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§ H. Tout ce qui est relatif aux passions appartient à la vie organique.

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Mon objet n’est point ici de considérer les passions sous le rapport métaphysique. Qu’elles ne soient toutes que des modifications diverses d’une passion unique; que chacune tienne à un principe isolé, peu importe: remarquons seulement que beaucoup de médecins, en traitant de leur influence sur les phénomènes organiques, ne les ont point assez distinguées des sensations. Celles-ci en sont l’occasion, mais elles en diffèrent essentiellement.

La colère, la tristesse, la joie n’agiteroient pas, il est vrai, notre ame, si nous ne trouvions dans nos rapports avec les objets extérieurs, les causes qui les font naître. Il est vrai aussi que les sens sont les agens de ces rapports, qu’ils communiquent la cause des passions, mais ils ne participent nullement à l’effet; simples conducteurs dans ce cas, ils n’ont rien de commun avec les affections qu’ils produisent. Cela est si vrai, que toute espèce de sensations a son centre dans le cerveau, car toute sensation suppose l’impression et la perception. Ce sont les sens qui reçoivent l’impression, et le cerveau qui la perçoit; en sorte que là où l’action de cet organe est suspendue, toute sensation cesse. Au contraire, il n’est jamais affecté dans les passions; les organes de la vie interne en sont le siège unique.

Il est sans doute étonnant que les passions qui entrent essentiellement dans nos relations avec les êtres placés autour de nous, qui modifient à chaque instant ces relations, sans qui la vie animale ne seroit qu’une froide série de phénomènes intellectuels, qui animent, agrandissent, exaltent Sans cesse tous les phénomènes de cette vie; il est, dis-je, étonnant que les passions n’aient jamais leur terme ni leur origine dans ses divers organes; qu’au contraire les parties servant aux fonctions internes, soient constamment affectées par elles, et même les déterminent suivant l’état où elles se trouvent. Tel est cependant ce que la stricte observation nous prouve.

Je dis d’abord que l’effet de toute espèce de passion, constamment étranger à la vie animale, est de faire naître un changement, une altération quelconque dans la vie organique. La colère accélère les mouvemens de la circulation, multiplie, dans une proportion souvent incommensurable, l’effort du cœur; c’est sur la force, la rapidité du cours du sang, qu’elle porte son influence. Sans modifier autant la circulation, la joie la change cependant; elle en développe les phénomènes avec plus de plénitude, l’accélère légèrement, la détermine vers l’organe cutané. La crainte agit en sens inverse; elle est caractérisée par une foiblesse dans tout le système vasculaire, foiblesse qui, empêchant le sang d’arriver aux capillaires, détermine cette pâleur générale qu’on remarque alors sur l’habitude du corps, et en particulier à la face. L’effet de la tristesse, du chagrin est à peu près semblable.

Telle est même l’influence qu’exercent les passions sur les organes circulatoires, qu’elles vont, lorsque l’affection est très-vive, jusqu’à arrêter le jeu de ces organes: de là les syncopes dont le siége primitif est toujours, comme je le prouverai bientôt, dans le cœur, et non dans le cerveau, qui ne cesse alors d’agir que parce qu’il ne reçoit plus l’excitant nécessaire à son action. De là même la mort, effet quelquefois subit des émotions extrêmes; soit que ces émotions exaltent tellement les forces circulatoires, que, subitement épuisées, elles ne puissent se rétablir, comme dans la mort produire par un accès de colère; soit que, comme dans celle occasionnée par une violente douleur, les forces, tout à coup frappées d’une excessive débilité, ne puissent revenir à leur état ordinaire.

Si la cessation totale ou Instantanée de la circulation n’est pas déterminée par cette débilite, souvent les parties en conservent une impression durable, et deviennent consécutivement le siége de diverses lésions organiques. Desault avoit remarque que les maladies du cœur, les anévrismes de l’aorte se sont multipliés dans la révolution, à proportion des maux qu’elle a enfantés.

La respiration n’est pas dans une dépendance moins immédiate des passions: ces étouffemens, cette oppression, effet subit d’une douleur profonde, ne supposent-ils pas dans le poumon un changement notable, une altération soudaine? Dans cette longue suite de maladies chroniques ou d’affections aiguës, triste attribut du système pulmonaire, n’est-on pas souvent obligé de remonter aux passions du malade, pour trouver le principe de son mal?

