Читать книгу Moi et l'autre - Charles Diguet - Страница 4

Оглавление

II

Table des matières


ORSQUE j’eus fini mon droit dans la petite ville de C…, mon père, que mon titre d’avocat, cet innocent brevet d’homme d’État, avait enchanté, m’engagea à me faire inscrire au plus vite comme stagiaire dans ma ville natale. Il n’avait qu’un fils, et il rêvait dans l’avenir une place de conseiller général, si pas la députation. L’expérience de chaque jour lui démontrait qu’il suffisait d’être avocat pour songer à gouverner le pays. Son ambition pour moi n’était donc pas plus exorbitante que celle des autres. Il pensait comme la masse et la masse ne croit jamais avoir tort. Ceux seulement qui ne veulent pas se laisser aller au courant sont regardés comme réfractaires. Je fus un de ces réfractaires. Le métier d’avocat me répugnait absolument. Nous étions en1863et le genre se discréditait chaque jour dans mon esprit depuis que l’individu s’accentuait à tout propos, soit comme législateur, soit comme tribun, soit comme souteneur de nouvelles couches sociales. Ne voulant point non plus refuser nettement à mon père et briser d’un seul coup son rêve, bien pardonnable, hélas! je demandai un an pour réfléchir. Pendant cette année, je voyagerais et j’apprendrais ce qu’on n’apprend généralement point à l’école. Bien qu’à regret, mon père souscrivit à ma demande, certain, disait-il, que je ne voudrais point rendre inutiles les sacrifices qu’il avait faits pour moi. Pour m’encourager, ou plutôt afin de corroborer ses propres espérances, il fit miroiter à mes yeux quelques-unes de ces jeunes filles de notre ville qui sont ce qu’on appelle en province de bons partis. En peu de temps, je fus au courant de toutes les fortunes de la ville. Mlle B…, aux Ursulines, était un très sage parti, car elle était orpheline et devenait maîtresse de sa fortune en se mariant; elle n’avait qu’un oncle, et cet oncle, riche et octogénaire, l’établirait sa légataire universelle. Mlle V…, si je voulais attendre et me créer une position, –ce qui ne pouvait manquer d’arriver fort vite avec mes relations,–était encore plus enviable et son père n’hésiterait pas à la donner à un homme considéré déjà et dont la place était marquée parmi les gloires du pays. Mlle Z… était fille unique, avait un oncle chanoine, ce qui pouvait m’être fort utile. Enfin, je n’avais qu’à choisir. J’entrais dans la vie par la grande porte, la porte la plus fréquentée au guichet de laquelle il n’y a pas de contrôle. Mon excellent père voulait pour moi sa propre vie, sans trouble comme aussi sans lutte. Il faisait de moi la couronne de sa carrière, et cette ambition modeste, mais subite, qui contrastait si fort avec les goûts que je lui avais connus, était en quelque sorte justifiée par le courant que la société tout entière traversait. Au bourgeois gentilhomme avait succédé le bourgeois homme d’État. Mais, ce n’était point l’orage politique qui devait agiter et troubler mon existence. La tourmente devait venir du cœur.


Moi et l'autre

Подняться наверх