Читать книгу Moi et l'autre - Charles Diguet - Страница 5

Оглавление

III

Table des matières


A tourmente ne se fit pas attendre. J’avais Pâme prédisposée à subir violemment les premières impressions qui s’offriraient à elle. Mon cœur, développé dans une sorte de continence, grâce beaucoup plus à l’atmosphère indifférente dans laquelle j’avais vécu qu’à sa propre nature, avait soif d’une vie plus active. Alors je n’aurais su formuler mon désir, désir inconscient qui se déguisait sous la bizarrerie si commune: envie de connaître. Aujourd’hui que le passé se définit nettement à ma pensée, je puis dire que cette soif inavouée mais lancinante qui m’obsédait, c’était le but de toute créature: aimer et être aimé! Dans cette ville que je connaissais peu, l’ayant quittée pour faire mes études, il ne me semblait même pas que je pusse trouver cette satisfaction que souhaitait mon âme. La société à laquelle me présenta mon père, et qui était de la meilleure, ressemblait à toutes celles de province. Quelques jeunes femmes à demi fanées avant d’avoir trente ans, des jeunes filles pour beaucoup desquelles la jeunesse ne devait jamais fleurir, sans harmonie dans la voix, aimables d’instinct comme les fleurs qui ne demandent que le soleil pour s’ouvrir, mais restreintes et ternes par ordre, s’inspirant du regard maternel pour paraphraser un oui ou un non, des mères surveillant ces brebis et chroniquant sur l’avenir, spéculant sur le nouvel arrivant et prenant des notes en leur infaillible mémoire pour en causer le soir avec leurs maris. Ceux-ci, pleins de suffisance, fiers d’avoir trouvé la vie mâchée; empesés comme il convient à des époux et à des pères ayant charge d’enfants, grivoisant parfois avec les femmes hors d’âge afin d’être appelés en petit comité «mauvais sujets.» Du reste, s’occupant beaucoup plus de commerce et des petits cancans que de la femme pour la femme. Parmi toutes ces jeunes filles, conduites en lisière jusqu’au jour de leur mariage, il en est qui ne demanderaient certes pas mieux que d’obéir à leur nature et de devenir des femmes charmantes. Mais l’atmosphère! Et que dirait la province? Mon père me les avait fait voir, ces oiseaux blancs, et j’avais souri. Je n’ai jamais eu de goût pour les fleurs sans odeur. Au milieu de ces gens austères, je dus passer pour ascète. Ce diorama à lanterne fumeuse me laissait d’une froideur qui ne ralentissait pas le zèle des mères, mais qui pouvait sembler du dédain pour ces pauvres jeunes comparses du mécanisme social dans les départements. Hélas! si je n’étais pas dévoré par l’enthousiasme, je n’avais aucun dédain pour ces créatures nées à l’ombre et destinées à vivre heureuses dans l’ombre. Peut-être une d’elles eût-elle fait mon bonheur! Aurais-je fait le sien? Quoi qu’il en soit, ma destinée ne le voulait pas. A l’accueil qu’on me fit, par la suite, j’augurai promptement que j’étais classé parmi les non-valeurs. Mon père prenait grand’peine de cela, et son chagrin réel atténua beaucoup le plaisir que je prenais à voir ces petites comédies de la pêche au mari comme aussi de la pêche à la dot, car j’en voyais autour de moi qui rivalisaient d’ardeur et de grosses finesses pour se faire adjuger telle héritière. Cependant cette diplomatie, paraît-il, est de bonne morale, puisque les mères élèvent fils et filles dans ces principes. Un événement subit me tira de ce monde intransigeant et rapace: mon père mourut après quelques jours seulement de maladie. Cette perte augmenta encore le vide que j’avais dans le cœur. Je passai l’hiver dans le plus profond isolement, cherchant l’ombre dans l’ombre. Puis, laissant le vieux serviteur de feu mon père à la maison afin de garder le nid, je quittai cette ville qui ne m’avait rien donné, peut-être par ma faute, et je me mis à voyager. Toutes les aspirations anciennes se ravivaient.


Moi et l'autre

Подняться наверх