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IX

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A passion brûlante qui corrode le cœur tout en décuplant sa puissance ne peut vivre dans les atermoiements. Qu’est-ce qu’un sourire; qu’est-ce qu’une parole affectueuse de l’être aimé quand l’être aimé n’a point donné davantage? Quelques gouttes d’eau sur une terre brûlée qui augmentent encore son aridité aux endroits où elles tombent! Je m’étais épris d’une femme sur la route de laquelle le hasard ou plutôt mon étoile m’avait jeté; et presque instantanément je Pavais aimée. J’ignorais quel était le nom de cette femme, si elle appartenait à un autre, si elle était courtisane ou la femme chaste avec toutes ses pudeurs. Je l’aimais; il me fallait non seulement le lui dire, mais être aimé d’elle ou la fuir. Mon amour, elle le connaissait. Il me fallait la revoir; mais non pas la revoir comme une belle indifférente qui égrène les sourires sur tous et à toute heure parce que, comme la rose, son rôle est d’embaumer là où elle se trouve; il me fallait la revoir comme mienne ou comme le récif inabordable contre lequel non seulement les efforts mais la vie même viennent se briser. Que m’importait qu’elle fût madame Werner, la femme très en vue d’un agent de change plus en vue encore, d’un de ces spéculateurs qui manient des millions, font courir, et sont, en un mot, à notre époque, les fermiers généraux au petit pied? Je l’avais vue sans savoir son nom, la femme m’avait révélé à quoi tenait le vide de mon cœur, je voulais m’attacher aux pas de cette femme.

C’était Blanche que je connaissais; c’était Blanche dont j’étais amoureux fou. Je pris le parti de lui écrire. Bien que le mot amour ne fût pas tracé, ma lettre toute entière en était la paraphrase passionnée. Je ne lui parlais que d’elle, et, sans demander un mot de réponse ni un rendez-vous, je signai. Deux jours après, je lui envoyai un simple billet dans lequel je lui disais que je me présenterais chez elle le jour même dans la soirée.

Cette brutalité d’action ne m’aliénerait-elle pas ce cœur que je souhaitais si fort de posséder et pour lequel j’aurais donné ma vie! Je jouais sur une seule carte ma plus chère espérance.

Profondément ému je pris la route de Villerville. Serais-je reçu? L’idée du contraire ne m’obséda qu’au moment où je franchissais la petite barrière verte. Cependant, elle m’avait dit elle-même que si jamais l’envie me reprenait de visiter son enclos, Lionne ne m’accueillerait plus d’une si sauvage façon. Mais alors, j’étais le passant, tandis qu’à présent, j’étais l’ennemi de son repos qui, par violence, semblait vouloir s’introduire dans la place. Je me fis annoncer; elle était là. Sans se faire attendre, elle vint au-devant de moi et me tendit la main avec cordialité, comme belle l’eût fait à un ami qu’elle eût vu la veille. Aucune rougeur n’avait passé sur son visage pâle. Il n’y avait rien en elle d’affecté: elle était elle comme le jour où je la vis pour la première fois. Avec ce tact exquis qui n’appartient qu’à la femme qui n’en a point que le nom et le revêtement extérieur, elle sut débarrasser ce premier moment d’entrevue d’un embarras mutuel qui eût pu me rendre ridicule si elle n’eût pas envisagé la profondeur de ma passion, ou si seulement elle eût été une coquette. Ce fut elle qui prit la parole la première.

–Vous m’avez écrit que vous viendriez me voir ce soir; et, je vous ai attendu. Sans cela, ajouta-t-elle, je serais à Trouville.

Puis, abordant de face le point dangereux de la situation, elle reprit vivement:

–On lit quelquefois mal, et vous avez craint que votre lettre ne fût pas comprise; est-ce cela?

–Vous avez tout compris, lui dis-je, ma folie, ma déraison peut-être. Mais, vous ne soupçonnez pas jusqu’où va l’étendue de cette folie.

–Jusqu’à enlever mon mari?

