvement ; et voila comment d’une manière générale le temps est le nombre du mouvement continu, et non pas de telle espèce particulière de mouvement.
Mais il est possible que deux choses différentes se meuvent au même instant, et le temps alors serait le nombre de l’une et l’autre à la fois. Le temps dans ce cas est-il autre aussi ? Et est-il possible qu’il y ait deux temps égaux simultanément ? Ou bien n’est-ce pas chose impossible ? Le temps tout entier est un, semblable et simultané pour tout ; et même les temps qui ne sont pas simultanés n’en sont pas moins de la même espèce. C’est comme le nombre qui est bien toujours le même, qu’il s’agisse d’ailleurs ici de chiens et là de chevaux, si l’on veut, de part et d’autre au nombre de sept. Pareillement, le temps est ]e même pour des mouvements qui s’accomplissent ensemble. Seulement le mouvement est tantôt rapide, et tantôt il ne l’est pas ; tantôt il est un déplacement, et tantôt une simple altération de qualité. Mais pourtant c’est bien le même temps, puisque de part et d’autre, il est bien aussi le nombre égal et simultané et du déplacement et de l’altération. Ce qui fait que les mouvements sont différents et séparés, tandis que le temps demeure partout le même, c’est que le nombre reste partout un et le même pour des mouvements out des êtres égaux et simultanés.
Comme il existe un mouvement de translation, dont une espèce est la translation circulaire ; et comme toute chose se compte et se mesure par une seule et unique chose du même genre qu’elle, les unités par une unité, les chevaux par un cheval, etc. ; de même le temps se compte et se mesure par un certain temps déterminé ; et le temps, ainsi que nous l’avons déjà dit, se mesure par le mouvement et le mouvement par le temps ; c’est-à-dire que c’est par le temps d’un mouvement déterminé que se mesure la quantité et du mouvement et du temps.
Si donc le primitif est toujours la mesure de tons les objets homogènes, la translation circulaire, uniforme comme elle l’est, doit être la mesure par excellence, parce que son nombre est de tous le plus facile à connaître. L’altération, l’accroissement, la génération même n’ont rien d’uniforme ; il n’y a que la translation qui le soit.
Aussi ce qui fait que le temps a été pris pour le mouvement de la sphère, c’est que c’est là le mouvement qui mesure tous les autres, et qui mesure aussi le temps.
Ceci même explique et justifie le dicton ordinaire qui ne voit qu’un cercle dans les choses humaines, comme dans toutes les autres choses qui ont un mouvement naturel, et qui naissent et meurent. Cette opinion vient de ce que toutes ces choses sont appréciées d’après le temps, et qu’elles ont une fin et un commencement, comme si c’était par une sorte de période régulière. Or, le temps lui-même ne semble être qu’un cercle de certain genre ; et si à son tour, il a cette apparence, c’est qu’il est la mesure de cette translation circulaire ; et que réciproquement il est lui-même mesuré par elle. Par conséquent, dire que toutes les choses qui se produisent forment un cercle, revient à dire qu’il y a aussi une espèce de cercle pour le temps. En d’autres termes, c’est dire encore que le temps est mesuré par le mouvement de translation circulaire ; car, à côté de la mesure, l’objet mesuré ne paraît être dans sa totalité rien autre chose qu’un certain nombre accumulé de mesures.
D’ailleurs, on a bien raison de dire que le nombre est toujours le même d’une part pour les moutons, par exemple, et pour les chiens d’autre part, si le nombre de ces animaux est égal de part et d’autre ; mais que la dizaine n’est pas la même, non plus que les dix objets ne sont pas les mêmes. C’est absolument comme les triangles qui ne sont pas les mêmes, quand l’un est équilatéral et l’autre scalène. Cependant, la figure est bien la même, puisque tous deux sont des triangles. Car on dit d’une chose qu’elle est identique à une autre, quand elle n’en diffère point dans sa différence essentielle ; et elle cesse d’être identique, quand elle en diffère ainsi. Le triangle, par exemple, ne diffère d’un autre triangle que par une simple différence de triangle ; et il n’y a alors que les triangles qui soient différents. Mais ils ne diffèrent pas de figure, et tous deux sont dans une seule et même division de figures ; car telle figure est un cercle et telle autre figure est un triangle ; et dans le triangle, tel triangle est isocèle, taudis que tel autre est scalène. La ligure est donc la même ; et c’est telle figure, par exemple, un triangle ; mais le triangle n’est pas le même. C’est de cette façon que le nombre aussi est le même ; car le nombre des chiens ne diffère pas de celui des moutons par une différence de nombre ; seulement la dizaine n’est pas la même, parce que les objets auxquels elle s’applique sont différents entr’eux, ici des chiens et là des chevaux.
Nous terminons ici ce que nous avions à dire, et du temps considéré en lui-même, et de ceux de ses attributs qui appartiennent spécialement à cette étude.
FIN DU LIVRE IV