L’impression vive ressentie au pylore dans les fortes émotions, l’empreinte ineffaçable qu’il en conserve quelquefois, et d’où naissent les squirres dont il est le siège, le sentiment de resserrement qu’on éprouve dans toute la région de l’estomac, au cardia en particulier; dans d’autres circonstances, les vomissemens spasmodiques qui succèdent quelquefois tout à coup à la perte d’un objet chéri, à la nouvelle d’un accident funeste, à toute espèce de trouble déterminé par les passions; l’interruption subite des phénomènes digestifs par une nouvelle agréable ou fâcheuse, les affections d’entrailles, les lésions organiques des intestins, de la rate, observées dans la mélancolie, l’hypocondrie, maladies que préparent et qu’accompagnent presque toujours de sombres affections, tout cela n’indique-t-il pas le lien étroit qui enchaîne à l’état des passions celui des viscères de la digestion?

Les organes secrétoires n’ont pas avec les affections de l’ame une moindre connexion. Une frayeur subite suspend le cours de la bile, et détermine la jaunisse; un accès de colère est l’origine fréquente d’une disposition, et même d’une fièvre bilieuse; les larmes coulent avec abondance dans le chagrin, dans la joie, quelquefois dans l’admiration; le pancréas est fréquemment malade dans l’hypocondrie, etc.

L’exhalation, l’absorption, la nutrition ne paroissent pas recevoir des passions une influence aussi directe que la circulation, la digestion, la respiration et les sécrétions; mais cela tient sans doute à ce que ces fonctions n’ont point, comme les autres, de foyers principaux, de viscères essentiels dont nous puissions comparer l’état avec celui ou se trouve l’ame. Leurs phénomènes généralement disséminés dans tous les organes, n’appartenant exclusivement à aucun, ne sauroient nous frapper aussi vivement que ceux dont l’effet est concentré dans un espace plus étroit.

Cependant les altérations qu’elles éprouvent alors ne sont pas moins réelles, et même au bout d’un certain temps elles deviennent apparentes. Comparez l’homme dont la douleur marque toutes les heures, à celui dont les jours se passent dans la paix du cœur et la tranquillité de rame, vous verrez quelle différence distingue la nutrition de l’un d’avec celle de l’autre.

Rapprochez le temps où toutes les passions sombres, la crainte, la tristesse, le désir de la vengeance, sembloient planer sur la France, de celui ou la sûreté, l’abondance y appeloient les passions gaies, si naturelles aux Français; rappelez-vous comparativement l’habitude extérieure de tous les corps dans ces deux temps, et vous direz si la nutrition ne reçoit pas l’influence des passions. Ces expressions, sécher d’envie, être rongé de remords, être consumé par la tristesse, etc., etc., n’annoncent-elles pas cette influence, n’indiquent-elles pas combien les passions modifient le travail nutritif?

Pourquoi l’absorption et l’exhalation ne seroient-elles pas aussi soumises à leur empire, quoiqu’elles le paroissent moins? les collections aqueuses, les hydropisies, les infiltrations de l’organe cellulaire, vices essentiels de ces deux fonctions, ne peuvent-elles pas dépendre souvent de nos affections morales?

Au milieu de ces bouleversemens; dé ces révolutions partielles ou générales, produits parles passions dans les phénomènes organiques, considérez les actes de la vie animale; ils restent constamment au même degré, ou bien, s’ils éprouvent quelques dérangemens, la source primitive en est constamment, comme je le montrerai, dans les fonctions internes.

Concluons donc de ces diverses considérations, que c’est toujours sur la vie organique, et-non sur la vie animale, que les passions portent leur influence: aussi tout ce qui nous sert à les peindre se rapporte-t-il à la première et non à la seconde. Le geste, expression muette du: sentiment et de l’entendement, en est une preuve remarquable: si nous indiquons quelques phénomènes intellectuels relatifs à la mémoire, à l’imagination, à la perception, au jugement, etc., la main se porte involontairement sur la tête: voulons-nous exprimer l’amour, la joie, la tristesse, la haine; c’est sur la région du cœur,de l’estomac, des intestins, qu’elle se dirige.

L’acteur qui feroit une équivoque à cet égard, qui, en parlant de chagrins, rapporteroit les gestes à la tête, ou les concentrerait sur le cœur pour annoncer un effort de génie, se couvriroit d’un ridicule que nous sentirions mieux encore que nous ne le comprendrions.

Le langage vulgaire distinguoit les attributs respectifs des deux vies, dans le temps ou tous les savans rapportoient au cerveau, comme siége de l’ame, toutes nos affections. On a toujours dit, une tête forte, une tête bien organisée, pour énoncer la perfection de l’entendement; un bon cœur, un cœur sensible, pour indiquer celle du sentiment. Ces expressions, la fureur circulant dans les veines, remuant la bile; la joie faisant tressaillir les entrailles; la jalousie distillant ses poisons dans le cœur, etc. etc. ne sont point des métaphores employées par les poètes, mais l’énoncé de ce qui est réellement dans la nature. Aussi toutes ces expressions, empruntées des fonctions internes, entrent-elles spécialement dans nos chants, qui sont le langage des passions de la vie organique par conséquent, comme la parole ordinaire est celui de l’entendement, de la vie animale. La déclamation tient le milieu, elle anime la langue froide du cerveau, par la langue expressive des organes intérieurs du cœur, du foie, de l’estomac, etc.

