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XI

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UE m’importait l’homme! Vers Blanche convergeaient toutes mes pensées, tous mes désirs, et mon amour l’isolait de son entourage comme du reste du monde. Quinze jours après cette présentation que je pouvais regarder comme officielle, M. et Mme Werner retournaient à Paris où je ne tardai pas à me rendre. Je voulais vivre de sa vie de chaque jour. Blanche habitait un hôtel, avenue des Champs-Élysées: elle recevait et allait beaucoup dans le monde diplomatique. Je ne tardai pas moi-même à me trouver mêlé à ce monde, et présenté par M. Werner lui-même, je fus invité à toutes ces fêtes où il se rendait avec sa femme. Ce monde officiel me fatiguait et m’ennuyait; mais je voyais Blanche, et cette vie surmenée, pour laquelle j’étais si peu fait, me semblait un faible mal pour le bonheur que j’éprouvais à me trouver avec elle. Peu à peu j’avançais dans son intimité et je sentais qu’elle venait vers moi fatalement ainsi que je l’avais souhaité. Obéissant à sa nature féminine, réservée et discrète, elle comprimait les élans sous lesquels par instants son cœur bondissait; mais lorsqu’il m’arrivait de l’enlacer dans mes bras pour une valse ou lorsque simplement je tenais son bras appuyé sur le mien quand je la reconduisais à sa voiture, alors je sentais la lutte de cette âme dévorée du besoin d’aimer, et que la destinée avait rivée à un être qui, tout en la comprenant fort bien, s’en parait uniquement comme d’un joyau mondain. Alors je m’apercevais qu’elle se rejetait dans son rêve insaisissable, –ce rêve de toutes les femmes qu’une espèce de politique sociale a courbées sous des lois conventionnelles,–ce n’était plus la grande dame régnant sur tous de par son regard ainsi que par sa démarche, c’était la femme dans ce qu’elle a de plus tendre comme de plus décent, cherchant à se compléter par un amour partagé: un frère pour son âme, un amant pour sa jeunesse. Chose bizarre, il me semblait que j’avais pour elle autant de respect que d’amour. Je la souhaitais tout entière de toutes les forces de mes désirs passionnés, et je me complaisais parfois à respirer le parfum de cette coupe sans chercher à la vider. Jamais elle ne me parlait de son mari. Une fois seulement, répondant à une opinion mondaine que j’exprimais fort indifféremment sur le banquier, elle me répondit:–M. Werner est ce qu’appelle le monde un homme très fort!

Toute son âme, toutes ses souffrances, je l’appris depuis, étaient résumées dans ces mots. Un soir, dans un salon semi-officiel où l’on avait parlé politique et où la diplomatie française, plus en nombre qu’en qualité, avait fait preuve de cette jactance et de cette suffisance, ces défauts inhérents à notre caractère vantard, Blanche ne put s’empêcher de me jeter ces mots: «Pauvres Français!» Tout occupé de mon amour, je m’appliquai ces paroles, que du reste elle chercha, avec son tendre et charmant langage, à me faire oublier, et je m’assombris. Je devais aussi dans la suite comprendre la signification de cette courte interjection que sa belle âme avait laissé échapper ! Bien souvent, cette phrase m’est revenue aux oreilles et dans des circonstances atrocement lugubres; encore elles me reviennent et peut-être, hélas! longtemps encore seront-elles de saison!

Certain soir, pendant un bal de l’ambassade d’Autriche, M. Werner s’approcha de moi et me pria obligeamment de vouloir bien reconduire sa femme à son hôtel; il devait, en sortant du bal plus tôt que de coutume, se rendre dans une autre soirée où sa femme ne se souciait pas d’aller. J’acceptai cette mission avec empressement. Le banquier me serra la main, et je le vis s’éloigner avec l’officier d’ordonnance, mon ami, auquel je l’avais présenté depuis quelques jours. Tout heureux, j’allai trouver Blanche pour l’informer de ce que venait de me dire son mari. M. Werner l’avait prévenue. Ce soir-là, elle était éblouissante. Dans ce fouillis de beautés étincelantes qui étaient comme la fleur des belles fêtes de ces dix dernières années, elle avait fait sensation. Mais mon orgueil n’était point là. Ce frémissement flatteur qui accompagnait son entrée et sa sortie au milieu des fêtes me touchait peu, j’adorais dans la femme ce que les autres, ou du moins la masse, n’y percevait point. Une petite heure après le départ de M. Werner, je prenais le bras de Blanche et, traversant les salons les moins populeux, je l’entraînais jusqu’à son coupé, dans lequel je pris place auprès d’elle.


Moi et l'autre

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