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VIII

Table des matières


E lendemain, je n’eus garde de manquer au train des maris. J’avais hâte de voir cet homme inconnu dont ma passion me faisait déjà un ennemi. Ce n’était point l’ennemi que je redoutais, c’était l’homme. Etait-ce l’homme de cette femme ou n’en était-il que le mari? Je me mêlai à cette foule joyeuse de femmes, d’amis, de sœurs, de mères, de filles, venues les unes par affection, les autres par curiosité, les autres par devoir, quelques-unes en se disant: une journée ennuyeuse est bientôt passée et faisant contre fortune bon cœur. On pouvait, aux chuchotements, aux rires, au parler bref des amis, de ces messieurs, deviner si M. X… ou M. V… était attendu avec plaisir. Ce tableau de mœurs contemporaines était d’un grand intérêt pour moi. N’étais-je pas moi-même sur le point de devenir acteur dans cette comédie des passions humaines! J’entrais en lice et je regardais déjà pour mon propre compte. Elle arriva bientôt; calme, sans insouciance apparente; mais aussi sans attitude zélée. Plusieurs femmes ouvrirent leur cercle pour la recevoir, sans toutefois qu’aucun homme s’approchât d’elle avec intimité. Enfin, le sifflet se fit entendre; le train entrait en gare. Ces différents groupes se dispersèrent et tous les yeux se dirigèrent simultanément vers la descente. Je m’approchai si près d’elle que je la coudoyai; elle se retourna et me jeta ce bonjour amical que la bouche d’une femme sait paraphraser de tant de manières. J’attendais donc aussi quelqu’un? je mentis et je dis oui. En conscience, je ne mentais pas, car j’attendais la même personne qu’elle. Le flot des voyageurs rompait ses digues. Il régnait une confusion charmante. Toutes les femmes fouillaient du regard ce torrent poudreux faisant irruption. Pour moi, je ne m’attachais qu’à un point; je suivais son regard, j’explorais l’expression de son visage pour l’instant ou ses yeux le découvriraient. Cet instant redouté autant que souhaité ne tarda point. Une rougeur imperceptible pour d’autres que pour moi, qui l’observais, nuança ses joues pâles. Cette rougeur voisine de l’émotion me fit mal. Etait-ce le bonheur de le revoir qui troublait de la sorte, cette figure d’un calme si accompli; était-ce parce qu’elle me sentait auprès d’elle? La veille, pendant la valse, je l’avais vue pâlir sous sa paleur habituelle et je l’avais sentie troublée presque dans le fond de son être. Ce ne pouvait pourtant être la même émotion. Un homme de taille moyenne, la figure un peu couperosée, portant lunettes, le cou court, l’air satisfait, parut. C’était lui! Il vintvers sa femme, l’embrassa au front, en lui disant du même ton dont il aurait demandé le cours du3%: «Bonjour Blanche, tu vas bien?» Il salua à droite et à gauche quelques personnes arrivées comme lui par le train et entraîna sa femme. Celle-ci, cependant, ne s’éloigna pas sans avoir répondu par un regard presque affectueux dans sa profonde bienveillance, à l’air anxieux et mécontent que je laissai paraître. J’avais vu le mari, l’homme ne m’effrayait nullement. Comme tant d’autres, elle s’était, sans doute, mariée sans amour, comme sans regret du passé qu’elle laissait derrière elle. Ou la physionomie humaine mentait effrontément ou cet homme que j’avais vu n’avait jamais pu répondre aux aspirations que toute femme bien douée apporte en naissant. Cet homme avait toutes les allures d’un spéculateur à outrance pour lequel «les affaires» sont le dernier mot de la vie. Qu’était pour lui cette femme charmante? Je devais l’apprendre plus tard.


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