La colère, l’amour inoculent pour ainsi dire, aux humeurs, et à la salive en particulier, un vice radical qui rend dangereuse la morsure des animaux agités par ces passions, lesquelles distillent vraiment dans les fluides un funeste poison, comme l’indique l’expression commune. Les passions violentes de la nourrice impriment à son lait un caractère nuisible, d’où naissent souvent diverses maladies pour l’enfant. C’est par les modifications que le sang de la mère reçoit des émotions vives qu’elle éprouve, qu’il faut expliquer comment ces émotions influent sur la nutrition, la conformation, la vie même du fœtus, auquel le sang parvient par l’intermède du placenta.

Non-seulement les passions portent essentiellement sur les fonctions organiques, en affectant leurs viscères d’une manière spéciale, mais l’état de ces viscères, leurs lésions, les variations de leurs forces concourent, d’une manière marquée, à la production des passions. Les rapports qui les unissent avec les tempéramens, les âges, etc. établissent incontestablement ce fait.

Qui ne sait que l’individu dont l’appareil pulmonaire est très-prononcé, dont le système circulatoire jouit de beaucoup d’énergie, qui est, comme on le dit, très-sanguin, a dans les affections une impétuosité qui le dispose surtout à la colère, à l’emportement, au courage; que là où prédomine le système bilieux, certaines passions sont plus développées, telles que l’envie, la haine, etc.; que les constitutions où les fonctions des lymphatiques sont à un plus haut degré, impriment aux affections une lenteur opposée à l’impétuosité du tempérament sanguin.

En général, ce qui caractérise tel ou tel tempérament, c’est toujours telle ou telle modification, d’une part dans les passions, de l’autre part dans l’état des viscères de la vie organique et la prédominance de telle ou telle de ses fonctions. La vie animale est presque constamment étrangère aux attributs des tempéramens.

Disons la même chose des âges. Dans l’enfant, la foiblesse d’organisation coïncide avec la timidité , la crainte; dans le jeune homme, lé courage, l’audace se déploient à proportion que les systèmes pulmonaire et vasculaire deviennent supérieurs aux autres; l’âge viril, où le foie et l’appareil gastrique sont plus prononcés, est l’âge de l’ambition, de l’envie, de l’intrigue, etc.

En considérant les passions dans les divers climats, dans les diverses saisons, le même rapport s’observeroit entr’elles et les organes des fonctions internes; mais assez de médecins ont indiqué ces analogies; il seroit superflu de les rappeler.

Si de l’homme en santé nous portons nos regards sur l’homme malade, nous verrons les lésions du foie, de l’estomac, de la rate, des intestins, du cœur, etc., déterminer dans nos affections une foule de variétés, d’altérations, qui cessent d’avoir lieu dès l’instant où la cause qui les entretenoit cesse elle-même d’exister.

I!s connoissoient, mieux que nos modernes mécaniciens, les lois de l’économie, les anciens qui croyoient que les sombres affections s’évacuoient par les purgatifs avec les mauvaises humeurs. En débarrassant les premières voies, ils en faisoient disparoître la cause de ces affections. Voyez en effet quelle sombre teinte répand sur nous l’embarras des organes gastriques.

Les erreurs des premiers médecins sur l’atrabile, prouvoient la précision de leurs observations sur les rapports qui lient ces organes à l’état de l’ame.

Tout tend donc à prouver que la vie organique est le terme où aboutissent, et le centre d’où partent les passions. On demandera sans doute ici comment les végétaux qui vivent organiquement, ne nous en présentent aucun vestige? c’est que, outre qu’ils manquent de l’excitant naturel des passions, savoir, de l’appareil sensitif extérieur, ils sont dépourvus des organes internes qui concourent plus spécialement à leur production, tels que l’appareil digestif, celui de la circulation générale, celui des grandes secrétions, que nous remarquons chez les animaux; ils respirent par trachées, et non par un foyer concentré, etc.

Voilà pourquoi les passions sont si obscures, et même presque nulles dans le genre des zoophytes, dans les vers, etc.; pourquoi, à mesure que dans la série des animaux, la vie organique se simplifie davantage, perd tous ses organes importans, les passions décroissent proportionnellement.

Recherches physiologiques sur la vie et la mort

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