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VII

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E lendemain, à l’heure du bain, je la vis sur la plage. Je me présentai résolûment à elle. Elle me reçut avec cette grâce facile qui est comme le parfum extérieur de certaines femmes. Après une demi-heure de conversation banale, je n’étais point un ami ni une connaissance, mais je n’étais pas non plus un inconnu. Il y avait soirée dansante au Casino. Je m’y rendis un des premiers; j’étais sûr d’y rencontrer celle dont l’image déjà remplissait mon cœur. Elle y vint, parée plus encore de ces charmes ambiants qui, ainsi qu’une lumière diffuse, se répandaient autour d’elle, que de sa beauté rayonnante. Pour tous, elle fut une étoile; pour moi, elle était déjà plus que ce diamant qui étincelait sans souci des clartés qu’il projetait à profusion; c’était un rayon puissant dont la chaleur réchauffait mon âme. Le comprit-elle alors? Je ne la quittai point. Les danses se succédaient; mais, les froids quadrilles ne me satisfaisaient point. J’aurais voulu que la soirée ne fût qu’une suite de valses. Alors seulement elle était bien à moi! Sa taille avait des ondulations qui me faisaient frissonner: son sein frôlait ma poitrine, sa tête toute remplie de suaves langueurs s’inclinait sur mon épaule, et je voyais dans ses yeux des rêves inassouvis; dans ce tournoiement, rapide mes genoux rencontraient les siens et la traîne de sa robe nous enveloppait les jambes à tous deux comme un velum mystérieux. J’étais fou d’amour! Comme elle allait partir, l’orchestre préluda à une nouvelle valse: c’était la valse des fleurs de Ketterer, ce délicieux motif qui caresse tour à tour toutes les fibres du cœur et de l’âme et vous jette le délire aux sens comme le vent d’été jette des bouffées de parfum. J’obtins d’elle qu’elle ne partirait qu’après. Dans ce balancement cadencé, composé de poésie et de senteurs, je sentis tous les tressaillements intimes de l’être aimé. Point une fois nous ne nous arrêtâmes et les lourdeurs de ce corps en ma possession que j’emprisonnais avec force de peur qu’il ne m’échappât, ravivaient avec frénésie les ardeurs du tourbillon. Je lui jetai toute la flamme de mon cœur dans mon regard et pressant sa main, je lui dis tout ce que ma bouche n’osait et ne pouvait prononcer. Depuis, j’ai bien des fois entendu cette valse magique et chaque fois je me suis reporté à ce soir d’enivremement et j’ai comme senti de nouveau le parfum qu’elle exhalait. Que de fois, depuis, séparé d’elle, je me la suis fait jouer, cette valse, pour posséder à nouveau cette femme comme je la possédais alors, car elle fut mienne. De tous les magnétismes celui de l’amour est celui seul qui rencontrera le moins de distraction… L’amour violent a son fluide absolument comme la foudre; il est actif et pénétrant comme cette dernière. Ses bizarreries sont les mêmes; sa soudaineté et son influence sont identiques. Le cœur réellement possédé d’amour se trouve doué d’une puissance telle qu’il finit par communiquer sa passion au cœur le moins préparé à la subir. Son action devient absorbante, elle terrasse l’insoumis ainsi que le magnétiseur le fait pour le sujet qui alors devient sien. Toutefois, à l’encontre du magnétisme animal dont l’efficacité n’a de résultat qu’autant que la volonté supérieure est en contact avec la volonté obéissante, le fluide de l’amour une fois versé poursuit son chemin à la façon des termites. Le regard et la pression de main ont été son fil conducteur; mais ce fil ne se rompt plus et la solution de continuité n’existe pas. L’amour passionné se communique quelquefois par la force absolue de la volonté. Il est alors plus ductile que le plus ductile des métaux. J’aimais cette femme d’une passion folle, tenace et dévorante; pas un instant je ne m’arrêtai à l’idée qu’elle ne pouvait pas m’aimer. Pendant cette soirée entière, je l’enveloppai de l’amour qui me dévorait et cet amour brûlant, inconsidéré, chauffa ce cœur peut-être si calme la veille et me le donna. Ainsi qu’une plante qui retire sa feuille sous le rayonnement soudain d’un soleil trop vif, une froideur un peu affectée, mais qui ne dura qu’un moment, m’apprit que j’étais entré dans sa vie. Elle reprit son abandon charmant et son regard ému m’en avoua plus que sa parole n’eût osé faire. Il était tard et je ne voulais pas la laisser retourner seule dans une voiture jusqu’à Villerville. Cependant, je n’osais lui demander de l’accompagner. Elle vit mon embarras.

–Voulez-vous, me dit-elle, me conduire jusqu’à l’hôtel des Roches Noires. J’y passerai la nuit et demain je serai rendue ici pour recevoir mon mari; car, ajouta-t-elle en riant, c’est demain samedi et par conséquent le train des maris.

La difficulté était tournée pour elle et pour moi; pour elle, elle évitait un long tête à tête délicat et peut-être pénible après l’aveu tacite de ma passion; pour moi, j’étais si heureux que le prolongement du bonheur que je souhaitais cependant, eût comme amoindri l’expression de mon amour. Je lui avais, d’une façon brûlante, témoigné toute la puissance de ma passion, je ne pouvais songer à lui dire simplement et aussi intimement seul avec elle pour la première fois, je ne pouvais, dis-je, lui dire que je l’aimais. Elle le savait; je l’aurais offensée en le lui disant. Tous les bonheurs de l’amour lorsqu’ils sont trop soudains écrasent et annihilent l’homme. J’étais heureux et elle me rendait plus heureux encore par cette combinaison improvisée. Ne la reverrai-je pas encore le lendemain? Sans moi, elle fût retournée le soir au chalet. Elle restait pour fuir ce tête-à-tête, j’étais donc quelqu’un pour elle. Je la quittai sur les marches de l’hôtel.–A demain, me dit-elle, peut-être nous rencontrerons-nous!


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