–De grâce! lui dis-je, ne plaisantez pas avec cette passion brûlante. Faites-moi sentir votre colère pour ce que j’ai osé faire, chassez-moi, mais ne souriez pas sur ma misère. Le rire en cette occasion messied à une femme telle que vous. Dès l’heure où je vous ai vue, vous avez pris fatalement possession de mon âme, absorbé tout mon être. A votre insu je me suis donné à vous sans espérance, sans souci de l’avenir. Cela a été parce que cela devait être. Une soirée entière je vous ai eue à moi seul, oubliant le monde, ne songeant qu’aux voluptés dont, insciemment, vous inondiez mon cœur. Au milieu de toutes les femmes qui ont passé devant mes yeux depuis que j’ai l’âge d’homme, c’est vous seule que j’ai regardée, et plus jamais mon regard ne s’est séparé de votre image. Elle est toujours présente à ma vue, et la nuit, et le jour, au milieu de la foule indifférente que je coudoie, et aussi dans la solitude. Le hasard a tout fait. Vous m’êtes apparue à l’heure où mon cœur, encore vierge de tendresse et d’amour, attendait le rayon de soleil pour s’épanouir. Vous avez été à la fois et le rayon brûlant qui m’a réchauffé et la rosée qui a plu sur mon âme. Pourquoi m’en vouloir de ce fait? L’astre chauffe tout ce qui se trouve devant lui, la rosée pleut sur l’herbe comme sur les fleurs. Ne regrettez pas le rayon, ne regrettez pas la goutte d’eau. La fleur est faite pour fleurir et pour embaumer. Tant pis pour celui dont la tête faiblit sous son parfum capiteux. Blanche, je me suis enivré de l’amour que vous m’avez inoculé. Je n’ai pas été raisonnable, j’ai trop bu à la coupe. Le coupable, c’est moi. Je n’ai aucun droit de crier à l’injustice si le rayon devient glace; ma destinée aura voulu qu’il en soit ainsi. Blanche, vous saviez tout cela avant que ne je fusse ici. Il ne faut pas longtemps à une femme pour connaître la passion qu’elle inspire. Vous avez tout deviné, il y a quelques jours, pendant cette valse qui jamais ne sortira de mon souvenir. Vous remplissez mon être, et, si je suis le passant pour vous, vous resterez l’image adorée bien qu’impalpable qui, soudainement, a éclairé ma route. Blanche, si vous savez tout, si vous l’ordonnez, le passant ne repassera plus, vous ne le reverrez pas; mais lui vous reverra et, sans que vous le sachiez, éclairera sa route à la clarté de vos yeux.

Mme Verner qui s’était assise sur une causeuse en face de moi, releva ses yeux qu’elle avait baissés par degrés. Un combat se livrait dans son âme; mais aucun trouble ne l’agitait extérieurement; son regard conservait cette affabilité confiante qui rendait son abord d’un si parfait attrait.

Qu’allait-elle faire en face de cette passion soudaine, qui se déclarait si nettement et sur la sincérité de laquelle elle ne pouvait se faire illusion? feindre une colère que son cœur ne partageait pas, m’expulser fièrement de chez elle? N’était-ce pas déceler une certaine frayeur de sa part! La femme qui fuit d’une façon aussi ouverte l’homme dont elle est aimée avoue facilement sa faiblesse et sent bien que son cœur est bien près de la démentir. Persifler cette fougue inhabile d’un cœur épris!ce moyen vulgaire des coquettes et prudes à la mode, ne pouvait être le sien. D’ailleurs elle n’eut pu longtemps jouer avec le sarcasme, sa langue n’était pas faite pour siffler l’ironie, elle était trop femme pour cela. Puis n’avait-elle pas été elle-même émue pendant cette fameuse soirée, n’avait-elle pas senti que je connaissais l’état de son âme; n’avait-elle pas eu spontanément un élan vers l’homme présent à l’heure où son cœur débordait; le fluide de ma passion ne l’avait-il pas touchée? Or, elle ne s’indigna ni ne se prit à sourire en vertu effarouchée; elle me tendit la main et me dit simplement ces mots: «Vous serez notre ami!» C’était peu, c’était beaucoup. Je portai sa main à mes lèvres. Je ne pensais qu’à une seule chose, c’est que je la reverrais. J’aurais voulu rester, et j’avais hâte de partir. Étrange nature que la mienne! Je désirais rester sur ce bonheur qu’elle me jetait ainsi qu’un fruit savoureux pour apaiser ma soif; mais à chaque seconde que je restais en plus, je sentais que je fouillais déjà dans ce bonheur pour le retourner sur toutes les faces, que je pressurais à outrance le fruit et que j’allais le jeter à terre comme inutile. Il me fallut une force suprême pour ne pas la presser dans mes bras. Je partis. Elle devait venir sur la plage le lendemain, et le dimanche suivant je me retrouverais avec elle au chalet où elle donnait à dîner à quelques amis. Il serait là, mais que m’importait? Elle aussi serait entourée; mais je lui parlerais, et comme aux autres, elle me tendrait la main!


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